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    1. LIBERTÉ MORALE##


LIBERTÉ MORALE. DE CONSCIENCE, DES CULTES

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errerdans les jugements qu’elles portent surles hommes et sur leurs actes..Maintes fois nous essayons nous-mêmes de diminuer notre responsabilité aux yeux des autres et à nos propres yeux, en invoquant les circonstances atténuantes pour les tromper et nous tromper nous-mêmes. Il convient de ne pas se laisser duper par ces sophismes : Je n’étais plus maître de moi, je n’étais plus libre, et autres semblables qui allèguent l’inconscience et l’irresponsabilité, et derrière lesquels veulent se dérober d’ordinaire les criminels, au tribunal, dans le roman et les drames : ce ne sont trop souvent que de mauvaises excuses pour de mauvaises actions, commises parfois avec des circonstances aggravantes.

Il importe aussi de se tenir en garde contre la disposition de certains philosophes et romanciers, comme Jean-Jacques Rousseau et George Sand, à attribuer exclusivement à la société ou à sa mauvaise organisation la plupart de nos fautes et de nos vices ; à rapporter le crime non à des causes morales tirées de l’âme, mais à des causes d’ordre matériel et d’origine extérieure : tempérament, climat, race, hérédité, âge, éducation, etc. Cette tendance à extérioriser le crime, à en rechercher les mobiles ou les excuses non dans le criminel, mais exclusivement en dehors et autour de lui, est assez générale. Sans nier les influences que le milieu intérieur et extérieur peut exercer, il convient pourtant de ne jamais oublier que l’homme, quelle que soit sa constitution physique, reste libre ; la vertu se rencontre avec tous les tempéraments ; elle dépend de l’âme avant tout, et non du corps.

On ne saurait assurément nier que l’hérédité joue ici un grand rôle ; elle peut transmettre un organisme dans lequel certaines fonctions tendent à prédominer, et par là favoriser le développement exagéré de certaines inclinations. L’hérédité est incontestablement une influence, mais elle n’est pas une fatalité ; entre la tendance criminelle et l’acte, il y a place théoriquement pour la délibération volontaire. Ce qui rend d’ordiriaire une inclination dominante, c’est moins l’influence héréditaire ou extérieure, laquelle n’est jamais irrésistible, que la faiblesse de la volonté, laquelle a pris l’habitude de se laisser entraîner.

On l’a dit avec raison. Il est plus aisé de réprimer le premier désir que de contenter tous ceux qui suivent. On succombe, on se relève puis de nouveau on se laisse aller insensiblement à son inclination, jusqu’aumoment où il faudrait un acte héroïque pour triompher.

L’éducation, quand elle est mauvaise, exerce une influence corruptrice puissante, parce que c’est dans l’enfance surtout que se gravent les exemples pernicieux et que, devant i’imperfection de la force de résistance, l’instinct d’imitation agit avec toute son énergie. Alors les mauvais conseils, et surtout les exemples vicieux, ont une toute-puissance qu’ils ne retrouvent plus jamais au même degré. Quand l’éducation et l’hérédité agissent dans le même sens, par exemple dans le sens du mal, on conçoit ce qu’un pareil concours peut produire et quelle atteinte il peut porter à la liberté morale de celui qui a été soumis à cette double action. Toutefois, l’influence del’éducation est prépondérante. Opposée à l’influence de l’hérédité, elle est si grande que c’est à elle seule qu’appartient, dans la plupart des cas, le pouvoir de réaliser la ressemblance morale et psychologique des enfants et des parents. Si l’hérédité déterminait irrésistiblement et sûrement, chez les descendants, la reproduction de tous les caractères constitutifs de la personnalité des ascendants, l’éducation serait inutile. Du moment que l’éducation, et une éducation prolongée, vigilante, laborieuse, est indispensable pour provoquer l’apparition et réaliser le développement des aptitudes et des qualités de l’esprit chez l’enfant, il faut bien conclure que

L’hérédité ne joue qu’un rôle secondaire dans cette admirable genèse de l’individu moral.

Quant à la prétendue anomalie morale du criminel. elle se réduit, en dernière analyse, à ce simple fait : par son tempérament et par l’affaiblissement du sentiment moral, le criminel est porté à commettre plus facilement le crime, mais il reste libre : ce n’est pas un fou, mais un faible. D’autre part, toutes les causes sociales mauvaises peuvent bien diminuer la responsabilité, elles ne sauraient la supprimer complètement. Le criminel, quel qu’il soit, reste libre et responsable : car, jusqu’au fond de la dernière des dégradations, il reste toujours une créature humaine, un être moral, un être doué de conscience, de raison et de liberté. Certains criminalistes semblent trop oublier que, si la volonté est soumise à l’influence de causes multiples, elle est elle-même une cause d’ellets multiples ; ils mettent fort bien en relief l’action des choses sur les personnes, mais ne voient pas la réaction des personnes sur les choses. Méconnaissant la nature de la liberté, ils prennent pour causes les conditions dans lesquelles elle s’exerce ; la volonté libre est une cause qui se détermine elle-même, et non une soumission qui s’ignore.

A ces considérations, il importe d’ajouter celles qui viennent de la solidarité existant entre les membres de la société humaine, soit dans la famille, soit dans la patrie, soit dans l’humanité tout entière, solidarité qui amène, dans une mesure plus ou moins large, un partage de la responsabilité. Cette loi de la solidarité s’applique d’abord à l’individu : nous sommes, par l’habitude, solidaires de nous-mêmes. Le présent naît dupasse, et prépare l’avenir ; c’est seulement en remontant aux causes de certaines habitudes que nous pouvons nous rendre compte du degré de responsabilité qu’entraînent certains actes, où l’on semble vaincu par une force irrésistible. Mais il s’agit principalement ici de la part soit directe, soit indirecte, que nous avons à la moralité de nos semblables, et de celle qu’ils ont à la nôtre.

D’une part, l’influence exercée sur nous par les actionsd’autruipeut diminuernotre responsabilité, et. inversement, l’influence exercée sur autrui par nos propres actions peut l’augmenter. On connaît la force de l’exemple. Il ne faut cependant pas exagérer, surtout à titre de circonstance atténuante, les effets de cette loi de la solidarité ; pas plus que celle de l’hérédité, elle n’a rien de fatal, et l’homme n’a pas le droit de rejeter sur le compte d’autrui des fautes qu’il pouvait et devait éviter.

V. Liberté morale.

Liberté de conscience. — Liberté des cultes. — Le mot liberté ne s’entend pas seulement de la liberté physique (ou naturelle), appelée le libre arbitre, dont nous venons de parler ; il s’entend encore, comme nous l’avons vii, de la liberté morale, à savoir, de la faculté morale (ou droit) d’agir ou de ne pas agir.

La liberté morale en général.

1. Nature de la

liberté morale. — Elle consiste dans l’immunité de toute obligation légitimement imposée. Est moralement libre, dans toute la vérité du mot, celui qui n’est soumis à aucune loi. Cette seconde liberté se distingue du libre arbitre en ce que celui-ci. dans l’état présent de l’humanité, peut choisir ou le bien ou le mal, tandis que la liberté morale ne peut s’appliquer à un objet moralement mauvais, attendu que le droit ou la faculté morale de mal faire répugne dans les termes. Le mal, en effet, est un désordre, et nul ne peut avoir le droit ou la faculté morale de poser un acte contraire à la loi morale, régulatrice de l’ordre. D’autant que le libre arbitre, il importe de ne pas l’oublier, nous a été donné par la divine Providence pour que nous puissions réaliser le bien auquel nous sommes obligés de