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LAXISME. LA QUERELLE DU LAXISME EN FRANCE


l’attaque contre le laxisme. C’est le cas de l’évêque de Tulle, qui fait paraître le 18 avril 1658 une Lettre pastorale contenant la censure qu’il a faite du livre intitulé Apologie pour les casuistes, et où il relève « plusieurs égarements et plusieurs excès, c’est-à-dire plusieurs propositions fausses, mauvaises et scandaleuses touchant la simonie, l’homicide, le duel, le larcin, l’usure, l’occasion prochaine, la direction d’intention, la probabilité et autres matières semblables. » Le texte dans les Annales de la société des soi-disant jésuites, Paris, 1769, t. iv, p. 916, cité par A. Degert, Réaction des Provinciales sur la théologie morale en France, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique de Toulouse, novembre 1913, p. 410. L’évêque de Tulle fut suivi par les archevêques ou évêques d’Orléans, Alet, Pamiers, Comminges, Bazas, Conserans, Angers, Beauvais, Rouen, Sens, Bourges, Lisieux, Châlons, Digne, Vence, Dijon, Évreux, Soissons, Cahors. Voir la liste de ces mandements dans Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, t. vi, col. 857-863 ; et quelques citations dans Degert, loc. cit. Les vicaires généraux de Paris, qui avaient censuré l’Apologie par un mandement du 23 août 1658, ordonnent par une lettre du 27 novembre « de dénoncer le dimanche suivant, au prône des messes paroissiales, que ledit livre a été par nous censuré et condamné ; et comme nous avons fait défenses à toutes personnes de cette ville et diocèse de Paris de lire, garder, imprimer, vendre et débiter ledit livre sous les peines de droit, vous ferez entendre nos dites défenses à vos paroissiens à ce qu’ils n’en prétendent cause d’ignorance. » Il serait intéressant, mais beaucoup trop long, de relever par le menu les reproches faits, par toutes ces autorités ecclésiastiques à l’Apologie et d’une manière plus générale à la nouvelle casuistique ; on y verrait revenir les divers cas de conscience dont la solution avait scandalisé Pascal, on y verrait parfois, mais plus rarement, la doctrine de la probabilité dénoncée comme la source de ce laxisme trop réel, on y découvrirait enfin la protestation contre la tendance trop apparente des casuistes à s’imaginer que d’accumuler au compte d’une opinion, les noms de vingt docteurs plus obscurs les uns que les autres et qui se copient mutuellement, cela confère quelque degré de probabilité à un escamotage de la loi. Cette fébrile recherche à travers l’amas des casuistes permit néanmoins aux adversaires du laxisme d’enrichir de quelques trouvailles la collection commencée par Pascal. Plusieurs d’entre elles seront finalement étiquetées dans les catalogues de propositions condamnées par l’Église. Il n’est donc pas inutile d’en signaler quelques-unes. Le quatrième écrit des curés de Paris signale comme une opinion de Sanchez « que dans quelque habitude de crime qu’un homme puisse être, il a droit d’obliger s<>n confesseur à ne pas lui différer pour cela l’absolution et qu’ainsi, s’il juge probablement que le confesseur ne la donnerait pas, sachant qu’il a l’habitude de tomber dans ce crime, il peut lui dire : « Je ne suis point dans cette habitude, » en usant de cette restriction mentale, qu’il n’a pas cette habitude de péché pour la lui dire. » Voir les propositions 58 et 60 d’Innocent XI. Et encore celle-ci, attribuée au même auteur : t On ne doit pas refuser l’absolution à celui qui retient sa concubine dans sa maison, si, lui ayant prêté cent écus, il n’avait aucune espérance de pouvoir les recouvrer en la chassant de chez lui… Un concubinaire n’est point aussi obligé de chasser sa concubine, si elle lui est fort utile pour gagner de l’argent par le moyen du négoce, Je dis plus : si la concubine était fort utile, pour réjouir, ou comme l’on dit. pour régaler le concubinaire, de sorte qu’étant hors de chez lui, il en passerait la vie trop tristement, et ce qu’une autre lut apprêterait, dégoûterait trop M concubinaire, et qu’il fût trop difficile de trouver une

autre servante qui lui rende les mêmes services, il n’est pas obligé de la chasser de chez lui, parce que cette réjouissance, par elle-même, est de plus grande considération que tout autre bien temporel, qui suffit à chacun pour admettre de nouveau une femme à son service, quelque danger qu’il craigne de tomber dans le péché, s’il ne peut en trouver une autre qui lui soit aussi utile. » Texte dans l’édit. Garnier, t. ii, p. 383384. Le neuvième écrit relève, avec une véhémence qui se comprend, un propos énorme attribué à Caramuel (on se rappellera que Caramuel n’est pas jésuite) qui s’abritait derrière Amico : Inquiris an homo religiosus qui fragilitati cedens feminam vilem cognovil, quæ honori ducens se prostituisse tanto viro rem enarrat et eumdem infamat, possit illam occidere ? Quid scio ? At audivi ab eximio pâtre N. theologise doclore, magni ingenii et doctrinse viro : potuisset Amicus (il s’agit d’Amico, celui que Pascal appelle le P. l’Amy et que nous retrouverons plus loin) hanc resolulionem omissise : al semel impressam débet illam tueri et nos eamdem defendere. Doclrina quidem est probabilis, sed qua posset uli religiosus et pellicem occidere ne se infamant. Loc. cit., p. 480. Le même écrit signale enfin le principe fondamental du laxisme : Quid requiritur ut sententia sit probabilis a ratione ? Ut non sit evidenier falsa, dit Caramuel ; complété par cet autre axiome de Tambourini : « Que la moindre probabilité, soit d’autorité, soit de raison, suffit pour bien agir. » Loc. cit., p. 478.

On comprend l’émotion que soulevèrent dans le monde ecclésiastique de semblables divulgations. Rome même s’en émut. Un décret du Saint-Office en date du 21 août 1659, et signé du pape Alexandre VII, prohibe et condamne l’Apologie pour les casuistes. « Sa Sainteté enjoignait que nul, de quelque dignité ou condition qu’il fût, même spéciale ou très spéciale, ne retînt ou lût le livre susdit, ou le fît imprimer, sous les peines et censures portées par le droit, sans préjudice de celles que Sa Sainteté pourrait infliger à son choix. Quiconque possède ce livre, ou le possédera à l’avenir, est tenu de le remettre sous les mêmes peines aux ordinaires ou aux inquisiteurs. » Duplessis d’Argentré, t. in b, p. 296. Ce n’était pas la première déconfiture qu’enregistraient les nouveaux moralistes. Ce ne devait pas être la dernière. Mais à peine l’incident de l’Apologie était-il terminé qu’un autre se greffait sur lui.

3° L’affaire d’Amadœus Guimenius. — Amadams Guimenius est le pseudonyme sous lequel le jésuite Mathieu de Moya, professeur de théologie successivement à Murcie, Alcala et Madrid, confesseur de la reine d’Espagne, avait fait paraître, en 1661, une réponse aux attaques dont la théologie morale des jésuites venait d’être l’objet non seulement on France mais encore en Espagne. Voir Reusch, Dcr Index der verbolencn Bûcher, t. ii, p. 499, et Sommervogel, Bibliothèque de la Comp. de Jésus, t. v. col. 1351. Le livre portait ce titre un peu long mais significatif : Advcrsus quorumdam expostulationes contra nonnullas jesuitarum opinioncs morales, auctorc Amadiro Guimenio Lomarensi olim primario S. T. professorc opusculum, singularia universic fere theologim moralis compleclens, eum indice quxstionum locuplctissimo, ad tructatus do peccatis, de opinione probabili, de fide, de rhuritatc, de justitia et jure, de horis canonicis, de sacrificio missir. dr jejunio, de simonia, de usuris, de baptismo, de pœnitentia, de eucharislia, de matrimonio, de censuris, in-4° de 200 p. Comme il est facile de le voir, c’est tout le programme de la Théologie morale des jrsuites. Le but de l’auteur était de montrer que les opinions de quelques jésuites qu’on jugeait rcpréhensibles avaient été enseignées par des t tléologle&l avant qu’il n’y eût des jésuites au monde. L’intention était louable ; mais et.ut -ce bien le moment de raviver une querelle qui