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619 LIBÉRALISME CATH0LIQ1 E. LES SUCCESSEURS DE LÉON XIII 620

socialisme sont précisées : idée que la société est mal faite, parce qu’elle consacre la propriété et L’héritage contraires à l’équité, et qu’elle est dure aux travailleurs ; idée qu’elle doit être refondue au profit de ceux-ci ; solidarité de tous les travailleurs qui doivent se considérer comme une classe ; droit pour celle classe, qui représente le grand nombre, de détenir le pouvoir et d’ordonner l’institution sociale à son bien propre. Les buts et les méthodes se définissent : substituer, soit par la révolution, soit par la conquête lente dans chaque pays, au salariat et au régime capitaliste le régime coopératif généralisé ou une organisation qui ferait de l’État le maître des biens et le répartiteur des produits du travail ; puis l’entente internationale. Enfin, ses formules mêmes sont acquises : exploitation de l’homme par l’homme ; toutes les institutions sociales ont pour but l’amélioration de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ; droit à l’existence et droit au travail ; démocratie sociale ; parti ouvrier, lutte de classes ; à chacun selon sa capacité, la capacité selon les œuvres, ou à chacun selon ses besoins, à chacun selon ses facultés ; émancipation de la classe ouvrière ; organisation du travail.

En 1848, la démocratie socialiste victorieuse et. grisée par l’acquisition brusque du suffrage universel avait cru l’heure venue d’appliquer les réformes sociales, selon les formules de Louis Blanc. Vaincu et traqué, le mouvement n’en continua pas moins ; il grandit même obscurément puis reparut sous des noms et avec des modalités différentes : internationalisme, collectivisme, anarchisme, partis socialistes nationaux. Mais il se posait surtout en adversaire de l’Église.

b) Le libéralisme, catholique et les tendances nouvelles. Deux écoles libérales. — Entre le libéralisme catholique et ces tendances qui l’avaient suivi de près, il ne pouvait guère y avoir entente complète. Sans doute, Lamennais, qui devait, dès 1834 et surtout plus tard, donner dans une sorte de communisme religieux, avait plaidé dans l’Avenir la cause des ouvriers et revendiqué pour eux le droit de suffrage. Mais le même journal dénonçait les excès possibles de la démocratie et la proclamait limitée par la loi éternelle de justice et de liberté. En 1848, Lacordaire et Ozanam applaudissaient au triomphe de la démocratie, mais ce n’étaient là que des vues et des efforts partiels et isolés.

Dans la seconde moitié du xixe siècle, tandis que la plupart des catholiques, absorbés par leurs luttes entre eux. s’en tenaient au libéralisme économique, un catholicisme social se formait. Dès 1855, Le Play demandait une refonte de la société opérée non par l’État ou par les classes ouvrières mais par les classes élevées. Un peu après, VŒuvre des cercles catholiques, d’abord plus politique que religieuse, se bornant à promouvoir elle aussi la charité chrétienne mais dans la société actuelle, finit par rompre avec le libéralisme économique. S’inspirant de Ketteler, qui inspiré lui-même de Lassalle, avait jeté en Allemagne les bases théoriques et pratiques d’une véritable organisation catholique des travailleurs pour la réforme sociale, VŒuvre admet que la question sociale relève de la justice non moins que de la charité, et que la solution est « le régime corporatif restauré du passé dans l’État chrétien », autrement dit, une organisation professionnelle protégée par l’État, guidé lui-même par les principes chrétiens.

L’Amérique ayant posé, elle aussi, la question sociale à l’occasion des « Chevaliers du Travail », que condamne l’épiscopat du Canada, que soutient l’épiscopat des États-Unis groupé autour du cardinal Gibbons. Léon XIII, qui dans son encyclique Quod apostolici, 28 décembre 1878, avait condamné le socialisme des tructeur de l’ordre et partisan de la violence, jugea le moment venu de faire connaître la pensée de l’Église sur la question sociale. De là l’encyclique Rerum nouarum, 15 mai 1891. Maintenant le droit de propriété, désavouant la lutte des classes, il reconnaissait aux ouvriers le droit de s’unir pour se défendre et aux gouvernements le droit et parfois le devoir d’intervenir en leur faveur. Les patrons doivent à l’ouvrier un juste salaire, sans doute proportionné au rendement de son travail, mais en tous cas suivant son droit à l’existence.

De jeunes catholiques sociaux virent dans l’encyclique une suite du Syllabus, la condamnation du libéralisme économique après la condamnation du libéralisme en général. L’Église, dirent-ils, reconnaît au pauvre comme au riche le droit de vivre dans tous les sens : donc, au nom de la justice et pas seulement au nom de la charité, elle réclame pour l’ouvrier le salaire qui assure la vie, une durée du travail qui n’empêche pas la vie domestique, le repos dominical qui permet la vie religieuse. Et, pour triompher des obstacles, l’Église doit recourir à l’association professionnelle et à l’État. Cf. Léon Grégoire (G. Goyau), Le pape, les catholiques et la question sociale, 2e édit., 1895.

Mais, dès ce moment, et surtout après l’encyclique du 16 février 1892, un mouvement démocratique se dessinait parmi les catholiques français et dans le clergé ; l’on vit apparaître la démocratie chrétienne. Les fleuves ne remontent pas vers leurs sources : les classes dites dirigeantes ont cessé de diriger la société : il faut que l’Église aille au prolératiat, l’aide à s’affranchir, et, le pénétrant d’esprit chrétien, le rende digne du pouvoir qu’il va occuper et du rôle social qu’il va jouer. Tel avait été le rêve de Lamennais, ou, si l’on veut, le fond de son rêve. Ces idées ont pour complément un programme social ou des programmes sociaux « qui s’échelonnent sur la voie qui mène de l’interventionnisme au socialisme d’État et du coopératisme au socialisme pur ». Brocard, Le catholicisme social cl l’idée du droit à l’existence, préface au livre de Ryan. Salaire et droit à l’existence, p. xvi. Les chefs de ce mouvement furent les abbés Garnier, Naudet, Dabry, Fesch, les prêtres-députés Lemire et Gayraud, l’industriel Léon Harmel ; les journaux ou revues qui exposèrent et soutinrent leurs idées furent la Justice sociale, la Vie catholique, la Démocratie chrétienne, la Revue du clergé français, les Annales de philosophie chrétienne, la Quinzaine. Mais le mouvement gagne le groupe du Sillon qui veut pénétrer la démocratie universelle des principes chrétiens, l’élever intellectuellement et moralement, lui donner l’intelligence et l’amour du bien général. Ce groupe veut ainsi la mettre à même, dans l’ordre politique, d’exercer le pouvoir qui lui revient de droit, dans l’ordre civil, d’assurer la paix par la soumission volontaire aux lois faites par elle-même, dans l’ordre économique, de s’assurer la liberté en s’affranchissant du patronat et en lui substituant le système d’une coopération et d’une concurrence fraternelles qui assurent à l’ouvrier tous les fruits de son travail et ramènent aux mains de tous les richesses communes qui reviennent à tous. Cf. Marc Sangoier, Le Sillon, Esprit et méthode, 1905 ; puis les journaux l’Éveil démocratique et la Démocratie.

Réformes sociales et démocratie chrétienne ne sont point synonymes de libéralisme. Toutefois, le libéralisme dut prendre position au sujet des questions posées et un lien se forme entre les trois termes. H se dessine ainsi dans le libéralisme catholique une droite et une gauche. La droite, c’est l’Action libérale populaire, fondée par M. Piou de 1894 à 1902 et moins préoccupée des questions théoriques que « des libertés religieuse, civique et économique, menacées par la tyrannie maçonnique, jacobine et socialiste ». Flornoy,