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591 LIBÉRALISME CATHOLIQUE. LUTTES D’IDÉES SOUS PIE IX

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vie publique que d’y participer en acceptant cette sécularisation ; rien ne peut devenir plus périlleux aux chrétiens « pour leur honneur comme pour leur salut ». Enfin l’Église condamne le naturalisme politique et les chrétiens doivent se souvenir que [’Esprit-Saint l’assiste « pour sa conduite journalière ». § xxi-xxviii. Ainsi s’opposaient les deux doctrines. Ibid., >. 29-210.

5° L’Encyclique « Quanta Cura » et le « Sytlabus » (1864). — 1. Les actes pontificaux. Ce n’était un secret pour personne que Rome préparait un document complet et définitif sur les erreurs modernes, où serait compris le libéralisme catholique : ce document, daté du 8 décembre 1864, comprit l’encyclique Quanta cura et le Sytlabus.

L’encyclique atteignait le libéralisme ; elle condamne en effet et avant tout le naturalisme, qui enseigne que « la perfection des gouvernements et le progrès civil demandent impérieusement que la société humaine soit constituée et gouvernée sans tenir plus de compte de la religion que si elle n’existait pas ; ou du moins sans faire aucune différence entre la vraie religion et les fausses », autrement dit, la sécularisation de l’État, la séparation de l’Eglise et de l’État, l’égalité des cultes devant la loi — « que le meilleur régime est celui où l’on ne reconnaît pas au pouvoir le devoir de réprimer par la sanction des peines les violateurs de la religion catholique, sinon quand la tranquillité publique le demande », autrement dit la liberté de conscience ; car, « de cette idée si absolument fausse », ils déduisent l’erreur « fatale à l’Église catholique et au salut des âmes », qualifiée de délire par l’encyclique Mirari vos, que « la liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme et que les citoyens ont droit à la pleine liberté de manifester hautement et publiquement leurs opinions, par la parole, par la presse ou autrement, sans qu’aucune autorité ecclésiastique ou civile puisse le limiter », véritable « liberté de perdition ». Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1689-1690.

Le Syllabus condamnait, à son § ix, les Erreurs sur le pouvoir temporel du pontife romain et, à son § x, les Erreurs qui se rapportent au libéralisme moderne :

§ lxxvii. « A notre époque, il n’est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’État, à l’exclusion de tous les autres cultes. Alloc. Nemo vestrum, 26 juillet 1856.

§ lxxvih. « Aussi, c’est avec raison que, dans quelques pays catholiques, la loi a pourvu à ce que les étrangers qui s’y rendent y jouissent de l’exercice public de leurs cultes particuliers. » Alloc. Acerbissimum, 27 septembre 1852.

§ lxxix. « Il est faux que la liberté civile de tous les cultes et le plein pouvoir laissé à tous de manifester ouvertement et publiquement toutes leurs pensées et toutes leurs opinions jettent plus facilement les peuples dans la corruption des mœurs et de l’esprit et propagent la peste de l’indifférentisme. » Alloc. Nunquam fore, 15 décembre 1856.

§ lxxx. « Le pontife romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, avec le libéralisme et la civilisation modernes. » Alloc. Jamdudum cernimus, du 16 mars 1861. Denzinger-Bannwart, n. 1777-1780.

Le moment donnait encore plus de gravité à l’acte. La Question romaine retenait alors l’attention du monde politique et religieux. Napoléon III, qui voulait sortir de l’affaire italienne sans mécontenter ni l’Italie ni les catholiques, et qui voyait toutes ses propositions transactionnelles impitoyablement repoussées par Pie IX, venait de signer avec le gouvernement italien la fameuse Convention du 15 septembre qui mécontenta Rome et l’Italie et augmenta le malaise du monde catholique. D’autre part, en Belgique, en France, catholiques libéraux et catholiques intransi geants étaient en pleine bataille autour des discours de Malines ; la lutte avait sa répercussion plus ou moins vive dans toute l’Europe. Enfin, en France, le mouvement irréligieux s’accentuait chez certains journaux amis de l’Empire sous l’impulsion du prince Napoléon, dans la presse républicaine et révolutionnaire sous l’influence du mouvement scientifique dont les représentants sont alors des positivistes ou des alliées, ou parce que l’Église est une puissance d’ordre, que des journaux catholiques s’étaient prononcés pour l’Empire autoritaire et, qu’en dépit des conflits, il paraissait toujours y avoir accord entre l’Empire et l’Église.

La première interprétation de l’encyclique et du Syllabus fut simpliste et la première impression foudroyante. On n’y vit, ou on ne voulut y voir que la condamnation sans appel du libéralisme, de ces libertés que Thiers venait d’appeler, le Il janvier, les libertés nécessaires et dans la conquête desquelles on faisait consister le progrès social et le bonheur des sociétés. Les ennemis de l’Église poussèrent une clameur triomphante : l’Église se démasquait enfin 1 Elle condamnait la société moderne ; la société moderne n’avait plus qu’à « la traiter comme une ennemie ». Cette déclaration de guerre, disait-on encore, est la réponse du pape à la Convention du 15 septembre ; et le gouvernement impérial, afin de prouver à Rome son mécontentement, interdisait aux évêques, le 1 er janvier 1865, de publier l’encyclique dans l’Église. Joie entière chez les catholiques intransigeants. Enfin, l’illusion est dissipée ! « Un catholique ne peut plus être et se dire libéral. » Le Syllabus est même un bienfait social : « Le pape a rendu service aux gouvernements et aux rois. » Monde des 18 février et Il janvier 1865. Le 13 janvier déjà, le même journal citait avec éloges un article où le Pensamiento espanol annonçait qu’il allait prendre pour devise la Lxxx e proposition du Syllabus, c’est-à-dire celle en laquelle les ennemis de l’Église voulaient et veulent encore résumer tout le Syllabus et son esprit.

Par contre, il y eut chez les libéraux un moment de désarroi. « La consternation fut générale, disent les Mémoires du duc de Broglie, loc. cit., p. 430 ; chacun se demandait comme on allait pouvoir accommoder avec la religion ainsi interprétée, les habitudes et les nécessités de la vie commune. Les pères de famille s’inquiétèrent de savoir si c’était là la doctrine qu’on allait enseigner dans le catéchisme à leurs enfants. Des députés, qui venaient de faire avec quelque courage profession de leur foi catholique en appuyant le pouvoir temporel du pape, cherchaient comment ils pourraient concilier leurs convictions avec le serment prêté à une constitution qui glorifiait les principes de 1789. » Le petit groupe du Correspondant fut particulièrement embarrassé. Montalembert et Cochin étaient d’avis de disparaître ; ils ne pouvaient ni se taire, ni adhérer purement et simplement, car ils auraient paru accepter les interprétations intransigeantes. D’autres, de Falloux, de Meaux, faisaient remarquer que se retirer de l’arène, c’était renouveler le geste de Lamennais après la condamnation de l’Avenir et que ni l’encyclique, ni le Syllabus n’ajoutaient rien à l’encyclique Mirari vos, à laquelle cependant le libéralisme catholique avait survécu. « Par bonheur, continue de Broglie, loc. cit., p. 131, nous eûmes du temps pour réfléchir. Le Correspondant ne paraissait alors qu’une fois par mois, le 25. et l’Lncyclique avait été publiée le jour de Noël, 25 décembre 1864. » Ainsi eut le temps de se produire, dit de Broglie, « le coup audacieux, dont le miracle nous sauva ».

2. Les explications ultérieures ; Dupanloup et Ketleler. — L’acte du 8 décembre n’était pas plus une