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LIBÉRALISME CATHOLIQUE, LUTTES D’IDÉES SOUS PIE IX


science et la tolérance, « dans le sens où ont. entendu ces mots les évêques belges et où ils les ont fixés dans les explications données au Saint-Siège, par l’émincnt prélat de Belgique. » S’il parle de tolérance, c’est de la tolérance civile et non de la tolérance dogmatique ; s’il revendique la liberté de conscience, ce n’est pas contre l’Église, mais contre l’État. Et Montalembert cite la définition qu’avait donnée Guizot de la liberté de conscience et que venait de reprendre Ketteler : ’elle est le droft de la conscience humaine à n’être pas gouvernée dans ses rapports avec Dieu, par des décrets et des châtiments humains. » Guizot, L’Église et la société chrétienne, en 1861. Il n’admet pas davantage de liberté illimitée. Ici, comme ailleurs, la raison éternelle et la religion naturelle, le droit de légitime défense que possède la société fixent des limites. Mais, telle, la liberté de conscience lui paraît « la plus précieuse, la plus sacrée, la plus légitime, la plus nécessaire ». Cependant c’est « la moins comprise, la moins respectée. Certains la repoussent parce qu’ils la croient d’origine antichrétienne, parce qu’ils la voient surtout invoquée par les ennemis de l’Église, parce que nous avons plus, ce leur semble, à y perdre qu’à y gagner ». Montalembert s’applique à réfuter ces objections. La liberté de conscience « a la même origine que le christianisme et que l’Église. C’est le non possumus des martyrs ». Et il cite cette parole de Ketteler dans le livre signalé plus haut : « Fondée à son origine, sans l’appui de la force, par la seule efficacité de la parole et de la grâce, par les vertus des chrétiens et le sang des martyrs, c’est par les mêmes moyens que l’unité de foi doit être rétablie et qu’elle le sera certainement, » c. xxiv. Ce sont bien plutôt les hérétiques, protestants et anglicans, et les ennemis de la religion, hommes de la Révolution, qui méconnurent la liberté de conscience ; enfin, dans la société moderne, les seuls catholiques en ont besoin car, seuls, ils alarment les césars ou les démocrates toujours tentés d’opérer la confusion des deux pouvoirs. En renonçant à la contrainte, l’Église ne perd rien. « Sauf de rares et trop fameuses exceptions, la foi catholique ne doit rien à la contrainte… L’Italie, l’Espagne et le Portugal sont là pour prouver l’impuissance radicale du système oppressif de l’antique alliance de l’autel et du trône pour la défense du catholicisme. » Cette alliance n’a valu à l’Église que la haine. A l’heure présente, du reste, il n’y a pas un pays où l’Église n’ait à invoquer la liberté religieuse et où elle puisse encore invoquer le privilège. « Les uns peuvent soutenir que c’est là un malheur ; les autres, que c’est là un bonheur et un immense progrès. Ni les uns ni les autres ne peuvent nier que ce ne soit un fait. » Ce fait, est-il un malheur ? S’appuyant sur l’autorité de Tertullien, de Maistre, des évêques belges, de plusieurs évêques français, dont Parisis et Salinis, devenus depuis plusieurs années hostiles au libéralisme, il concluait : L’Église peut parfaitement s’accorder avec l’État moderne qui a pour base la liberté de conscience, et un chrétien est libre de trouver l’Etat moderne préférable à celui qui l’a précédé. Se souvenant sans doute de l’Avenir, il a soin d’ajouter qu’il ne fait pas de ce régime « l’état normal de la société », car, dit-il, « je ne connais pas d’état normal de la société, » et il n’y a jamais eu un temps où l’Église ait été pleinement satisfaite. « Je suis donc, conclut-il, pour la liberté de conscience dans l’intérêt du catholicisme sans arrière-pensée comme sans hésitation. »

Reste une question : « Peut-on demander aujourd’hui la liberté pour soi et la refuser à l’erreur, c’est-à-dire à ceux qui ne pensent pas comme nous ? » Sa réponse est : « Non. » C’est sa réponse à lui. « C’est mon opinion individuelle, dit-il ; je m’incline devant tous les textes, devant tous les canons ; je n’en conteste

ni n’en discute aucun. » Personnellement dont, il condamne la tentative faite par quelques-uns, — - il vise l’Univers, — -de réhabiliter des hommes ou des choses, l’Inquisition espagnole par exemple, que personne parmi les catholiques ne songeait à défendre ; puis « toutes les violences faites à l’humanité sous prétexte de servir la religion ». II n’aime pas davantage le mot de l’Inquisition espagnole : la vérité ou la mort, que le mot de la Révolution : la liberté, la fraternité ou la mort. Cela ne se verra plus. Mais il faut craindre de paraître ne demander la liberté que pour soi. Ce serait fournir un prétexte aux représailles des faux libéraux, appeler toutes les oppressions, et surtout user de déloyauté, que de réclamer la liberté quand on est le plus faible et de la refuser quand on est le plus fort sous prétexte que l’erreur n’a pas de droits. Après avoir dit : « L’Église ne demande rien de plus que la seule liberté, la liberté de tout le monde, » Univers de mars 1848 et 13 janvier 1855, il ne faut pas redire, dans le sentiment d’une protection illusoire : « L’Église seule doit être libre. » Univers, 30 mars 1855 ; ou après avoir répété, comme sous Louis-Philippe et la République : « La liberté comme en Belgique, » dire : « La liberté doit être restreinte à mesure que la vérité se fait connaître. » — Des droits et non des privilèges, des droits qui permettent de se passer de l’exercice ou de la protection du pouvoir, voilà ce qu’il faut à l’Église. « L’Église libre dans l’État libre ne signifie nullement : l’Église en guerre avec l’État ou étrangère à l’État ; » Église et État doivent être indépendants l’un de l’autre mais coopérer librement. « Cette alliance, dit Montalembert, existe en Belgique en fait comme en droit. Heureux pays ! Sa constitution lui garantit dans sa plénitude la liberté de l’Église, la liberté du bien, la liberté du vrai. Elle y existe avec la liberté du mal, la liberté de l’erreur ; elle n’en est point vaincue. » Pour finir, il a ces paroles optimistes : « Concilier les traditions de l’Église avec les aspirations de la société moderne, dans la liberté, c’est une tâche admirable, égale à tout ce que les apôtres des barbares et les missionnaires de l’Europe ont fait de plus grand… La liberté a ses inconvénients, mais les avantages qu’elle promet sont si nombreux et si grands qu’il faut supporter ses inconvénients avec patience… « Avec la liberté on peut tout souffrir, tout réparer (Paoli). » Cf. la préface de ses Discours, 1. 1. Les mêmes idées y sont exprimées.

Le lendemain, A. Cochin, parlait sur ce thème : le progrès des sciences et de l’industrie au point de vue chrétien et développait cette thèse : « Toutes les sciences prouvent Dieu ; tous les progrès servent Dieu. » Au banquet qui termina l’assemblée, de Broglie parla de la liberté d’association et termina par ces mots : « Si je l’osais, je dirais à la religion et à la liberté : mais n’ayez donc pas si peur l’une de l’autre ; que l’une s’incline et que l’autre s’agenouille, et que la bénédiction donnée par l’une et reçue par l’autre mette un terme aux troubles qui n’ont régné que trop longtemps entre les hommes qui vous ont consacré leur vie. » Correspondant du 25 septembre 1863. Les votes du Congrès furent dans le même sens libéral. « On adopta une série de résolutions ayant pour objet l’observation du dimanche, la multiplication des journaux et des associa’ions catholiques, mais avec la seule vertu de la liberté. » G. de Molinari, Les Congrès catholiques, dans Revue des Deux-Mondes, 25 septembre 1875. Science et progrès matériel se concilient donc avec le catholicisme.

Les deux discours de Montalembert parurent dans le Correspondant des 15 août et 25 septembre 1863, puis en une brochure sous ce titre : L’Église libre dans l’État libre. En terminant le second, Montalembert avait dit : « Je ne saurais terminer une étude où j’ai