Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.1.djvu/299

Cette page n’a pas encore été corrigée

583 LIBÉRALISME CATHOLIQUE. LUTTES D’IDÉES SOUS PIE IX

584

deux autres tendances, infiniment plus redoutables pour l’influence religieuse, entraînent la pensée : le positivisme d’Auguste Comte qui vient de mourir, mais dont l’action va seulement se faire sentir en sa puissance, et le criticisme kantien avec Littré, Taine Renan, Vacherot, Renouvier. Enfin, tandis que Michelet et Quinet ont continué de tourner l’histoire contre le christianisme, la science affirme des tendances matérialistes. Mgr Dupanloup signalera bientôt le péril en des brochures retentissantes : Avertissement à la jeunesse et aux pères de famille, 1863 ; Athéisme et péril social, 1866.

Mais ce danger, dont les libéraux et les intransigeants se rendent réciproquement responsables, s’efface au début devant la question du pouvoir temporel. Le Piémont l’a posée devant l’Europe. Depuis

1848, le Piémont est entré dans la voie du libéralisme politique et même du libéralisme religieux. Le 23 mars

1849, Victor-Emmanuel y a remplacé le roi démissionnaire Charles-Albert ; en 1850, Cavour est entré au ministère de l’agriculture ; dès 1852, il prend en mains la direction de la politique intérieure et extérieure. Il a abandonné l’idée du Risorgimenlo, d’une fédération entre les États italiens, pour l’idée mazzinienne d’une Italie unitaire, mais il veut cette unité au profit de son pays et de la maison de Savoie. Les événements sont connus ; toutefois, il faut rappeler ici ces quelques points : 1. Libéraux et ultramontains furent d’accord pour protester contre les annexions faites par le Piémont, contre l’appui que lui donnèrent Palmerston et surtout Napoléon III ; mais les deux groupes se ne réconcilièrent point et ne firent pas front commun. — 2. Une brochure de Lacordaire, De la liberté de l’Italie et de l’Église, parue le 25 février 1860, provoqua quelque surprise et de la gêne et, comme la réception de l’auteur à l’Académie fut postérieure, ses amis lui demandèrent de ne pas toucher à la question romaine, dans son discours. Lecanuet, op. cit., t. iii, p. 319. Il ne soutenait pas dans sa brochure, comme fit un catholique républicain, Arnaud de l’Ariège, dans une autre brochure intitulée : L’indépendance du pape et les droits des peuples, 1860, que le pape devait renoncer à son pouvoir temporel et accepter la séparation de l’Église et de l’État, ce qui mettrait fin à tous les conflits ; mais il proclamait le droit de la nation italienne à l’indépendance : « La cause de l’Italie contre l’Autriche est juste, au point de vue de la raison ; combien plus au point de vue chrétien 1° Le pape n’est pas nécessairement l’ennemi de cette indépendance : loin de là. Le domaine temporel, d’autre part, nécessaire à la liberté de l’Église, « n’a rien d’incompatible avec la nationalité et la liberté de l’Italie, et Dieu, en plaçant dans cette belle contrée le centre visible de la catholicité, ne lui a demandé le sacrifice d’aucun des biens qui font le bonheur et l’orgueil d’un grand pays. » Sans doute le gouvernement romain est encore un gouvernement d’Ancien Régime, c’est-à-dire n’admet pas encore « l’égalité civile, la liberté politique, la liberté de conscience », mais qui oserait dire : il n’y a à espérer de Rome, qu’une muette et implacable immobilité ? « Rome fera, à son heure, et dans sa liberté, ce qui sera nécessaire au salut du monde. » — 3. Cavour, on l’a dit ci-dessus, col. 507, essaya de justifier son œuvre et de la compléter en offrant à l’Église, contre ses territoires, la paix et la liberté en Italie et, par contre-coup, dans toute l’Europe. L’Église libre dans l’État libre, lui parut une formule propre à tout concilier. Il essaya, à cette occasion, de lier à sa cause Montalembert. Celui-ci se défendit énergiquement de toute assimilation. Les théories de Cavour ne pouvaient cependant que nuire dans l’esprit du Saint-Siège au libéralisme catholique. — 4. Le 29 janvier 1860, l’Univers fut supprimé par le gouvernement

impérial pour avoir publié l’encyclique Nullis certe verbis, du 19 janvier, malgré la défense qui lui en avait été faite. Le 17 février, le Monde remplaçait V Univers. Veuillot n’y écrira jamais.

4° Les manifestes libéraux. Les discours de Malines (1861-1863). — Le péril de l’Église ne ramena pas l’union entre les deux écoles catholiques françaises-L’usage que faisait Cavour du programme libéral fournit au contraire aux intransigeants de l’Univers et de la Civiltà cattolica une arme de plus. Les libéraux crurent devoir se justifier.

1. En 1861, paraissait un livre intitulé, Les principes de 89 et la doctrine catholique, par un professeur de grand séminaire, in-8°, Paris. La thèse de l’auteur est la suivante. Il faut distinguer entre les principes, dits de 89, et les conséquences que l’on en peut tirer. Les principes, « loin d’être repoussés par l’Église en tout état de société, ont été au contraire enseignés par les théologiens catholiques avant ceux qui les prônent comme s’ils en étaient les révélateurs ». La Révolution n’a pas tiré les conséquences logiques de ces principes « qu’elle force, altère ou détruit ». Ainsi « le problème de l’accord entre l’autorité et la liberté, du progrès dans l’ordre et le respect de tous les droits est insoluble pour la Révolution et peut être résolu par la doctrine chrétienne, conformément aux principes bien entendus de 89°, p. 3. L’auteur confronte chaque article avec l’enseignement des grands théologiens, saint Thomas, Bellarmin, Suarez, pour en montrer l’accord. Ce que les papes Pie VI et Grégoire XVI ont condamné, c’est l’interprétation abusive de ces principes. Soit, par exemple, le principe de la liberté des cultes. Cette liberté ne saurait être admise et n’a jamais été admise par aucun peuple, sans limites ; ce serait poser que tous les cultes sont également bons, ce serait de l’indifîérentisme. Mais les théologiens n’admettent pas davantage l’intolérance absolue. Pour les uns, la liberté des cultes doit être réglée, non d’après la vérité intrinsèque des religions, mais d’après « le but direct et propre de la société civile », c’est-à-dire le bien naturel et temporel. Le souverain n’a, d’ailleurs, aucune autorité sur la religion, et la lutte spirituelle pour le triomphe de la vérité est la seule en harmonie avec l’Évangile. Pour d’autres, seule la vraie religion, le catholicisme, a, de droit naturel et de droit divin, la liberté. L’erreur et le mal ne sauraient être le fondement d’un droit. Mais la tolérance peut se justifier, en fait, par l’intérêt de la société civile, pour la paix, et même de l’Église, pour éviter des représailles, p. 108-110. C’étaient là des thèses déjà esquissées, voir les Cas de conscience de Parisis. Néanmoins Cochin traduisit aussitôt l’approbation des catholiques libéraux : L’Église et la société chrétienne en 1861, dans le Correspondant du 25 octobre, p. 163 sq. Mais le livre fut mis à l’Index ; Cochin et Dupanloup obtinrent que l’auteur pût donner une seconde édition, corrigée par des théologiens romains. Elle parut en 1863, avec le nom de l’auteur, l’abbé Godard, professeur au grand séminaire de Langres. Cette seconde édition, maintenant les rapprochements entre les principes de 89 et les textes des théologiens, Cochin put affirmer à son tour que l’Église ne condamnait pas ces principes. La doctrine catholique et les principes de I789, dans le Correspondant du 25 février 1863.

2. En 1862, paraissait ensuite à Mayence un livre intitulé : Freiheit, Autoritàt und Kirche, Erôrterungen ùber die grossen Problème der Gegenwart, par le baron von Ketteler, évêque de Mayence, que l’abbé Belet traduisit immédiatement, et dont Albert de Broglie rendit compte dans le Correspondant du 25 mars. L’évêque se posait la question des rapports de la foi et de la liberté. « Quelles libertés les catholiques ont-ils le droit de réclamer pour eux-mêmes ? le devoir ou la