Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.1.djvu/287

Cette page n’a pas encore été corrigée

559

    1. LIBÉRALISME CATHOLIQUE##


LIBÉRALISME CATHOLIQUE. LAMENNAIS ET L’AVENIR

560

duirait au triomphe définitif prédit par son maître ; mais l’Eglise pouvait-elle, sur leurs seules affirmations, courir l’aventure en sacrifiant un état de choses acceptables, qui plus est, en sacrifiant des principes ?

La démarche était d’autant plus dangereuse que l’Avenir comptait à Rome d’actifs adversaires : les cardinaux Bernetti, secrétaire d’État, Lambruschini, ex-nonce à Paris, et qui tient ici de cette qualité une importance particulière ; très favorable à Lamennais au début, il s’était séparé de lui, à mesure que l’Avenir séparait les causes de l’Église et de Henri V. Des propos avaient couru, à lui attribués, tels que Lamennais avait cru devoir lui en écrire une lettre de protestation par l’intermédiaire de l’abbé Vuarin, curé de Genève. Il est vrai que Vuarin avait jugé bon de ne pas la transmettre. Cf. V. Giraud, Une correspondance inédile de Lamennais, dans Revue des Deux Mondes, 15 octobre et 1 er novembre 1905. Avec eux le cardinal de Rohan, archevêque de Besançon, réfugié à Rome depuis juillet, les jésuites à qui Lamennais reprochait de ne pas s’adapter au monde moderne et qui rejetaient et les doctrines politiques de V Avenir et la philosophie de Lamennais. — Ceux-ci jetèrent même à ce moment la question philosophique dans le débat : c’était rendre difficile, sinon impossible, une approbation des doctrines politiques de V Avenir, plus ou moins liées à la philosophie de Lamennais. Gerbet avait fait paraître un ouvrage intitulé : Sur la controverse chrétienne, depuis les premiers siècles jusqu’à nos jours, in-8°, complément d’un premier livre publié en 1826 : Des doctrines philosophiques sur la certitude dans leurs rapports avec les fondements de la théologie. Tout deux étaient un exposé et une démonstration de la philosophie de Lamennais : « Qu’est-ce que croire ? qu’est-ce que savoir, disait Lacordaire, résumant et louant le livre : Sur la controverse, dans l’Avenir du 7 novembre 1831, t. vii, p. 67-72 ; M. l’abbé Gerbet avait déjà examiné l’une et l’autre (question) en 1826, mais à l’aide du seul raisonnement ; aujourd’hui, c’est avec l’histoire. » Le P. Rozaven, qui avait la réputation d’un grand théologien, fit donc paraître à ce moment cette réfutation, écrite depuis quatre ans, du premier livre de Gerbet : Examen d’un ouvrage intitulé : Des doctrines… par l’abbé Gerbet, Avignon, 1831. — Mais « les pèlerins de Dieu et de la liberté » avaient pour eux leur incontestable bonne foi, le prestige du talent et les services rendus : comment condamner de tels défenseurs de l’Église et du Saint-Siège ? Ils avaient du reste, à Rome même, des défenseurs de marque : les cardinaux Micara, austère et populaire, Olivieri, dominicain, uniquement préoccupé de justice et de vérité, des religieux, surtout le P.Ventura. — Grégoire XVI, après avoir consulté Lambruschini, Ventura et un prêtre de Modène, Baraldi, rédacteur d’un journal favorable à l’Avenir, s’arrêta à la solution du silence. Ce fut le malheur des trois pèlerins de l’en avoir fait sortir et d’abord d’être venus à Rome : « Jamais, écrivait de Sacy dans les Débals du 8 juillet 1832, jamais l’esprit qui nous est propre n’a mis la cour de Rome plus mal à son aise. »

2. La condamnation et l’encyclique Mirari vos. — Divers faits obligèrent Grégoire XVI à sortir du silence et par conséquent à condamner.

D’abord l’insistance des trois rédacteurs. Arrivés à Rome le 30 décembre, ils composèrent, et Lacordaire rédigea un Mémoire justificatif, daté du 3 février 1832, que le pape lut et relut. Le Mémoire rappelait évidemment la Déclaration du 6 février. On y faisait le procès de la Restauration et de la monarchie de .luillet, de façon à conclure que la conception de l’Église dans l’État, séparée de l’État, indépendante despartis politiques, sous la sauvegarde du droit commun, s’imposait. En des phrases insistantes, on deman dait au pape de faire examiner les doctrines soutenues et, si l’orthodoxie de celles qui relèvent de la théologie était reconnue, de faire connaître — ici l’on visait l’épiscopat — que l’action de l’Avenir et de l’Agence ne pouvait être désapprouvée. Le cardinal Pacca, par qui le Mémoire avait été transmis au pape, répondit le 25 février que, tout en regrettant la division amenée dans le clergé de France par certaines doctrines de l’Avenir, inopportunes et à tout le moins dangereuses, Grégoire XVI allait faire entreprendre l’examen demandé. Cet examen devait être long, pour être approfondi. Les trois amis feraient bien de retourner enFrance.

Une commission fut en effet chargée par le pape d’étudier les doctrines de l’Avenir. Le 13 mars, grâce au cardinal de Rohan, les trois obtinrent une audience du pape. On sait quelle fut cette entrevue. Lamennais en fit néanmoins une victoire, tant ses adversaires avaient répété qu’il nel’obtiendrait pas ! Deux jours après, Lacordaire qui n’avait jamais été en pleine communion d’esprit avec lui, qui lisait dans l’âme de son maître peut-être mieux que celui-ci même, qui avait compris le silence de Rome, que la lettre de Pacca avait achevé d’éclairer, rentrait en France. Lamennais, arrêté par des embarras financiers et par son obstination, attendant toujours d’être appelé et entendu, et Montalembert ne quittèrent l’Italie que le 9 juillet. Dans l’intervalle, Lamennais avait commencé un ouvrage qu’il n’acheva pas, où il accentuait ses idées : Des maux de l’Église et de la société et des moyens d’y remédier.

Divers faits hâtèrent plus ou moins la sentence du pape : Lamennais parlait hautement de reprendre la publication de l’Avenir et, le 15 juillet, arrivait à Rome un catalogue de cinquante-six propositions dont seize extraites de l’Avenir, concernant le libéralisme catholique, et la plupart des autres visant la philosophie menaisienne, que deux archevêques et onze évêques de France condamnaient d’un commun accord et que presque tous les évêques français, soixante-trois, allaient condamner. Sur la Censure de Toulouse, cf. art. Lamennais, t. viii, col. 2510-2513. Le 9 août, les consulteurs remettaient au pape leur avis et, le 15, celui-ci publiait l’encyclique Mirari vos, sa première.

L’acte pontifical, après avoir gémi sur la situation faite à l’Église, en particulier sur la servitude où la tiennent les pouvoirs civils, sur le caractère irréligieux de l’enseignement, et rappelé les droits de la hiérarchie, condamnait V indi/férentisme, c’est-à-dire l’égalité théorique de toutes les religions ; puis, et à partir de ce moment il atteignait l’Avenir, il condamnait, découlant « de cette source infecte de l’indif férentisme, la liberté d’opinions pleine et sans bornes » et, par conséquent, la liberté de conscience, la liberté entière de la presse. Il rejetait ensuite, dans l’ordre politique, « les doctrines qui ébranlent la fidélité et la soumission dues aux princes et qui allument partout le flambeau de la révolte », comme contraires aux lois divines et à la tradition de l’Église. Enfin il condamnait la séparation de l’Église et de l’État, les associations entre gens de toutes religions, même des fausses, où « feignant le respect de la religion, l’on préconise toute espèce de liberté, l’on excite des troubles contre le bien de l’Église et l’on détruit l’autorité la plus respectable. Ni l’Avenir, ni Lamennais n’étaient nommés. — L’encyclique, qui rejoignait les brefs où Pie VI condamnait déjà certains principes de la Révolution, fixait la doctrine de l’Église sur les libertés modernes et préparait ainsi l’encyclique Quanta cura.

C’est le 30 août au soir, à Munich, vers la fin d’un banquet où se fondait l’union des catholiques français et allemands, que les trois pèlerins de Dieu et de la liberté connurent la sentence du juge infaillible. Une