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LIBERALISME CATH0LIQ1 I.. LAMENNAIS ET L’AVENIR

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que n’existe plus « la croyance à une même loi universellement reconnue divine, et à une autorité qui promulgue et interprète infailliblement cette loi ». I l’autre part, « le système brutal tonde sur l’obéissance forcée à un homme dont la raison l’ait la vérité, et la volonté la justice » viole « tout ensemble et le droit de Dieu et le droit de l’homme ». Il ne peut « s’établir et subsister », car il serait « le complet anéantissement de toute vérité et de toute justice, de tout devoir et de tout droit réel ». Reste donc un troisième système « fondé sur la seule raison humaine », la liberté individuelle « égale pour tous, entière pour tous ». ( le système, qui réalise du moins « une des conditions de l’ordre, la liberté, sans laquelle nulle intelligence, nulle conscience, nul devoir, nul droit…, est aujourd’hui le seul possible. » Il est « nécessaire » même, car seul il peut « nous préserver des deux plus grands maux qu’aient à redouter les peuples, le despotisme et l’anarchie. » T. i, p. 217-223. Mais cela est une ascension vers l’ordre social idéal où la Providence conduit l’humanité. « Comme, dans la famille, il vient une époque où, par la nécessité même des choses, l’enfant qui a crû en intelligence devient naturellement libre de la même liberté que le père, il vient également une époque où, par la même nécessité, les peuples qui ont aussi crû en intelligence deviennent naturellement libres comme les pères de la grande famille. C’est le temps de leur royauté, et ce temps est venu pour les peuples chrétiens. »

c. L’Église et la liberté. — Mais l’Église peut-elle accepter ce programme qui ne tient pas compte de ses droits spéciaux, antérieurs à la volonté de l’homme et remet tout à la décision libre de l’homme ?

h’Avenir n’en doute pas, et ce n’est pas comme une déchéance qu’il lui propose l’alliance avec la liberté. Lamennais disait, au premier article de l’Avenir. « Les catholiques, instruits par l’expérience, ont reconnu que le pouvoir était pour la religion un mauvais appui, qu’elle a sa force ailleurs, c’est-à-dire en elle-même, et que sa vie est la liberté… ; elle périssait si Dieu lui-même… n’avait préparé son affranchissement et le devoir des catholiques est aujourd’hui de coopérer de toute leur puissance à cette œuvre de salut et de régénération. Car enfin, qu’ont-ils à désirer, sinon la jouissance effective et pleine de toutes les libertés qu’on ne peut légitimement ravir à aucun homme. » T. i, p. 4. Considérations sur l’époque actuelle. « Cela est nouveau sans doute, mais, continuait-il, tout n’est-il pas nouveau, inouï dans ce qui se passe depuis quarante ans ? Il y a des époques d’exception où l’on ne doit ni se conduire, ni juger d’après… les règles ordinaires. » Ibid.

La liberté, l’Église peut s’en réjouir. La liberté ne blesse en rien la conscience : « Elle laisse à chacun le droit de croire tout ce qui lui paraît vrai, et d’agir selon ses croyances ; en établissant la plus parfaite tolérance civile, elle n’enferme à aucun degré la tolérance dogmatique… La catholique ne renonce à aucun point de sa doctrine ; il la prêche, la défend, la propage. .., reconnaissant le même droit légal au protestant et au juif. » T. i, p. 151. Ensuite, la liberté assure à l’Église le respect de ses droits les plus sacrés que les régimes despotiques n’ont jamais assuré.

Il y a bien une objection : « Le catholique doit-il vouloir pour tous la liberté’?… Mais quoi ! la liberté pour tous ! la liberté pour l’erreur ! » — « Oui, répond l’Avenir, parce que cette constitution sociale est la seule possible maintenant ; parce que les quatre constitutions antérieures n’ont pu laisser à l’Église la liberté qui lui appartient de droit divin… », parce que les états sociaux qu’elles ont créés « ont été démontrés ou injustes, ou faux, ou incomplets ». « La liberté pour tous… oui », parce qu’alors « l’Église jouira de

la sienne, sans combat…, avec sécurité…, parce qu’il reste à la vérité sa puissance propre. » Ibid., p. 106, 107.

L’Église, d’ailleurs, serait mal venue à s’opposer à la liberté, puisqu’elle lui a donné naissance et que, par la liberté seule, l’Église réalisera vraiment sa mission divine. C’est Lamennais, dans les deux articles, De l’avenir de la société et dans un troisième, postérieur de quelques jours, Ce que sera le catholicisme dans la société nouvelle, n. 257, 30 juin 1831, t. v, p. 182-190, qui traduit le mieux ces idées souvent reprises par l’Avenir. « Loin d’avoir quelque chose à craindre du changement qui s’opère dans le monde, le christianisme en est lui-même, dit-il, le principe moteur. Il trouva le monde esclave, sa mission politique était de l’affranchir ; en proclamant le règne de l’intelligence, la suprématie de l’esprit sur la chair, de la raison sur la force, du droit sur le fait, il posa l’immuable et sacré fondement de la liberté… Et de siècle en siècle, à mesure qu’il a développé l’intelligence sociale, il a développé proportionnellement la liberté. » Il créa d’abord « ce qu’on appelle aujourd’hui le peuple, c’est-à-dire qu’il fit passer à l’état d’homme les innombrables troupeaux d’esclaves » ; ainsi naquirent « les peuples enfants » ; peu à peu, « par une éducation progressive », l’Église les amena à l’âge de la liberté. Ils y arrivent aujourd’hui.

Enfin, ce changement même était « nécessaire au développement du catholicisme, suspendu » par le protestantisme et par l’asservissement où le tenaient les rois. Maintenant, l’Église verra se réaliser « ce que l’on appelait ses prétentions les plus hardies, et, comme on les concevait, les plus exorbitantes. » Affranchis du joug de l’homme, conquis par la puissance de la vérité, les peuples librement viendront à elle en « sujets volontaires » et, alors, ce sera : « l’unité progressive du genre humain, sous une même loi, dans une même société que n’altéreront point les différences nationales ; la royauté temporelle du Christ par l’affranchissement des peuples et la liberté de pensée et de conscience ; la séparation absolue, en ce qui touche leurs juridictions respectives, de l’Église et de l’État, de l’ordre spirituel et de l’ordre administratif. Ce qu’on peut désirer de plus n’est pas de la terre. Fiel union ovile et unus pasior… C’est là ce royaume dont Jésus-Christ nous a lui-même appris à « demander l’avènement… »

3. Le programme libéral de V « Avenir ». — Ces idées sont le point de départ d’un plan détaillé, dont il faut maintenant étudier les grandes lignes, qu’il s’agisse soit des libertés qui intéressent plus spécialement la société civile, soit de celles qui ont un rapport plus étroit avec les intérêts religieux.

a) Libertés qui intéressent plus spécialement la société civile. — Elles se ramènent aux libertés politiques civiles et économiques.

a. Liberté politique et décentralisation. Suslème électoral, législatif et administratif. — L’Avenir ne regrette ni l’Ancien Régime où la royauté, d’abord « constituée catholiquement », accomplit, « le schisme gallican », et, déclarant « n’avoir de compte direct à rendre qu’à Dieu seul », cessa de « reconnaître au peuple l’ombre même d’un droit », t. vi, p. 170, 171 ; ni la Restauration maladroite qui. vainement, essaya de concilier « le principe de la souveraineté absolue d’un seul et le principe de la souveraineté absolue de tous », et qui « acheta au prix de ce que les chrétiens avaient de plus cher, chaque sursis qui lui était accordé. T. i, p. 66. Le principe de la souveraineté du peuple a donc triomphé. Il n’y a pas lieu de le rejeter, à la condition de l’entendre, non pas au sens de Jurieu et de Roussi, ni, que le peuple tient de lui-même sa souveraineté et que toutes ses décisions sont justes par le fait