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    1. LIBÉRALISME CATHOLIQUE##


LIBÉRALISME CATHOLIQUE. ORIGINE

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les libéraux du Globe, par A. Comte, par une partie du jeune clergé rebelle aux Antidotes, Lamennais, dans un Mémoire confidentiel, presse Léon XII de prendre parti ouvertement, de condamner le gallicanisme et le libéralisme et de dégager hardiment l’Église des servitudes passées. Cf. A. Biaise, Œuvres inédites de F. Lamennais, Paris, 1860, t. n : Mémoire adressé à Léon XII sur l’état de l’Église en France (incomplet) ; Dudon, Fragment inédit d’un mémoire de Lamennais dans Recherches de science religieuse, septembre-octobre 1910 et Lamennais et le Saint-Siège (1820-1834), Paris, 1911. Prudemment le pape se tut. Mais sans attendre une approbation dont le défaut lui pesa, Lamennais continuait son attaque contrele gallicanisme. En 1826 encore, il publiait, à l’usage des séminaristes qui auraient des évoques favorables à l’enseignement des quatre articles, une brochure de 8 p. in-8° : In quatuor arliculos… aphorismata ; puis il rééditait avec notes les Lettres sur les quatre articles par le cardinal Lilta, in-12, Paris, voir Litta, irritant de plus en plus libéraux et gallicans.

2. L’évolution vers le libéralisme. —

Mais les événements se développent : Montlosier a dénoncébruyamment à la France quatre fléaux conjurés : l’ultramontanisme, le parti prêtre, la Congrégation et les jésuites, et demandé l’exécution des lois et des traditions gallicanes ; les libéraux dénoncent eux aussi la Congrégation, les jésuites, le parti prêtre et ses efforts pour restaurer l’Ancien Régime aggravé de la domination romaine, et ils accusent la droite de pactiser avec ces ennemis de la liberté. Sous la poussée, le pays légal se détache manifestement du trône et se montre hostile à l’autel. Il élit une majorité d’opposants, que groupe ce même programme : respect intégral de la Charte et par conséquent respect des libertés qu’elle promet, souveraineté du Parlement et indépendance de l’État à l’égard de l’Église. Le ministère Villèle doit céder la place à un ministère Martignac. Une bataille religieuse s’engage ; cette fois, c’est au sujet de l’enseignement, question souvent débattue depuis la Restauration (voir plus loin), et au sujetdesjésuites.Le21 avril 1828, une ordonnance nouvelle modifiait une ordonnance vieille de quatre ans et réduisait l’influence du clergé sur l’enseignement primaire ; le 16 juin, deux autres ordonnances excluaient les jésuites et les membres des congrégations non autorisées des écoles secondaires, et réglementaient, comme l’eût fait un Joseph II, la vie despetitsséminaires. Dans un Mémoire adressé au roi, les évêques opposèrent un non possumus formel, mais, sur l’injonction de Rome, ils se turent — sauf un, le cardinal de Clermont-Tonnerre — et se soumirent.

Ici Lamennais intervient, comme il est intervenu dans la question gallicane ; ces atteintes à l’indépendance de l’Église l’irritent et, en février 1829, il publie un livre qui étonne, émeut la France et l’Europe, et qui, accentuant et dépassant les idées de son livre précédent, De la religion, le montre presque arrivé au libéralisme catholique qui sera celui de l’Avenir. Ce livre est intitulé : Des progrès de la Révolution et de la guerre contre l’Église, in-8°, Paris.

Si on laisse de côté ce qui concerne les ordonnances, voici les idées essentielles de l’ouvrage : Pour une société comme pour les individus, il y a des lois nécessaires, c’est-à-dire qui découlent de la nature même des choses. Or, de ces lois nécessaires, la première est que cette société se laisse conduire par la vérité universelle, éternelle, dont l’expression vivante est l’enseignement de l’Église. Seule, en effet, l’Église peut enseigner et imposer aux gouvernements la loi éternelle de justice et de vérité qui les garde du despotisme et assure aux sujets la liberté, et à ces sujets la soumission volontaire qui assure le maintien de l’ordre. Et « tel est le besoin qu’ont les nations d’un pouvoir légitime et de la liberté, qu’il est impossible que, tôt ou tard, après avoir inutilement cherché l’une et l’autre hors du christianisme, elles ne reconnaissent pas qu’en lui est le principe même de l’existence sociale. » Ainsi le gallicanisme, ou, comme il dit, « la doctrine royaliste gallicane », établissant « l’idolâtrie d’une puissance humaine » et l’indépendance de cette puissance à l’égard de l’Église, ne peut conduire qu’au despotisme, et le libéralisme dogmatique, synonyme d’individualisme, dont le principe fondamental est le principe protestant et cartésien de la souveraineté absolue de la raison, ne peut provoquer qu’anarchie et arbitraire. Quelle doit donc être l’attitude de l’Église dans les circonstances actuelles ? Elle ne saurait « s’allier avec le pouvoir politique qui travaille à la détruire en l’asscrvissant », inconsciemment peut-être. « Le christianisme ne représente aucune forme de gouvernement. » D’ailleurs « il s’allie à toute forme de police, mais, par ses maximes et son esprit, il est souvent incompatible avec les doctrines d’anarchie et de despotisme. » Il ne saurait davantage « s’allier avec le libéralisme que ses doctrines actuelles rendent l’ennemi le plus ardent de l’Église et du christianisme, en même temps qu’elles renversent la base de la société et consacrent tous les genres de tyrannie et d’esclavage. »

Toutefois le libéralisme pourrait être tout autre chose. Par lui-même, il est « éminemment social… Il repousse le joug de l’homme, le pouvoir sans droit et sans règle ; il réclame une garantie contre l’arbitraire… » Il est d’origine chrétienne ; « il n’est que l’impuissance où le peuple chrétien est de supporter un gouvernement arbitraire, ou le joug d’un pouvoir purement humain. » L’Église enfin n’a besoin que d’indépendance et de liberté. « La liberté lui est nécessaire avant tout, liberté d’enseignement, de discipline, de culte, et cette liberté, elle n’en jouira jamais, aussi longtemps qu’elle la cherchera dans les transactions avec les puissances temporelles. » En conséquence, « que l’Église évite de lier, ou de paraître lier indissolublement sa cause à celle des gouvernements qui l’oppriment, qu’elle se fortifie elle-même au milieu de la lutte des peuples et des rois, sans y prendre aucune part directe. Les combattants tomberont un jour à ses pieds. Qu’elle se considère comme indépendante ; elle est le seul pouvoir réel qui subsiste aujourd’hui. C’est au Pasteur suprême qu’il appartient de sauver la foi et la société en rompant les liens qui arrêtent l’action de la Providence. » Que les évêques aussi agissent dans le même sens, se réunissent en synodes, en conciles, correspondent avec Rome. « Xous demandons pour l’Église catholique, avait-il dit dans la préface, la liberté promise par la Charte à toutes les religions, la liberté dont jouissent les protestants et les juifs. Xous demandons la liberté de conscience, la liberté de la presse, la liberté de l’éducation, et c’est là ce que demandent comme nous les catholiques belges, opprimés par un gouvernement persécuteur. » Enfin, pour être digne de sa mission, le clergé doit renouveler ses méthodes et sa vie, et travailler à prendre la direction du mouvement intellectuel. Sur tous ces points, voir, Des progrès de la Révolution, c. tx. Lamennais a franchi un nouveau pas, le pas décisif, vers le libéralisme : il y touche. Il n’emploie pas encore les formules de l’Avenir mais elles se préparent. Il n’écrit pas : rupture du concordat ou séparation de l’Église et de l’État, mais il veut que l’Église rompe tout lien avec le pouvoir, même au prix de ce qu’il appelle déjà « le salaire ». qu’elle se sépare du trône, auquel visiblement il ne tient plus. La liberté l’attire. Il distingue, dès maintenant, un faux libéralisme, ennemi de l’Église et de la liberté pour tous, et un vrai, dont l’Église peut accepter, sinon toutes les doctrines, du moins l’appui. Il ne réclame pas encore « toutes les libertés pour tous »