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357 LÉON XIII. SON ACTION INTELLECTUELLE, SOCIALE, INTERNATIONALE 358

3° Le rôle international de la papauté sous Léon XIII.

— Le rôle des papes au Moyen Age, pacifiant les conflits entre les divers États, hantait la magnifique imagination de Léon XIII ; et son pontificat marqua, dans l’histoire de l’Église, les débuts de la réaction contre cette laïcisation du droit international qui datait des traités de Westphalie, et qui tendait à dénier au Saint-Siège toute compétence dans les questions relevant du droit des gens. Bismarck, en 1885, sollicita de Léon XIII, d’accord avec l’Espagne, l’intervention pontificale dans l’affaire des Carolines. Léon XIII, tout en faisant acte de médiateur, affecta de parler en pape docteur. Ce fut le trait caractéristique de son verdict de trancher le différend politique en étudiant, à la lumière de la théologie, les données du problème. L’Espagne avait, la première, abordé jadis dans les îles Carolines ; elle les avait, à plusieurs reprises, fait évangéliser. Mais l’Allemagne objectait : « Ces îles, depuis un siècle ou deux, ne sontpas occupées, donc je m’y installe. » Léon XIII, dans cette compétition, fit intervenir la théorie catholique du droit de propriété. De même que ses prédécesseurs avaient insisté près des grands propriétaires des États romains pour qu’ils cessassent de laisser en friche les terres qui nominalement leur appartenaient, sous peine d’être déchus de leur droit de propriété, de même en reconnaissant, à rencontre de Bismarck, les droits antérieurs de l’Espagne à la possession des Carolines, il insista pour que l’Espagne fît un usage effectif de ce droit de domaine politique, et pour que cette possession cessât d’être abandonnée, inutilisée. La sentence papale au sujet des Carolines ne marqua pas seulement la rentrée de la papauté dans le jeu des affaires humaines, mais la rentrée de la doctrine morale et sociale de l’Église dans le règlement de ces affaires.

L’encyclique de 1888 aux évêques brésiliens, commentant les textes de saint Paul sur la fraternité humaine, disait de ces textes : « Ce furent là comme des greffes divines qui réussirent à merveille et qui furent fécondes en promesses, fécondes pour le bonheur public, lorsque au cours du temps, l’effort de l’Église se poursuivant, la Societas civitatum, renouvelée à la ressemblance d’une famille, se resserra, chrétienne et libre. » C’est ainsi que, trente ans avant le traité de Versailles, le mot de Société des États apparaissait dans une encyclique de Léon XIII.

Le Il février 1889, Léon XIII, dans une allocution consistoriale sur la mission pacificatrice de l’Église, évoquait le péril d’une guerre européenne et dénonçait les charges et les dommages de la paix armée ; cette même préoccupation, et son désir de trouver pour la paix des peuples des garanties chrétiennes, réapparaissaient dans sa lettre Præclara de 1894.

Lorsque en 1898, le comte Mouraview, au nom du tsar Nicolas II, entretint Léon XIII d’une conférence internationale qui étudierait le problème du désarmement et la solution pacifique des conflits entre les États, le cardinal Rampolla répondit au comte Mouraview. le 15 septembre 1898, dans une note préparée par Mgr délia Chlesa, le futur Benoit XV : - On a voulu régler les rapports des nations par un droit nouveau, fondé sur l’intérèl utilitaire, sur la prédominance de la force, sur le sucrés des faits accomplis, sur d’autres théories qui sont la négation des principes éternels et immuables de justice ; voilà l’erreur capitale qui a conduit l’Europe à un étal désastreux. » En réponse à un nouveau message de Mouraview, envoyant le programme des questions qui devaient être soumises a la conférence Internationale) le cardinal Rampolla déclarait : il manque dans le consortium interna tion.il des i tats un système « le moyens légaux et moraux propres a déterminer, a faire prévaloti le

droit de chacun. Il ne reste dès lors qu’à recourir immédiatement à la force… L’institution de la médiation et de l’arbitrage apparaît comme le remède le plus opportun. Elle répond à tous égards aux aspirations du Saint-Siège. Peut-être ne peut-on pas espérer que l’arbitrage, obligatoire par sa nature même, puisse devenir, dans toutes les circonstances, l’objet d’un acceptation et d’un assentiment unanimes. Une institution de médiation, investie d’une autorité revêtue de tout le prestige moral nécessaire, munie des indispensables garanties de compétence et d’impartialité, n’enchaînant point la liberté des parties en litige, serait moins exposée à rencontrer des obstacles. »

Malgré cet échange de messages, aucune convocation à la Conférence de la paix ne fut adressée par la Hollande au pape Léon XIII, le gouvernement italien ayant exigé que le pape ne fût pas invité. Le 29 juillet 1899, dernier jour de la conférence, lecture fut donnée d’une lettre de Léon XIII à la reine "Wilhelmine, sur le rôle pacificateur qu’avait joué la papauté dans l’histoire, et sur la façon dont « elle sait incliner à la concorde tant de peuples au génie divers. » Mais quelle que fût la déférence qui accueillit cette lecture, l’hostilité italienne avait atteint son but : les conventions adoptées par la conférence de la Haye au sujet du droit de paix et de guerre ne portaient pas la signature du pape. Ce fut là l’une des plus grandes douleurs causées à Léon XIII par l’Italie ; il lui apparut que la situation créée à la papauté par la journée du 20 septembre 1870 empêchait la papauté d’exercer les fonctions qu’attendaient d’elle, non seulement ses fidèles de tout l’univers, mais même des puissances séparées de l’Église, comme celle du tsar.

On vit, en 1900, le congrès international pour la protection légale des travailleurs traiter Léon XIII comme un législateur social. « L’existence de la papauté, déclara M. Keufer, son influence sur nombre de patrons et sur une portion de la classe ouvrière, sont des faits qu’il serait puéril de nier et dont il n’est pas possible de ne pas tenir compte. » Le pape fut invité, comme les autres gouvernements, à envoyer un délégué au comité de l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs ; et le congrès que cette association tint à Cologne en 1902 entendit une lettre du cardinal Rampolla accréditant ce délégué. Ainsi, tandis que les diplomates européens avaient laissé s’accomplir les mesures d’ostrasclsme qui exilaient la papauté des conférences de la Haye, une assemblée internationale qui s’occupait des problèmes ouvriers ratifiait, au contraire, l’éclat de l’intervention pontificale dans le domaine social en demandant à Léon XIII la présence d’un représentant du Saint-Siège. Le pape qui naguère avait accueilli les pèlerinages ouvriers trouva dans cet appel une de ses dernières joies.

Léon XIII mourut le 20 juillet 1903, âgé de quatrevingt-treize ans.

1. Sources.

1° Documents ipiacopaux et pontificaux. — Qiuvrcs pastorales de S. Ém. le cardinal Pccci, trad. I.ury, 2 vol., Lille, 1888 ; Discours du souverain pontife Léon XIII,

1878-1883, trad. De FranciscU, Paris, 1884 ; Aeia Lconis XIII, Home, 1878-1903 ; Leonts XIII oarmtna, éd. Bach, Rome, 1908

2. Mémoires. ( anlinal Ferra ta, Mémoires, .’? vol., Rome, 1922 ; Papiers du cardinal Galimbertl dans rispolto < rupoli e (, uido Aureli, L’/ polili.a ili Leone XIII da Luigi

Galimberti a Marlano Rampolla, Rome, LOI 2. II. Travaux, Mur de T’Sorulaas, Le pape Léon XIII,

sn me, son acffofl religieuse, politique et sociale, 8 vol., Paris,

1894-1904 ; Mourret, / < i direction* polittques, Intellectuelle*

et social, . de i ton XIII, Parte, I Mourret, VÊgltu

contemporaine, II* partie, 1878-1 903(1 i de l’Histoire vénérait île rfiffltee), Parte, I 121 ; Martin Bpahn, Léo XIII