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LÉON 111


Pierre. Il est donc présumé pape légitime. Toutefois, le 1 er décembre, devant le synode imposant rassemblé dans la basilique vaticane, « le roi révéla à tous les raisons de sa venue à Rome, inter quee vel maximum vel di/ficillimum erat quod primum inchoulum est, de investigandis videlicet quæ pontifici objiciebantur criminibus. » Annal. Eginhardi et Annal. Lauris. maj., P. L., t. civ, col. 460 et 459. Qui dit enquête, dit tribunal compétent. A en croire le Liber Pontiflcalis, les dignitaires ecclésiastiques se seraient aussitôt récriés qu’ils n’avaient pas le droit de juger le Siège apostolique, qui est le chef de toutes les Églises de Dieu. C’était ce que, plusieurs mois auparavant, Alcuin avait représenté à Arn de Salzbourg. Les annalistes francs donnent, au contraire, l’impression qu’il y eut au moins un simulacre de procès, en ce sens que l’on convoqua les accusateurs à comparaître et à soutenir leur plainte. Mais ceux-ci se dérobèrent : nullus eorumdem criminum probalor esse voluit. « Ainsi le pape demeurait en face d’une accusation que personne ne pouvait ni prouver, ni écarter. Il se décida à se justifier par serment, procédé en faveur duquel on pouvait alléguer des précédents plus ou moins légendaires, et qui, s’il impliquait une certaine dose d’humiliation personnelle, ne mettait cependant en cause aucun principe, ne répudiait aucune prétention. » L. Duchesne, Les premiers temps de l’État pontifical, p. 86. Dans une nouvelle séance synodale tenue à Saint-Pierre, le 23 décembre, le pape monta à l’ambon portant les saints évangiles et jura qu’il n’était pas coupable des crimes qu’on lui reprochait. Le texte de cette purgatio s’est conservé : « On a entendu dire, on a divulgué en bien des lieux, comment des hommes pervers se sont insurgés contre moi, ont voulu me mutiler (debilitare) et m’ont imputé des crimes énormes. Pour ouïr cette cause, le clémentissime et sérénissime seigneur, ici présent, le roi Charles, est venu en cette ville avec son clergé et ses grands. C’est pourquoi, moi, Léon, pontife de la sainte Église romaine, n’étant jugé ni contraint par personne, mais spontanément et volontairement, je me purifie et me juge en votre présence devant Dieu qui connaît ma conscience, devant ses anges, devant le bienheureux Pierre, prince des apôtres, dans la basilique de qui nous voici (et déclare) que ces choses criminelles et scélérates que l’on m’impute, je ne les ai ni perpétrées, ni ordonné de les perpétrer ; Dieu m’en est témoin au jugement de qui nous viendrons un jour et en présence de qui nous sommes. Ceci, je le fais spontanément et volontairement (mea spontanea voluntate), pour détruire tout soupçon non point que les canons le prescrivent ou que je veuille par là (créer un précédent) et imposer cette coutume dans la sainte Église à mes successeurs ou à mes frères dans l’épiscopat. » Texte en de nombreux recueils ; on le trouvera notamment dans Yves de Chartres, Décret., part, v, c. 313, P. L., t. clxi, col. 421. On voit que le pontife multiplie les précautions pour éviter que son geste paraisse imposé, ou qu’il puisse être invoqué plus tard comme un précédent. Or, une génération ne passera pas, que le pape Pascal I er ne soit contraint par l’empereur Louis le Pieux à une démarche analogue. Jafîé, Regesla, p. 320.

Ce procès de Léon III, amène quelques réflexions qui ne sont pas sans intérêt au point de vue de l’histoire du droit public ecclésiastique. Qu’en choses strictement religieuses le pape pût être jugé par un concile, cela paraissait impossible aux canonistes du temps. L’axiome « prima sedes a nemine judicatur », qui avait été mis en circulation au temps des démêlés du pape Symmaque et de l’antipape Laurent, en 501, exprimait une conviction beaucoup plus ancienne. Mais si, de ce point de vue, il n’y avait point

de juridiction devant qui l’on pût porter une cause strictement ecclésiastique, il restait néanmoins que, d’après l’ancien droit impérial romain, les tribunaux ordinaires connaissaient de tous les crimes de droit commun, homicide, adultère, lése-majesté, quel que fût le rang de l’accusé, et Mgr Duchesne fait très justement remarquer que « tant qu’avait duré le régime impérial, le pape n’avait joui à cet égard, d’aucune exemption. » Op. cit., p. 86. Il est surprenant d’ailleurs que cet auteur ajoute immédiatement : « Mais maintenant (à l’époque de Léon III) la situation n’était plus la même. Le pape était souverain ; on ne juge pas un souverain. » Nous conclurons, au contraire : « Puique Léon III reconnaît lui-même que Charlemagne est venu à Rome, propter hanc causam audiendam, c’est donc que la souveraineté du pape dans le domaine pontifical, de si récente création, n’est pas aussi indépendante qu’il semblerait tout d’abord. » Bref, la purgatio de Léon III ne nous apparaît pas comme devant donner au Siège apostolique un lustre particulier et nous sommes maintenant tout à fait d’accord avec Mgr Duchesne quand il écrit : < En dépit de toutes les réserves faites, le pape avait juré et tout le monde voyait que, s’il avait juré, c’est que le roi Charles l’estimait nécessaire. Le pauvTe Léon faisait en somme petite figure à côté de son protecteur. Il était clair que c’était par la grâce de celui-ci, et par sa grâce seulement, qu’il continuait à régner sur les Romains. » Op. cit., p. 87.

Le surlendemain toutefois, jour de Noël de l’an 800, le pontife réhabilité reprenait tous ses avantages. Dans cette même basilique vaticane, devant le tombeau de saint Pierre, il plaçait sur le front de Charlemagne le diadème impérial et le faisait acclamer par le peuple romain : « A Charles, très pieux, Auguste, couronné de Dieu, grand et pacifique empereur, vie et victoire ! » D’après le Liber Pontificalis, cette acclamation « fut répétée par trois fois devant la sainte confession du bienheureux Pierre apôtre, avec invocation de plusieurs saints. Ainsi le roi Charles fut établi par tous empereur des Romains. Ensuite de quoi le pontife oignit de l’huile sainte Charles fils du roi. » Les Annales Lauriss. et les Annales Eginhardi ne parlent pas d’onction pour le fils de l’empereur, elles font seulement remarquer qu’après les invocations aux saints (laudes) le pape adora le nouvel empereur à la manière des anciens princes ; et « dorénavant délaissant son nom de patrice, Charles fut appelé empereur et Auguste. » P. L., t. civ, col. 459 et 460. A lire ces deux témoignages indépendants du Liber Pontificalis et des Annales, il semble clair que la cérémonie se déroula suivant un plan convenu à l’avance. Nul effet de surprise : chacun sait le rôle qu’il doit jouer : le pape, la foule, la schola cantorum, l’empereur lui-même. Et si le détail du cérémonial a été ainsi préalablement établi, il va de soi que le fond même de la question, à savoir la restauration en faveur de Charles de l’Empire d’Occident, a fait l’objet de conversations suivies entre le pape et le souverain. Resterait à savoir qui des deux a eu l’initiative de cet acte considérable. Ainsi posée la question ne comporte qu’une seule réponse : l’initiative vint de Charlemagne. Le roi des Francs n’était pas homme à se laisser imposer une démarche de cette importance et ce n’était pas le malheureux Léon, lequel se débattait depuis dix-huit mois dans une situation sans issue, qui était capable de promouvoir un tel dessein. Il n’est pas impossible que, dès l’entrevue de Paderborn. des conversations aient été nouées à ce sujet. Alcuin sait qu’il se passa pour lors de mystérieux colloques sur lesquels il aurait bien voulu recevoir des informations précises. <> Passereau solitaire il n’avait pu-