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LÉON I". LE CARACTÈRE DE SAINT LÉON


contre le souverain lui-même. Ses admirables lettres, sans parler des documents extérieurs, témoignent de son activité et de sa sagesse. Ses sermons, d’une véritable éloquence de pontife, calme, simple, majestueuse, nous le montrent au milieu de son peuple dans l’exercice ordinaire de son devoir pastoral. Les émotions du dehors n’y ont laissé que de faibles traces : inébranlable dans la sérénité de son âme, Léon parle comme il écrit, comme il ne cessa jamais de penser, de sentir, et d’agir, en romain. A l’entendre, à le voir à l’œuvre, les sénateurs de Valentinien III ont dû songer souvent à leurs collègues de la vieille république, à ces âmes invincibles que nulle épreuve ne fléchissait. » On pourra rapprocher une page de C. Gore, dans son article Léo I du Dictionary of Christian biography, t. iii, p. 654 : « Élévation et sévérité de vie et de vues, rigueur et rudesse à maintenir les règles de la discipline ecclésiastique, avec cela doué d’une énergie indomptable, de courage, de persévérance, capable d’embrasser d’un regard plusieurs champs d’action très distants, inspiré par une acceptation sans hésitation et une admirable compréhension de la foi de l’Église, qu’il entendait maintenir partout à tout prix, pénétré et sans répit au service d’un sentiment souverain de l’indéfectible autorité de l’Église de Rome comme centre divinement désigné de toute l’œuvre et de toute la vie de l’Église, saint Léon est représentatif en tant que chrétien de la dignité impériale et de la sévérité de la vieille Rome, et il est le vrai fondateur de la papauté médiévale dans toute sa magnificence de conception et sa force intransigeante. C’est un caractère simple, si on le regarde avec sympathie, facile à comprendre et à apprécier : il représente fortement cet élément de la vie croissante de l’église qui est spécialement identifié avec Rome, l’autorité et l’unité. » Gore ajoute une considération renouvelée de Milman, c’est que de son temps saint Léon est une grandeur isolée et unique : saint Augustin était mort, saint Cyrille touchait à son dernier jour, les noms les plus notoires dans le catholicisme étaient ceux de Théodoret, de Prosper, de Cassien : les évêques des grands sièges étaient pâles comme Flavien, douteux comme Anatolios, scandaleux comme Dioscore. Sur le siège de Rome seul de tous les grands sièges, la religion maintenait sa sainteté, a pu dire Milman.

On ne diminue pas saint Léon en confessant que sa culture n’est pas comparable à celle de saint Ambroise, ou de saint Augustin. Il professe un dédain non dissimulé pour la philosophie de ce monde, institutæ ab hominibus versutise dispulandi. Epist., clxiv, 2. On ne trouve dans ce qu’il écrit aucune trace de lectures classiques ; il ne sait pas le grec (à Rome personne ne le sait plus, Epist., exin, 4) ; on ne voit pas à quels auteurs ecclésiastiques il puise, saint Augustin peut-être excepté. Il veut que, dépouillée de tout artifice, la doctrine se présente dans la lumière de la vérité, sans chercher à plaire aux oreilles, quand il doit suffire à la vraie foi de savoir qui parle. Léon est avant tout pour l’autorité, pour la discipline doctrinale, pour ce qui est acquis et doit être incontestable : que les Prteteritorum sedis aposlolicse episcoporum auctoritates de gratia Dei soient ou ne soient pas de lui, elles répondent à son tour d’esprit, qui est représentatif de l’esprit ecclésiastique romain et qu’exprime si bien la maxime chère à saint Léon : Veluslatis norma servetur.

Léon est aussi peu improvisateur dans ses sermons que dans ses lettres. Ses sermons ne sont pas sténographiés par des notarii, mais bien vraiment écrits par lui, soit avant qu’il les prononce, soit après qu’il les a prononcés. Tout est de lui, mais peu d’orateurs ont moins que lui le scrupule de se répéter, et aussi de se contenter de vérités élémentairesou de lieux communs. Il ne prend pas un livre de l’Écriture à commenter, il

n’est pas exégète
ses sermons sont des sermons s’insé ; rant dans le cycle liturgique. Leur beauté tient à leur

j ton : avec Léon tout se revêt de dignité, de solennité, et de cette emphase romaine si sensible dans les textes de la liturgie. La phrase de Léon obéit à un cursus : elle ne s’achève guère sans antithèses, sans assonances même. Exemple pris au hasard : Quem magi infantem | venerati sunt in cunabulis nos omnipotentem | adoremus in cselis. Serm., xxxii, 4. Cà et là, une recherche verbale qui frise le jeu de mots : Fenus pecunias funus est animae. Serm., xvii, 3. Sur le démon : Malitiu nocendi avida, dum irruit, ruit, dum capil, capta est. Serm., lx, 3. Voyez T. Steeger, Die Klauseltechnik Leos d. G. in seinen Sermonen, Hassfurt, 1908. Saint Léon est de son temps par ces élégances de décadence. Il ne leur sacrifie cependant rien de la lucidité éclatante de sa pensée : il ne parle que pour persuader des vérités doctrinales ou pastorales.

Le don le plus naturel de saint Léon est d’être un moraliste. Voir dans le Sermo xxxvii, 3, le morceau sur l’enfance que le christianisme requiert et que le Christ aime : Amat Christus infantiam, humililatis magistram, innocentiæ regulam, mansuetudinis formam. Amat Christus infantiam, ad quam majorum dirigit mores, ad quam senum reducit xtates, et eos ad suum inclinât exemplum quod ad regnum sublimât œternum. Noter les assonances de cette prose. Et voir tout le développement, ibid., 4. Cf. Serm., ix, 3, le morceau sur les pauvres honteux ; dans le Sermo xli, 1, sur l’examen de conscience ; dans le Sermo xlv, 2, sur la charité et la foi, efficacissimus gemtnarum alarum volatus, quo ad promerendum et videndum Deum puritas mentis attollitur. Cf. Serm., lv, 5. On goûtera le moraliste dans les sermons sur l’aumône. Serm., vi-vin, sur le carême, xxxix-l, sur le démon, infatigable ennemi du salut des fidèles, ix, 1-2 ; xxxix, 3-4 ; xl, 2-3 ; xli, 2 ; XLn, 3 ; xlviii, 2 ; xlix, 3 ; lvii, 5 ; lxvtii, 4 ; lxxiv, 5 ; sur la discorde qui dans l’homme met aux prises les sens et la tentation, xc, 1. On le goûtera pareillement dans des développements de scènes de la passion, comme le morceau sur Judas, dans le Sermn Lvrn, 3, ou sur Pilate, lix, 2, ou sur le reniement de saint Pierre, lx, 4.

Moraliste, nous avons vu saint Léon apporter dans la solution des cas de conscience qui lui sont posés, une justesse de décision, qui est vraiment d’un maître de la morale catholique, d’un initiateur. Là est sans doute une de ses incontestables supériorités. Les canons sont les canons, mais saint Léon ne se réclame pas seulement de la lettre des canons ; il en scrute l’esprit, il en fait valoir la raison d’être, en homme d’ordre et de raison qu’il est. Voir comme exemple sa belle lettre aux évêques de Mauritanie, Epist., xii, 5, où il veut que l’on proportionne la peine au délit, au coupable, aux circonstances : Cogimur secundum Sedis apostolica 1 pietatem ita nostram lemperare sententiam, ut trutinato pondère delictorum, quorum utique non una mensura est. quædam credamus utcumque toleranda, quædam vero penitus amputanda. Voir aussi sa lettre aux métropolitains d’Illyricum, où il rappelle qu’un évêque ne doit pas enlever un clerc à un autre évêque sans l’acqiescement de ce dernier, quoniam hoc et canonum definivit auctoritas et ipsa servandæ unitatis ratio docet, ne omnis ordo ecclesialicus per hanc licentiam efpciatur instabilis. Epist., xiii. 4. Autorité et raison. Voir mieux encore, lettre à Rusticus de Narbonne, Epist., clxvti. Sur le prêt à intérêt : Fugienda prorsus est iniquitas fenoris, et lucrum quod omni caret humanitate vitandum est. Serm., xvii, 3. L’humanité invoquée comme règle de morale.

Un trait encore du caractère de saint Léon, sa dignité, la souveraine conscience qu’il a de son rôle d’évêque de Rome, et de successeur de saint Pierre, mais cette