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JOSUÉ, VALEUR HISTORIQUE

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à l’autre de ses voisines, essaie, sans toujours y réussir, de s’assurer la possession d’une portion du territoire. De ces deux manières de voir, cette dernière est la seule vraie, parce qu’elle est celle d’un document plus ancien et non remanié et que de plus elle s’harmonise parfaitement avec la suite de l’histoire d’Israël, telle qu’on la trouve aux livres des Juges, de Samuel et des Rois. Ainsi l’entendent la plupart des historiens de l’Ancien Israël et des commentateurs des livres de Josué et des Juges.

Cette seconde façon de concevoir la conquête de Canaan est trop simpliste, et cela tient à ce qu’elle ignore systématiquement et le caractère même et maints détails du livre. Prises en considération, ces particularités permettraient une plus juste appréciation de la valeur historique de l’ouvrage. Il ne faut pas demander à celui-ci ce qu’il ne prétend nullement nous donner, un récit détaillé de la prise de possessiun et de l’installation des tribus dans leurs territoires respectifs ; malgré les brillantes campagnes du début contre la coalition des Cananéens du Sud d’abord, puis du Nord, la conquête est loin d’être chose faite, maints passages du livre le laissent clairement entendre, de ceux-là mêmes qui appartiennent à la rédaction deutéronomiste, Jos., xiii, 1, par exemple. De même, le fait que le lieu de séjour ou le campement des Hébreux est Galgala, Jos., iv-v, auquel l’on revient, même après des campagnes victorieuses, permet de supposer qu’il ne s’agissait pas alors d’occupation et surtout pas d’occupation définitive, mais plutôt d’expéditions, sortes de raids ou de razzias, qui peu à peu devaient assurer la suprématie des nouveaux venus en Canaan et faciliter ensuite l’occupation proprement dite, celle qui est indiquée par l’énumération des territoires appartenant de droit à chaque tribu. Mais cette action secondaire des dans pour tenir chacun sa portion de territoire t suppose nécessairement qu’ils ont été introduits sur le terrain de leur action particulière par une action commune. » > Les critiques rejettent toute l’histoire de Josué parce qu’ils ne veulent pas l’entendre avec critique. Ils savent très bien que cette histoire a été généralisée dans une seule perspective. C’est une raison pour ne pas considérer le tableau d’ensemble comme exprimant suffisamment le caractère de chaque fait. Ce n’est pas une raison pour nier les faits eux-mêmes. Poels, Histoire du Sanctuaire, p. 97 sq., l’a très bien dit : « En réalité, Josué n’a fait que commencer la conquête. A la tête d’une armée composée de toutes les tribus il a vaincu les rois cananéens. L’occupation effective des diverses parties du territoire revient aux tribus séparées… Mais l’écrivain sacré, au lieu de traiter en détail tous ces événements distincts, généralise. Il attribue à Josué la conquête de tout le pays. La terre d’Israël a été conquise par le peuple d’Israël, Josué se trouvant à sa tête. C’est sur ce fond que l’auteur développe toute son histoire. Ainsi que Moïse avait été le grand législateur, ainsi Josué fut le grand conquérant. Jahvé avait donné à Israël la terre de Canaan. L’auteur fait mieux ressortir cette idée en groupant tout dans une seule et même série. » Lagrange, op, cit., p. 27.

Le livre des Juges nous donne très clairement à entendre que malgré ces commencements brillants l’œuvre d’occupation fut, en effet, très longue, parfois très pénible et souvent incomplète. C’est ainsi que les villes de la plaine échappent presque entièrement aux tribus, obligées de se contenter de la région montagneuse. « En un mot, conclut le P. Lagrange, il n’y a pas eu deux histoires de la conquête, l’une par petits paquets, l’autre par un effort combiné. La simple réflexion suggère que deux traditions aussi contradictoires n’ont pu exister dans le même peuple. Le livre de Josué et le livre des Juges se sont servis des mêmes sources, l’auteur de Josué a certainement généralisé ; de plus.il n’avait pas à mentionner dans un récit de conquête ce qui ne s’était pas fait. L’auteur des Juges a repris dans les anciens documents cette partie négative qui conduisait à son but. Si on veut avoir une idée historique, totale et juste, il ne faut pas dire que la conquête s’est faite si vite et si bien que les tribus n’ont plus rien eu à faire, mais il ne faut pas dire non plus qu’elles n’ont agi qu’isolément ou par petits groupes. » Op. cit., p. 32.

2. Invraisemblance de certains événements.

Quant à l’impossibilité des événements miraculeux, érigée en principe par trop de critiques étrangers à l’Église, nous n’avons pas à en discuter ici, mais seulement à revendiquer pour les récits de tels événements la même véracité générale que pour l’ensemble des documents dont ils font partie. Conquérant habile et courageux, Josué ne doit pas uniquement ses succès a la mise en œuvre des moyens humains : prudence, force, vaillance, nombre ; ses victoires sont aussi celles de Jahvé ; à différentes reprises, Dieu, nous dit l’auteur du livre, a manifesté sa puissante intervention : lors du passage du Jourdain, Jos., m-iv ; lors de la prise de Jéricho, Jos., v, 13-vi, 21 ; à Gabaon dans la victoire sur les rois coalisés du Midi, Jos., x, 9-14. Et c’est, à ses yeux, la suite toute naturelle des interventions divines qui devaient constituer les descendants d’Abraham en nation indépendante. De même qu’Israël a été délivré de la servitude d’Egypte et a reçu la Loi par une spéciale intervention de Dieu, de même il viendra en possession de la Terre promise par une entrée en scène du même genre. Tout compte fait, c’est là encore l’explication la plus satisfaisante de l’établissement des Hébreux en Canaan. De la vérité de cette remarque générale, la critique littéraire et l’histoire apportent, pour les récits particulièrement contestés, de nouvelles preuves.

a) Le premier des événements merveilleux qui a pour but de manifester le caractère divin de la mission de Josué aux yeux des Hébreux aussi bien qu’à ceux de leurs ennemis est le passage du Jourdain. Suivant les critiques, le récit en est emprunté au Jahviste et à l’Élohiste, à ce dernier seulement, selon quelques-uns, et encore fortement remanié par le rédacteur deutéronomiste (Ed. Meyer, Steuernagel, Holzinger). A s’en tenir aux seuls éléments regardés par tous comme anciens, ni, 1, 5, 14 ; iv, 4, 5, 1>>, 20 appartenant à l’Élohiste, le fond du prodige demeure : c’est par une intervention spéciale de Dieu que les Hébreux ont pu franchir le Jourdain ; le miracle, en effet, est annoncé par Josué, iii, 5 : « Sanctifiez-vous, car demain Jahvé fera des prodiges au milieu de vous ; » pour eu garder à jamais mémoire un monument est dressé par son ordre, « afin que ces pierres soient à jamais un mémorial pour les enfants d’Israël. » Jos., iv, 7*, 20. Si la reconstitution des différent ^épisodes de cette entrée en campagne ne va pas sans difficulté, à cause de l’incertitude du texte, provenant non seulement des différences entre le grec et l’hébreu mais aussi du déplacement de certains passages (cf. de Hummelauer, op. cit., p. 119 sq.), l’événement n’en demeure pas moins avec toute son important historique et sa signification religieuse. Il a laissé dans l’imagination populaire un souvenir ineffaçable ; à une époque plus rapprochée de nous, les poètes d’Israël trouveront pour le célébrer des images d’une singulière beauté. Cf. Ps. cxiii ( Vulg.), 3.

Des exégètes catholiques se sont demandé à l’aide de quels moyens naturels le prodige de l’arrêt du fleuve avait pu se produire. « Entre l’hypothèse des eaux maintenues immobiles, contrairement à toutes les lois de la nature, et celles d’un barrage accidentel produisant exactement le même effet, il n’y a pas à