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JOSUÉ, VALF.UR HISTORIQUE

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drait pas au document dans sa forme primitive ; on n’en saurait par conséquent tirer un argument contre l’antiquité de l’ensemble du récit.

Si ces quelques remarques ne permettent pas d’attribuer une date précise à telle OU telle partie du livre non plus qu’à sa rédaction définitive, elles nous laissent entrevoir néanmoins, pour certains récits tout particulièrement, une époque qui ne saurait être très éloignée des événements racontés. N’est-il pas vraisemblable, en effet, que des scribes, des lévites aient eu le souci de garder le souvenir de ces glorieux événements qui avaient permis l’établissement des Hébreux en Canaan ? l’usage de leurs puissants voisins d’Egypte et de Babylonie de rédiger leurs annales ne leur était certes ni inconnu ni étranger. De plus, l’exactitude des données du récit biblique, prouvée chaque fois que le contrôle est possible par leur conformité aux données de l’archéologie babylonienne et égyptienne, est une nouvelle garantie de la haute antiquité des documents mis en œuvre par l’écrivain sacré, car ni la simple tradition orale ni des écrits d’une époque où la situation politique et sociale était complètement modifiée n’auraient pu reproduire une image aussi fidèle de l’établissement d’Israël en Canaan.

Cette conclusion n’exclut pas les remaniements, les adaptations, les gloses qui ont pu se produire pour le livre de Josué comme pour le Pentateuque. (Cf. Commission biblique, De mosaïca aulhenlia Penlaleuchi, ad I Y), et dont le plus grand nombre remonterait sans doute à l’époque de ce mouvement littéraire du vue siècle, dit deutéronomiste.ou encore au temps de restauration qui suivit le retour de la captivité au Ve siècle.

3. Etat du texte.

Quelques remarques sur l’état du texte compléteront ces rapides notions sur l’histoire du livre de JosTié. D’une façon générale, on peut affirmer que ce texte ne nous est pas parvenu en liés bon état. Une première preuve de cette affirmation nous est fournie par la comparaison avec la version des Septante qui a conservé un texte plus clair, plus précis et dans l’ensemble plus proche de l’original que l’hébreu massorétique, exception faite toutefois de l’addition finale, partie apocryphe et partie compilée du livre de Josué ; plus nombreux, en effet, et de beaucoup sont les passages où le grec est préférable, à l’hébreu que ceux où l’hébreu est préférable au grec, aussi ce dernier peut-il être tenu pour plus authentique. Cf. de Iluininelauer, Josue, Paris, 1903, p. 5-15 ; conclusion analogue pour les chapitres vii et viii d’après A. Tricot, La prise d’Aï (Jos., VII, 1-VIII, 29), dans Biblicu, 11)22, t. iii, p. 273-294.

Une deuxième preuve nous est donnée par la comparaison avec des passages parallèles du livre lui-même et d’autres livres où il apparaît que noms propres et chiffres, si fréquents surtout dans les listes topographiques, ont subi bien des altérations ; (.les changements, par addition le plus souvent, par omission quelquefois, ont été apportés au texte primitif. Cf. Jos., xix, 36, où le nombre des villes de la tribu de Nephtali est vraisemblablement incomplet en regard de celui qui est indiqué par Jos., xxi, 31 et 1 Par. vi, 51 ; Jos, xxi, 36, où manque sans doute un membre de phrase qu’ont gardé les Septante et la Vulgate mais aussi I Par., VI, 03, etc. Certaines mêmes de ces différences sont telles qu’on a émis l’hypothèse qu’après la traduction grecque, « tes additions auraient encore été laites au texte hébreu par un rédacteur deutéronoinisle, l’omission, par exemple, par les Septante ( Vaticanus) de Jos., xx, 1-ti, n’aurait d’autre explica Mon. Cf. Permit l, The book of Joshua, p. 22 ; G. A. srnitli, art Jaslm a, dans Hastings, Diclionary of the liibl-, i. ii, j). 7X1.

Ainsi, à ce point de vue encore de la conservation du texte, le livre de Josué ne saurait confondre son histoire avec celle du Pentateuque. Celui-ci a été conservé avec plus de soin, comme l’établit une comparaison avec les Septante ; à cela d’ailleurs rien d’étonnant, le caractère même du livre de la Loi imposait un souci particulier d’exactitude dans sa transcription. L’existence enfin de certaines particularités linguistiques du livre de Josué vient encore à l’appui de cette conclusion : Jéricho n’est plus appelée comme dans le Pentateuque Yerêhô mais Yerîhô ; le pronom personnel n’a plus la forme hî’au lieu de hû’… Cf. Hollenberg, Die ale.rundrinische Uebersetzung des Huches Josua, Meurs, 1876 ; H. B. Swete, An introduction to the O. T., Cambridge, 1900, p. 236-237, 244 ; de Hummelauer, op. cit., p. 5-15.


II. Valeur historique.

Pour présenter la question dans son ensemble, on étudiera d’abord quelques difficultés qui tendraient à infirmer cette valeur ; on démontrera ensuite que le livre canonique jouit d’une véritable valeur.

Solution de quelques difficultés.

Bien que la véracité des données du livre de Josué puisse être affirmée en raison même des origines du livre, telles que nous les avons esquissées, il y a lieu cependant d’y insister à cause de l’opinion émise par quelques critiques modernes, qui fait du livre de Josué non point l’histoire mais la légende de la conquête de Canaan par les Israélites. Certes il y a bien des nuances dans la négation de cette valeur historique et ii y a loin de l’attitude de Frédéric Delitzsch ne voyant dans l’Ancien Testament en général et dans le livre de Josué en particulier qu’une grossière duperie, que faux et falsification, à celle de Lucien Gautier se refusant à admettre que Josué soit un personnage plus ou moins fictif et revendiquant avec son historicité celle des principaux événements relatés dans le livre, malgré les additions et les exagérations d’un panégyriste trop zélé. Fr. Delitzsch, Die Grosse Tauschung, Kritische Belrachtungen zu den ulleslament. Berichten iïber Jsraéls Eindringen in Canaan, Stuttgart, 1920 ; L. Gautier, Introduction à l’A. T., 2e édit., Lausanne, 1914, p. 228. A l’origine cependant de toutes les réserves apportées par la critique moderne à la réalité des faits, on retrouve d’identiques appréciations, soit au sujet de contradictions que révèle le livre, pris en lui-même ou comparé avec celui des Juges, en ce qui concerne particulièrement la manière dont la conquête s’est faite, soit au sujet de l’invraisemblance d’événements miraculeux, tels que le passage du Jourdain, la prise de Jéricho, la bataille de Bethoron… De ces appréciations il importe de préciser la valeur et la porlée.

1. Apparentes contradictions.

Aux trois documents principaux, reconnus par la critique littéraire dans le livre de Josué, correspondraient trois manières très différentes de concevoir la conquête de Canaan. Selon l’Élohiste ( dans sa pureté, et sous la forme deuléronoiniste), cette conquête serait l’œuvre de toutes les tribus, réunies sous l’autorité d’un seul chef, Josué ; menée rapidement et terminée en quatre campagnes, elle aurait assuré aux tribus victorieuses l’occupation de tout le territoire. La même idée, plus accentuée encore, se retrouve dans le récit sacerdotal, élément principal de la seconde partie du livre, xm-xxi ; le succès y apparaît si complet et définitif que la répartition des pays conquis se fait par le sort entre les différentes tribus d’Israël. A celle conception s’oppose celle du troisième document, représenté par quelques Fragments seulement dans le livre de Josué, et qu’il faut compléter par le l M chapitre du livre des Juges, Ce n’est plus la conquête rapide et l’occupation immédiate, mais une pénétration lente, laborieuse, progressive où chaque tribu isolée, associée parfois a l’une ou