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LANGUES LITURGIQUES

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Justification de la pensée de l’Église.

Le reproche

fait à l’Église, le grand motif mis en avant par ceux qui voudraient une réforme au sujet de la langue liturgique, c’est que l’usage exclusif de cette lingue, du latin principalement, ne permet pas au peuple de comprendre les formules qu’on lui fait chanter, ou les prières auxquelles on lui demande de s’unir. C’est, donc priver les fidèles de lumière, de consolation et de piété, la prière de l’Église étant la magnifique expression de sa foi, de sa confiance et de son amour.

L’Église semhle bien admettre qu’il puisse y avoir là un inconvénient : la phrase par lequel commence le c. viii de la session xxii du concile de Trente en est la reconnaissance implicite : « Bien que la messe renferme une grande source d’instruction pour le peuple fidèle… » Le concile a d’ailleurs pris des mesures pour diminuer cet inconvénient ; mais, pour qu’il ait passé outre, il a dû évidemment estimer que ce dommage des âmes n’était pas tel qu’il pût contrebalancer les graves raisons qui lui conseillaient de maintenir la langue liturgique.

1. L’inconvénient signalé serait de grande importance, si la liturgie était principalement faite pour être comprise du peuple. Il n’en est rien. Elle est la prière de l’Église, prière dite ou chantée officiellement au nom de tous par des ministres dont c’est la fonction. Il ne faut donc pas la juger comme les prières privées que dit chaque fidèle et qu’il doit comprendre pour exprimer à Dieu ses pensées ou ses sentiments. On peut dire, jusqu’à un certain point, que la liturgie est moins l’affaire des fidèles que celle des prêtres. Elle est « un ensemble de formules destinées à accompagner la célébration du saint sacrifice et l’administration des sacrements, toutes choses qui font partie du ministère propre et incommunicable des prêtres ». Guéranger, Institutions liturgiques, t. iii, p. 71. Mais les fidèles, ajouterons-nous, ont tout intérêt à s’y unir. Il leur sera certes agréable et utile de comprendre. Mais ils peuvent comprendre grâce aux traductions qui accompagnent le texte dans les livres à leur usage. Ils le peuvent, grâce aux explications que les pasteurs doivent leur donner. Telle est, en effet, la mesure prise par le concile pour atténuer autant que faire se peut l’inconvénient que présente pour le peuple l’usage exclusif d’une langue qu’il ne comprend pas : « Afin que les brebis du Christ ne souffrent pas de la faim et que les petits enfants ne demandent pas du pain sans qu’il y ait personne pour le leur rompre, le saint concile ordonne aux pasteurs et à tous ceux qui ont charge d’âmes d’expliquer souvent, pendant la célébration de la messe, par eux ou par d’autres, quelque chose des formules qui se lisent à la messe ; et entre autres, d’exposer quelques détails sur le mystère de ce très saint sacrifice, principalement les dimanches et fêtes. » Sess. xxii, c. viii, Denzinger-Bannwart, n. 946. Si enfin il y a néanmoins dans les prières liturgiques des choses qu’ils ne comprennent pas, c’est un inconvénient qu’on ne supprimerait pas même avec des traductions, et auquel Dieu peut parer à sa manière souveraine, comme le fait remarquer dom Guéranger, op. cit.% p. 77-78 : s Ces simples ne comprendraient même pas toujours les formules saintes, quand bien même elles seraient proférées en langue vulgaire à leurs oreilles. L’homme absorbé dans les nécessités de la vie matérielle n’a pas d’ordinaire les idées à la hauteur d’un langage sublime ; il suffit à Dieu que son cœur soit pieux et qu’il aspire à posséder par la vertu le bien qu’il ne comprend pas, mais dont la °râce. divine lui inspire l’attrait. A ceux-là, la liturgie, en quelque langue qu’elle s’exprime, est toujours lumineuse, et l’Amen qui s’échappe de leur poitrine toujours en plein rapport avec les vœux que le prêtre fait entendre à l’autel. Les croisés de Godefroy de Bouillon,

les paysans vendéens qui se levèrent pour la liberté de leur foi… n’ouïrent jamais célébrer le service divin dans leur langue maternelle ; leur amour pour les mystères auxquels ils sacrifièrent tout ce qu’ils avaient de plus cher au monde en fut-il moins pur et moins ardent ? Veut-on connaître la source de cet amour plus fort que la mort ?… c’est que la vertu de Dieu descend, par la vertu des paroles saintes, dans les cœurs qu’elle trouve ouverts. » Ces touches divines de la grâce, en dehors de l’intelligence des mots qui humainement serait nécessaire, sont longuement exposées dans la censure prononcée contre Érasme par la Faculté de Paris. On en trouvera la traduction dans dom Guéranger, p. 123 et 124.

2. L’objection ainsi réduite à ses véritables proportions, il nous est loisible de signaler les motifs pour lesquels l’Eglise tient à sa langue liturgique. A priori, nous pouvons deviner qu’elle les considère comme très graves, à en juger par la difficulté avec laquelle elle accorde des dérogations à sa règle générale. Et cependant aucun document officiel ne les indique. Au concile de Trente, elle affirme sa volonté, rien de plus. Il nous faut donc essayer de suppléer à son silence.

Une première raison s’impose à l’esprit : c’est la fidélité avec laquelle l’Église garde ses traditions. Elle n’aime pas les changements et ne les accepte que lorsqu’ils lui sont imposés par les circonstances ; sur le point spécial qui nous occupe, elle trouve qu’il est beau et grand que nous priions comme ont prié nos pères, avec les mêmes formules, les mêmes rites, la même langue. C’est l’argument que faisait valoir au concile de Trente, dans les réunions de théologiens qui ont préparé la xxiie session, François de Sanctis : depuis plus de mille ans, disait-il, dès l’époque où l’Évangile a pénétré en Gaule et en Germanie, c’est le latin qui est la langue liturgique. Theiner, p. 70. Et ici, ce n’est pas de la routine, ni le simple amour des choses anciennes. C’est une magnifique affirmation que nos croyances sont celles de l’antiquité : nous prions comme nos pères ont prié ; c’est donc que nous croyons comme eux, puisque selon la belle formule du pape saint Célestin I er, Epist.. xxi, 11, P. L., t. l, col. 535, legem credendi 1er statuit supplicandi ; nous administrons les sacrements comme on l’a fait depuis que la liturgie est fixée ; c’est donc que nous sommes convaincus comme nos ancêtres de leur efficacité ; nous redisons après eux les vénérables formules du canon ; c’est donc que comme eux nous croyons à la présence réelle du Christ, à son immolation mystique, à la valeur rédemptrice de son sang répandu au saint sacrifice. Bien n’atteste plus nettement aux yeux du peuple la fixité de la foi de l’Église que cette immutabilité des formules et de la langue liturgique.

Sur ce point d’ailleurs, un changement de discipline risquerait d’avoir des conséquences d’une extrême complexité. Les textes traditionnels sont non seulement, très vénérables par leur antiquité, ils sont d’une incomparable plénitude de sens pour qui sait les comprendre et les goûter. Mais ils ont le grand tort de ne pas se plier aux exigence ; variables de. la piété populaire. Du jour où, sous prétexte de les mettre à la portée du peuple, on les dirait en langue vulgaire, ils apparaîtraient aux fidèles, arides, austères, peu en rapport avec la sentimentalité qui les frappe, démodés, vieillis, inférieurs à telle et telle prière privée : dinina mijsteria minori rei’erentia colerentur, disait le projet présenté aux Pères du concile. Theiner, p. 75. Et, pour se mettre à la portée du peuple, l’Église, ayant modifié sa langue, devrait modifier son texte, rompant ainsi avec sa tradition, commençant une série de variations qui ne s’arrêteraient plus.

Avec le souci de la tradition, le souci de l’unité semble une des raisons qui imposent à l’Église le main-