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LANGAGE (ORIGINE DU ;


indication est, en soi, précieuse, car elle suffit à indiquer la liberté dont jouit le théologien pour apprécier les diverses solutions proposées.

1° Rien ne s’oppose évidemment, du simple point de vue théologique, à la solution préconisée non seulement en fait par plusieurs Pères et théologiens, mais encore en droit (ce en quoi ils ont tort) par les traditionalistes : le langage primitif aurait été communique tout fait par Dieu à l’homme, au moins dans les mots essentiels, à l’instar de la science infuse per accidens dans l’âme d’Adam. Cette langue primitive aurait été la langue unique parlée sur terre jusqu’à la construction de la tpur de Babel. A ce moment, une nouvelle intervention divine, soit immédiate, soit, comme le veut Origène, médiate, par le ministère des anges, aurait fixé dans les intelligences humaines les langues différentes, la langue primitive demeurant toutefois celle des ancêtres du peuple hébreu et devenant enfin la langue du peuple de Dieu. Ces précisions ne font pas nécessairement partie de la thèse de l’origine surnaturelle du langage, mais elle s’y sont naturellement soudées sous l’influence de certaines traditions juives, cf. Josèphe, Antiquit. judaic, t. I, c. i, acceptées par plusieurs Pères, notamment Origène, In Num., homil. xi, c. iv, P. G., t. xii, col. 648 ; saint Augustin, De civilate Dei, t. XVI, c. xi ; cf. t. XVIII, c. xxxix (sur la confusion des langues, t. XVI, c. iv) ; P. L., t. xli, col. 490 ; 598 ; 482 ; saint Cyrille d’Alexandrie, Contra Julianum, t. IV, VII, P. G., t. lxxvi, col. 705 sq. ; 857. Cf. saint Jérôme, In Sophon., iii, 8-9, P.L., t. xxv, col. 1378. Voir, pour les autres références moins utiles, de Hummelauer, Commentarius in Genesim, Paris, 1895, p. 303-304. Elles sont complaisamment reproduites et accentuées par « une philosophie livresque et prétentieuse, apparue après la Renaissance, qui faisait de l’hébreu la langue primitive et mère de toutes les autres ». Schmidt-Lemonnyer, La révélation primitive, Paris, 1914, p. 200. Citons deux principaux défenseurs de la thèse : Benoît Péreyra (Pererius) : Animadvertendum est Adamum non modo scienliam rerum a Deo accepisse, sed linguam etiam perjectam, qua et loqueretur ipse… qua usus est Deus… Lingua vero, quam a primo habuil Ad iii, et secundum quam imposuit animalibus nomina concessu omnium hebrsea fuit. In Genesim, c. ii, ꝟ. 20 ; Jean Leusden : Cognitio linguse hebraiese in primis parenlibus non fuit a natura nec ex instinctu humano, sed fuit a Deo homini immédiate præter naturam instillata et infusa. Philologus /jeûr « us…, Bâle, 1739, diss. xvii, n. 5. Cf. G. Postel, De originibus seu de Hebraiese linguaz et gentis anliquitale deque variarum linguarum affinilale liber… Paris, 1538 ; Et. Guichard, L’harmonie étymologique des langues… où se démontre q : e toutes les langues sont descendues de l’hébraïque, Paris, 1631 ; Heinsius (Daniel Heyns), Aristarchus sacer, Leyde, 1627 ; Selden, Dediis syris, Leipzig, 1672. Sur l’hébreu, « langue primitive », on pourra consulter dom Calmet, Commentaire littéral sur tous les lirres de l’Ancien et du Nouveau Testament, Paris, 1721, I. i, Dissertation sur la première langue et sur la confusion arrivée ù Babel, p. xv-xxii ; le Jésuite allemand Allianase Kirciie-, dans sa Turris Babel, Amsterdam, 1679, t. III, sect. i, c. v, p. 148 sq. ; sect. ii, c. i, p. 193 sq. ; et de nos jours, II. Pinard de la Boullaye, L’étude comparée des religions, Paris, 1922, t. i, p. 160, notes 5-8 ; p. 163, n. 5.

De nos jours, tout le monde a abandonné la théorie de l’hébreu, langue primitive révélée par Dieu à l’homme. La philologie ne saurait admettre que l’hébreu soit la langue primitive. Voir Vigouroux, Uacuc. et Iîrassac, Manuel biblique, 14 u édit., Paris, 1917, p. 421, note. L’Éiriturc ne permet pas de l’affirmer, car, selon elle. r>ieu ne donna pas les noms aux ani maux, mais chargea de ce soin Adam. Toutefois, certains théologiens croient encore nécessaire de retenir une intervention spéciale de Dieu, pour expliquer la formation du langage dont se servit le premier homme : Legenti prima Gen. capita palebit, primos homines mox creatos conceptus suos de rébus diversissimis aplis verbis exprimere poluisse ; hinc concludendum videtur, protoparentes xoif SIA’E a uxilio dei pr&tersaturali primam linguam invenisse ; et l’on marque bien que cette intervention spéciale est distincte de la communication du don de science : secus enim homines, ETsi INSION1 ïCiektia PR£DiTi, non nisi post longius tempus linguam sal perjectam ef formassent. Van Noort, De Deo creatore, Amsterdam, 1912, n. 209. CL Fr. Schmid, Zcitschrift fur kalholische Théologie, 1899, p. 23.

En ce qui concerne la confusion des langues, Gen., xi, 7-9, il s’agit bien plus d’une interprétation scripturaire que d’une question théologique. Notons ici, avec le P. de Hummelauer, loc. cit., que l’interprétation proposée par les partisans d’une confusion des langues, entendue au sens littéral du mot, et résultant d’une intervention miraculeuse de Dieu ne s’impose pas. Du simple point de vue de la Bible, il n’est pas certain, tout d’abord, que tous les descendants de Noé fussent réunis dans la plaine de Sennaar au moment de la construction de la tour de Babel. Il n’est pas certain que la confusion des langues ne signifie pas, simplement, la mésintelligence, le désaccord grave survenu entre les travailleurs. Saint Grégoire de Nysse a soutenu que la confusion réelle des langues et la diversité des idiomes se produisirent peu à peu. Conl. Eunomium, . XII, P. G., t. xlv, col. 995 ; cf. 990.

2° Les affirmations de l’Écriture, rapportées plus haut, n’obligent pas à admettre que l’origine du langage soit surnaturelle ; rien n’empêche donc de penser que le langage articulé soit dû à l’invention de l’homme lui-même. Nous n’avons pas à nous engager ici dans la discussion des hypothèses soulevées en sens divers par les philologues sur l’origine et la formation naturelles du langage, depuis l’hypothèse de la révélation naturelle, émise par Reid, Garnier, Joulïroy, Renan, Max Miiller, Humbold, discutée par les partisans d’une élaboration progressive du langage naturel, laquelle aurait été opérée sous la pression du besoin, avec le concours du temps, par l’industrie et la collaboration de toutes les facultés humaines. Withnev, lréal, Zaborowski, Rabier, jusqu’aux précisions qu’ont prétendu apporter Noire, Geiger, Wundt, etc. : « Ce sont, écrit le P. Schmidt, pures hypothèses. Cette connaissance de la langue primitive, sur laquelle nous pourrions nous appuyer, comme sur une base solide, pour en déduire des conclusions touchant l’origine du langage, nous en sommes aujourd’hui plus éloignés que jadis. Les recherches linguistiques du siècle dernier ont plutôt dissipé que confirmé l’espérance entrevue de n’être plus très éloignés de cette langue primitive. » La révélation primitive…, p. 205-206.

Le seul point intéressant pour le théologien est de concilier les affirmations de l’Écriture avec l’hypothèse d’une formation naturelle, progressive même si l’on veut, du langage humain. Saint Augustin, nonobstant son opinion sur l’unité de langue (l’hébreu) avant la confusion, a formulé les principes philosophiques qui expliquent (sommairement) la formation du langage par l’exercice naturel des facultés. De online, t. II, c. xii, n. 35 ; cf. Epist., en, n. 10, P. L., t. xxxii, col. 1. Il sq. ; wiii, col. 374.. Il semble rapporter a Adam seul la création des mots par lesquels furent désignés, ù l’origine, les animaux et les choses. Opus imperf. contra Julianum, t. V, c. i, P. L., t. xlv, col. 1432. Mais c’est surtout saint Grégoire de Nysse qui affirme la thèse de l’origine naturelle du langage