Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/578

Cette page n’a pas encore été corrigée

2565

LANFRANC

2566

Tandis que Bérenger prenait parti avec ardeur pour les idées de Ratramne qu’il connaissait sous le nom de Scot Erigène, Lanfranc se faisait l’avocat des idées de Paschase. La discussion roula d’abord sur les personnes pour porter ensuite sur les doctrines.

1° Avant la publication du De corpore et sanguine Domini adversus Berengarium Turonensem (vers 1070). — Lanfranc, vers 1048, exposait au Bec la doctrine de Paschase sur l’eucharistie pour faire échec à Bérenger. Ce fait, rapporté par un clerc de Chartres à l’écolâtre de Tours, fut le point de départ de la lutte. Bérenger marque nettement son point de vue dans une lettre à Lanfranc « Ingelramne de Chartres m’a appris un bruit qui court dont j’ai cru devoir faire part à ton affection. Il paraîtrait que tu vois avec déplaisir, bien plus que tu as qualifié d’hérétiques les idées de Jean Scot sur le sacrement de l’autel, idées par lesquelles il s’écarte de la manière de voir de Paschase que tu as adoptée… Si tu tiens Jean Scot dont nous approuvons les idées eucharistiques pour hérétique, il te faut aussi déclarer hérétique Ambroise, Jérôme et Augustin sans parler des autres. » P. L., t. cl, col. 63. On sait par Lanfranc lui même, De Corpore, ibid., col. 413, comment cette lettre ne l’atteignit qu’au synode de Rome (29 avril 1050), comment à Verceil le livre de Jean Scot fut brûlé, et la doctrine de l’écolâtre de Tours condamnée, comment, après avoir dû accepter de signer à Rome une profession de foi, Bérenger attaqua le concile dans un premier livre perdu du De Sacra Cœna. C’est pour répondre à ce livre que Lanfranc écrivit le De corpore et sanguine Domini vers 1070. — Les éditions imprimées de ce livre comprennent le serment imposé à Rome en 1079 à Bérenger. Mais c’est là une interpolation ; les mss anciens n’ont point ce passage. Le livre de Lanfranc s’identifie avec la lettre que l’abbé de Saint-Étienne de Cæn envoyait à Bérenger vers 1069 ou 1070.

2° Le Livre De corpore et sanguine Domini, Analyse et appréciation. — 1. Analyse. — Le livre de Lanfranc contient d’une part une critique de l’attitude et de la doctrine de Bérenger ; de l’autre un exposé et une justification de la foi catholique.

a) Critique de Bérenger. — L’écolâtre de Tours rejetait le serment qui lui avait été imposé au premier synode de Rome, sous prétexte qu’il ne représentait que la pensée du cardinal Humbert. Lanfranc lui montre tout d’abord qu’il ne s’agit point d’une question de personne : c’est la pensée même de l’Église qui est en jeu. Humbert est le porte-parole du pape Nicolas, du Concile et des Églises, col. 412. Il ne s’agit point de choisir entre deux théologies, l’une populaire, celle de Paschase et de Lanfranc, l’autre plus savante, celle de Jean Scot : il s’agit de penser avec l’Église, ou de penser contre elle. La doctrine reçue par le peuple sur l’eucharistie est la doctrine de l’Église> : Ainsi Lanfranc préfère-t-il penser avec le peuple, que de penser en hérétique : malkm cum vulgo esse rusticus et idiola catholicus quam lecum existere curialis atque facetus hxreticus, c. iv, col. 414 B.

Bérenger est de tendance rationaliste : dans une question qui relève des autorités, il recourt à la dialectique d’une façon excessive, relictis sacris auctoritatibus. ad dialeclicam confugium facis, c. vii, col. 416D. Plus conforme à la foi est l’attitude réservée et prudente du croyant qui confesse son impuissance en face des*mystères qui le dépassent. Cf. c. xvii, col. 427, et c. xxi, col. 439. Ce sera l’attitude de Lanfranc : la meilleure critique de Bérenger lui paraît être l’exposé de la vraie pensée de l’Église.

Jamais l’Église n’a soutenu le pur symbolisme ; jamais elle n’a dit Panis et vinum altans solum modo sacramenta sunt. Telle est au contraire la pensée de l’hérésiarque qui nie la vérité du corps sacramentel

du Christ et qui ne voit sur l’autel que de purs symboles : nam et tu veritatem carnis negas, c. v, col. 415 ; qui carnis ac sanguinis negator existis, c. vi, col. 416 ; nunc et tu carnem et sanguinem negas in solo sacramento rem totam constituens, c. viii, coi. 418. Personne ne soutient, comme Bérenger le fait dire aux catholiques, qu’après la conversion, il n’y a que le corps et le sang du Christ.

L’Église, au terme de la conversion, admet et la vérité du corps et du sang du Christ et la permanence d’un signe sacramentel, c. v, vi et viii. Lanfranc se déclare d’accord avec Bérenger pour reconnaître que le sacrifice de l’autel se compose de deux éléments, l’un visible, l’autre invisible, le sacramentum et la res sacramenti. Mais il s’en sépare sur la question du rapport de ces deux éléments. Bérenger n’admet entre eux qu’un rapport de signe à chose signifiée ; le pain et le vin sont un symbole vide ; la réalité qu’ils signifient est absente, elle est au ciel. Lanfranc au contraire affirme avec l’Église que l’élément visible, sacramentum, les espèces du pain et du vin contiennent la chair invisible du Christ, omnis res illarum rerum naturam et veritatem in se conlinet ex quibus et conficitur, c. x, col. 421 C.

Bérenger prétend appuyer sa doctrine de la permanence du pain et du vin et du pur symbolisme eucharistique sur saint Ambroise et saint Augustin. Il a tort. Il est déraisonnable et téméraire de faire de saint Ambroise un témoin de la rémanence : les textes du De sacramentis (que Lanfranc attribue à Ambroise), comme ceux du De mysteriis, affirment sans doute la conservation des apparences, mais ils attestent aussi une conversion essentielle du pain et du vin. Esse quidem secundum visibilem speciem teslatur quæ erant : commutari vero secundum interiorem essentiam in naturam illarum rerum quæ antea non erant, c. ix, col. 420 D. C’est à tort également que Bérenger allègue les textes de saint Augustin sur la définition générale du sacrement, sacrum signum, c. ii, et sur l’application de cette définition à l’eucharistie, c. xui, xiv, et xv. Oui, il y a un aspect symbolique dans tout sacrement. Mais cet aspect n’est pas le tout du sacrement : le symbole contient en même temps qu’il signifie une réalité invisible. On peut dire avec saint Augustin dans sa fameuse lettre à Boniface : sacramentum corporis secundum quemdam modum corpus Christi est. En effet la chair invisible, .intelligible, spirituelle que nous recevons cachée sous la forme du pain, est le symbole du corps visible, palpable qui a été immolé sur la croix, c. xv.

b) Doctrine de Lanfranc. — a. Sur le fait miraculeux de la conversion. — Lanfranc condense son enseignement dans une formule qu’il faut citer tout entière :

Credimus igitur terrenas substantias, quæ in mensa dominica per sacerdotale mysterium divinitus sanctificantur, inefïabiliter, incomprehensibiliter, mirabiliter, opérante superna potentia converti in essentiam Dominici corporis, reservatis ipsarum rerum speciebus et quibusdam aliis qualitatibus, ne percipientes cruda et cruenta horrerent, et ut credentes fidei prsemia ampliora perciperent, ipso tamen Dominico corpore existente in cœlestibus ad dexteram Patris, immortali, inviolato, integro, incontaminato, illœso : ut vere dici possit et ipsum corpus quod de Virgine sumptum est nos sumere, et tamen non ipsum. Ipsum quidem quantum ad essentiam verœque naturae proprietatem atque virtutem ; non ipsum autem, si spectes panis vinique speciem, cæteraque superius comprehensa : hanc fidem tenuit a priscis temporibus et nunc tenet Ecclesia, quæ per totum diffusa orbem catholic anominatur, c. xviii, col. 430 BC.

C’est l’affirmation du miracle de toute-puissance divine qu’est la consécration ; en vertu de cet acte, les substances du pain et du vin sont changées en l’essence du corps du Seigneur ; ce corps eucharistique