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LANFRANC


de l’incendie qui, trois ans auparavant, avait détruit la cathédrale et qui sont tout simplement des faux éhontés. Ces pièces, au nombre de dix, sont rassemblées à la suite dans Guillaume de’Malmesbury, Gesla pontificum anglorum, 1. 1, 30-39, P. L., t. clxxix, col. 1464 sq., et Rolls Séries, t. Ln, p. 46-62 ; dans Eadmer de Cantorbéry, Historia novorum in Anglia, 1. v ad fin., P. L., t. clix, col. 506 sq., Rolls Séries, t. lxxxi, p. 261-276 ; H. Bôhmer en a donné une édition critique. Toute la question est de savoir qui est responsable de cette falsification. Pour l’honneur de Lanfranc, on aimerait à penser qu’il a été la victime d’une mystification, et les preuves apportées par H. Bôhmer pour établir que l’archevêque lui-même est l’auteur de cette fraude manifeste ne sont pas de telle nature qu’elles entraînent immédiatement— la conviction.

2. Le primat d’Angleterre.

Quoi qu’il en soit d’ailleurs, le concile de 1072 régla pour quelque temps la situation respective d’York et de Cantorbéry, et fit de Lanfranc le personnage le plus important de la Grande-Bretagne aussi bien au spirituel qu’au temporel. L’Irlande même, bien qu’elle ne fût pas encore rattachée au royaume anglo-normand, était l’objet de la sollicitude de l’archevêque, et Lanfranc semblait prendre au sérieux le titre de primat des contrées transmarines que le pape lui avait donné en même temps qu’il lui avait décerné le pallium. Voir surtout Episl., xxxviii, Giles, 44, t. r, p. 62, adressée à un roi d’Irlande Terdéluac (Tairdhealbach Va Briain), où l’archevêque de Cantorbéry parle comme s’il avait sur l’île une véritable juridiction. En même temps qu’il essayait ainsi de centraliser l’administration spirituelle des Iles Britanniques, Lanfranc, par suite de la confiance qu’il avait su inspirer à Guillaume le Conquérant, jouissait au temporel d’une autorité qui faisait de lui le premier personnage de l’Angleterre. Le roi séjournait peu dans l’île, et passait très fréquemment en Normandie ; durant les absences de Guillaume Lanfranc exerçait de véritables pouvoirs de viceroi.

3. Le réformateur de l’Église.

De cette autorité qu’il avait su acquérir, il fit le meilleur usage. Pour ne parler crue de son administration ecclésiastique, disons qu’il s’efforça d’abord de rendre au siège de Cantorbéry le lustre qui convenait à la métropole du royaume. La cathédrale rebâtie et agrandie, le cloître attenant restauré et peuplé, l’hôpital de Cantorbéry fondé, les revenus de la mense défendus et augmentés, tout cela en quelques années, voilà qui témoigne de l’activité de l’archevêque. Mais il était plus important encore d’opérer, tant dans le diocèse que dans le reste de l’Angleterre, cette réforme de l’Église à laquelle les papes, depuis Léon IX, venaient de donner le branle. Les mêmes maux que combattait sur le continent la politiçrue grégorienne désolaient l’Église d’Angleterre. Il fallut procéder d’abord à la réforme des monastères et des chapitres. On sait qu’à côté de plusieurs des cathédrales anglaises s’étaient développés des couvents dont les religieux assuraient le service de l’église. C’était le cas spécialement à Cantorbéry : mais plusieurs de ces chapitres réguliers, à commencer par celui de la métropole, avaient tendance à se séculariser. Lanfranc les peupla de moines venus des abbayes normandes déjà réformées et put ainsi favoriser le développement de la vie régulière. Cela n’alla pas d’ailleurs sans une as.ez vive opposition, qui se manifesta entre autres à ce même concile de Windsor dont nous avons parlé. Lanfranc en vint à bout en produisant, comme pour la compétition, entre Cantorbéry et York, un document pontifical, dans l’espèce une lettre de Boniface IV au roi Éthelbert, prescrivant aux desservants de l’église métropolitaine la vie en commun. (C’est la première des dix

pièces signalées plus haut.) Voir Jafîé, Regesla, n. 1998. Appuyé sur l’élément monastique, aidé par le roi qui mettait volontiers à son service la puissance séculière, Lanfranc put songer à travailler à une réforme plus complète de l’Église. Le concile de Londres, en 1075, eut à ce point de vue une importance considérable. Voir les textes dans Mansi, Concil., t. xx, col. 449-456 ; et les lettres par lesquelles Lanfranc résout les difficultés d’application qui lui sont soumises par ses collègues dans l’épiscopat, ibid., col. 25-34.

Mais, tout en s’inspirant de l’esprit général de la réforme grégorienne, l’archevêque de Cantorbéry, ne croyait pas qu’il fût nécessaire d’en suivre exactement toutes les directives. Sur deux points de grand intérêt, il est loin de pousser les exigences aussi loin que Grégoire VII. C’était à restaurer le célibat ecclésiastique que, la papauté s’évertuait depuis saint Léon IX, et, dès le lendemain de son avènement, Grégoire VII avait fulminé contre les prêtres mariés ou concubinaires et interdit au peuple chrétien d’assister aux offices de ces indignes. En Angleterre, Lanfranc crut devoir se montrer moins intraitable. Le concile de Winchester, en 1076, rendit le décret suivant : Ut nullus canonicus uxorem habeat. Sacerdotum vero in caslellis vel in vicis habitantium, habentes uxores, non cogantur ut dimittant ; non habentes interdicantur ut habeant. Et deinceps caveant episcopi ut sacerdotes vel diaconcs non præsumanl ordinare nisi prius proflteantur ut uxores non habeant. Mansi, Concil., t. xx, col. 459-460. On notera la distinction faite entre le clergé canonial et les prêtres de campagne, le respect de ce qu’on pourrait appeler les situations acquises, le vœu de chasteté imposé seulement au diaconat. Le second point important de la réforme grégorienne, c’était la suppression de l’investiture laïque. Lanfranc n’eut pas de peine à saisir la complexité d’une question que tranchaient, peut-être un peu vite, les théologiens de l’entourage pontifical. A une époque où l’évêque, l’abbé, étaient à la fois souverains temporels et dignitaires d’Église, le politique avisé qu’était l’archevêque de Cantorbéry comprenait que l’autorité civile eût son mot à dire, non seulement dans la désignation des titulaires, mais dans la cérémonie même qui leur conférait la juridiction. Les décrets de Grégoire VII interdisant toute investiture laïque restèrent à peu près lettre morte en Angleterre. Semblablement, malgré les demandes expresses de la cour romaine, Lanfranc n’insista pas outre mesure pour obtenir que son souverain fît hommage féodal de son royaume à saint Pierre. Voir la lettre assez froide que Lanfranc écrit à ce sujet à Grégoire VIL Epist., viii, Giles, 11, p. 32 : Verba legalidnis vestree cum prsefalo legato veslro, prout melius polui, domino meo régi suggessi, suasi, sed non persuasi. D’ailleurs était-il si facile de persuader Guillaume le Conquérant ?

4. Les relations avec Grégoire VII.

— Il faut ajouter que les rapports entre Lanfranc et Grégoire VII ont toujours témoigné de quelque froideur. N’étant encore qu’archidiacre Hildebrand n’avait pas mis beaucoup d’empressement à faire entériner par la curie romaine les décisions de Windsor ; seules les dispositions relatives au régime du chapitre de Cantorbéry avaient été expressément approuvées par Alexandre II. Jafîé, n. 4762. Les autres décrets qui tendaient à créer une sorte de patriarcat des Iles Britanniques ne devaient jamais être reconnues par Borne. Plus ou moins ouvertement, Lanfranc accusait l’archidiacre Hildebrand d’avoir fait échec à ses projets ; l’on comprend dès lors que les relations entre Borne et Cantorbéry aient été moins confiantes sous le pontificat de Grégoire VII que sous le règne d’Alexandre II. Le jour où Lanfranc devra se prononcer entre le pape légitime et l’antipape Guibert, suscité par Henri IV en 1080 sous le nom de