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LANFRANC

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Le nouveau moine fut un jour sur le point de se retirer secrètement pour mener la vie érémitique. L’abbé, providentiellement averti, parvint à le retenir en lui donnant le titre de prieur et la direction de l’école du monastère. On sait que les écoles de ce genre groupaient non seulement les aspirants à la vie monastique, mais encore des jeunes gens qui voulaient rester dans le siècle, soit comme clercs, soit même comme laïques. Assez mal située, peu commode, mal installée, sans grande renommée non plus, la nouvelle abbaye ne recrutait que peu d’élèves et les débuts de Lanfranc ne furent pas un succès. Mais soudain la part considérable que le nouvel écolâtre va prendre à la controverse bérengarienne attire sur lui l’attention de toute la chrétienté occidentale. Sur les détails de cette controverse, voir l’art. Bérenger, t. ii, col. 722 sq. C’est à la curie romaine que Lanfranc adopte l’attitude résolue qu’il gardera désormais. Les premières relations de l’écolâtre du Bec avec la cour de saint Léon IX avaient commencé au concile de Reims, en octobre 1049. Lanfranc y était venu, semble-t-il, pour arranger l’affaire du mariage de Guillaume, duc de Normandie, avec Mahaud de Flandre, sa parente à un degré prohibé. Le pape l’avait emmené avec lui en Italie et c’est ainsi que le prieur du Bec assista aux conciles de Rome et de Verceil, qui condamnèrent successivement Bérenger. Mis en cause par une lettre que lui avait adressée l’archidiacre d’Angers, Lanfranc se sépara avec éclat de la doctrine pour laquelle celui-ci se réclamait de l’autorité des Pères. Voir cette lettre de Bérenger dans P. L., t. cl, col. C3 C, et l’attitude de Lanfranc aux synodes de Rome et de Verceil, ibid., col. 413. Rentré en Normandie, le prieur continue la lutte contre le novateur ; à la conférence de Brionne, près du Bec, Lanfranc rallie tous les évêques de Normandie ; finalement Bérenger est chassé du duché par Guillaume. Cette vigoureuse campagne désigne le prieur du Bec et son école à l’attention générale. L’abbaye devient le rendez-vous de tous ceux qui cherchent la science théologique. C’est là que Yves de Chartres, Anselme d’Aoste, Anselme de Lucques (le futur pape Alexandre II), pour ne citer que les plus célèbres commenceront des études qui devaient leur donner la célébrité que l’on sait. Voir aussi la lettre par laquelle le pape Nicolas II envoie à Lanfranc, pour les former à la dialectique et à la rhétorique des chapelains pontificaux, P. L., t. cxliii, col. 1349 et celle que lui écrit Alexandre II, en lui confiant son neveu, t. cxlvi, col. 1353.

L’abbé de Saint-Étienne.

Depuis quelque temps

déjà, Lanfranc était entré fort avant dans la confiance du duc Guillaume dont il était le conseiller. Les choses pourtant faillirent se brouiller en 1058. Donnant suite, malgré les prohibitions ecclésiastiques, à ses projets antérieurs de mariage, le duc avait épousé Mahaud. Il attribua à l’action de Lanfranc l’opposition qui se manifesta tout aussitôt. A en croire Milon, le pape avait même jeté l’interdit sur toute la Normandie. Vita, 8, P. L., t. cl, col. 35. Guillaume ordonna au prieur du Bec de quitter le duché. Mais celui-ci put obtenir au dernier moment du souverain une entrevue que le biographe raconte de manière fort plaisante, il parvint à ressaisir l’irascible duc et désormais s’employa à faire régulariser par Nicolas II une situation qui sans cela demeurait sans issue. Le pape finit, dans un voyage que Lanfranc lit à Rome en 1059, par accorder au duc la dispense nécessaire. Il imposait comme pénitence canonique aux deux conjoints la construction d’un monastère d’hommes et d’un autre « le femmes. Guillaume ni Mahaud ne lésinèrent ; les deux splendidea églises de Cæn, Salnt-Étienne (l’Abbaye aux nommes) et la Trinité (l’Abbaye aux dames)

attestent aujourd’hui encore la munificence des deux

époux. Le monastère de Saint-Étienne était à peine terminé, que Lanfranc en était nommé abbé par le duc de Normandie. Mais cette élévation n’était pas la dernière.

En 1066, la bataille d’Hastings donnait l’Angleterre à Guillaume le Conquérant ; plus que jamais Lanfranc dirigeait les affaires du nouveau roi. Rome le revit en 1067, où il vint négocier la translation, voulue par Guillaume, de Jean, évêque d’Avranches, au siège métropolitain de Rouen. P. L., t. cxlvi, col. 1339. En même temps il demandait sans doute l’envoi dans les nouveaux États de Guillaume d’une légation pontificale qui vînt régler sur place les questions ecclésiastiques pendantes depuis la conquête. Cette ambassade abordait en Angleterre au printemps de 1070, composte de trois légats du pape, Hermenfred de Sion en Valais, et les prêtres romains Jean et Pierre. A Winchester, elle tenait en présence de Guillaume, dont elle venait de renouveler le couronnement, un concile où furent déposés l’archevêque de Cantorbéry, Stigand et quelques autres évêques et abbés anglais. Six semaines plus tard, à Windsor, d’autres exécutions suivirent. Mansi, Concil., t. xix, col. 1079-1080 ; t. xx, col. 5-6. Au fond il s’agissait surtout de débarquer les dignitaires ecclésiastiques anglais et de les remplacer par des Normands. C’est ainsi que Lanfranc fut désigné pour le siège archiépiscopal de Cantorbéry ; le 29 août 1070, il était sacré et intronisé dans sa cathédrale.

L’archevêque de Cantorbéry.

S’il avait, ce qui

n’était pas, sollicité cette élévation, l’abbé de Saint-Étienne aurait eu très vite à s’en repentir. Le nouvel archevêque en effet se heurta dès le début à d’énormes difficultés, et peu après son installation il écrivait à Alexandre II pour le supplier de le relever de sa charge. Epist., i, Giles, 3, 1. 1, p. 19.

1. La lulle avec York.

Les agitations des années précédentes avaient fortement entamé le prestige du siège de Cintorbéry. York qui n’avait jamais accepté d’une manière précise, et pour causes, la primauté de la métropole du Sud, refusait maintenant de la reconnaître en aucune manière ; le nouveau titulaire de cette ville, Thomas, essayait même de soustraire à l’obédience de Cantorbéry les sièges de Worcester, Lichfield, Dorchester, qui en avaient toujours dépendu. Ce fut l’occasion entre les deux archevêques d’un conflit extrêmement vif, que Lanfranc et Thomas portèrent à Rome à la fin de 1071. Avec beaucoup de prudence, le pape Alexandre II refusa de résoudre lui-même une question depuis si longtemps pendante et renvoya l’affaire à un concile anglais, où seraient appelés les évêques et abbés de tout le royaume. Cette assemblée se réunit à Winchester à Pâques, puis à Windsor à la Pentecôte 1072, sous la présidence d’un légat du pape le cardinal Hubert. Mansi. Concil., t. xx, col. 19 sq. Les deux parties produisirent leurs titres, Lanfranc invoquant l’Histoire ecclésiastique de Bède, les décisions d’anciens conciles anglais et de nombreux décrets pontificaux, Thomas produisant une lettre du pape Grégoire qui plæail sur la même ligne les évêques d’York et de Londres, mais sans parler de Cantorbéry. La victoire de Lanfranc, coin me il en témoigne dans une lettre adressée au pape, Epist., iii, Giles, 5, 1. 1, p. 23, fut complète et décisive. Mais elle n’avait pu être remportée que par des moyens dont l’emploi l’ait peser quelques doutes sur la parfaite loyauté de l’archevêque. Il est certain en effet, et 11. Bôluner l’a démontré péremptoirement, que les documents pontificaux produits par celui-ci et qui décidèrent du succès de ses revendications, sont des pièces falsifiées. Lanfranc lut au concile de la Pentecôte des lettres des papes Boniface IV, Boniface V, Honorais l<", Vitalien, Scrgius l r, Grégoire 111, Léon III, Formoseet Jean XI 1 dont les originaux auraient été sauvés, affirmait-il,