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LA METTRIE


le 19 janvier 1752, par Dargent, secrétaire des commandements du roi. Cet Éloge a inspiré tous les biographes de La Mettrie.

Les Œuvres médicales de La Mettrie ont été réunies et publiées à Berlin, 1755, in-4°. Cf. H. H ; eser, Lehrbuch der Geschichte der Medizin, Iéna, 1881, t. ii, p. 475-170. Ses Œuvres philosophiques ont été de même réunies et publiées, in-4°, Londres (Berlin), 1751, puis précédées de l’Éloge de l’auteur par Frédéric II, 2 in-8°, Berlin, 1774 ; 3 in-12, Amsterdam, 1774 ; L’édition la plus complète est celle de 3 tomes en 1 vol. in-8°, Berlin (Paris), 1796. On a publié dans la collection des chefs-d’œuvre méconnus, L’Hommemachine, suivi de l’Art de jouir, Introduction et note de Maurice Solowine, in-12, Paris, 1921.

II. Idées philosophiques et morales.

Les contemporains de La Mettrie, y compris ceux que partagèrent ses idées ou s’en inspirèrent — et Frédéric II lui-même — ne parlent pas de lui avec bienveillance. Lange, qui lui consacre un chapitre entier de son Histoire du matérialisme, est le premier qui lui attribue une réelle importance.

La Mettrie s’inspire de Descartes, Montaigne, Bayle, Hobbes, Locke et Toland et en tout, comme ses contemporains, il se préoccupe de la religion, mais pour la combattre. Son matérialisme, toutefois, n’est pas positivement un matérialisme cosmologique : nulle part il n’affirme catégoriquement que la matière est la seule réalité, mais un matérialisme anthropologique. Y a-t-il une âme au sens spiritualiste du mot ? La philosophie n’a pu et ne pourra jamais soutenir que le pour et le contre, la révélation, à elle seule, ne peut davantage résoudre la question : « S’il y a un Dieu, il est auteur de la nature comme de la révélation ; il nous a donné l’une pour expliquer l’autre et la raison pour les accorder ensemble. Par la nature seule, on peut découvrir le sens des paroles de l’Évangile… » L’Homme— machine, édit. Solowine, p. 58-59. L’observation par les sens doit être le guide unique. Les sens, « ce sont mes philosophes ». D’abord : Pas de suis, pas d’idées » et « Pas de sensations, pas d’idées ». Puis « L’âme dégagée du corps par abstraction ressemble à la matière considérée sans aucune forme ; on ne peut la concevoir. L’âme et le corps on ! été faits ensemble, dans le même instant, et comme d’un seul coup de pinceau. Celui qui recherche les propriétés de l’âme doit donc auparavant rechercher celles qui se manifestent clairement dans les corps. » Traité de l’âme, c. i, exposé de l’ouvrage. Et par conséquent aussi les médecins qui ont été philosophes mais non les philosophes qui n’ont pas été médecins oui le droit de parler ici. L’Homme-machine, p. 00. Or que disent les sens et l’expérience ? Les fondions de L’âme dépendent nettement des tempéraments, des milieux, de la nourri lure, des boissons, des maladies ; les troubles mentaux sont toujours la suite de troubles organiques. Les infiniment petits de l’organisme eux-mêmes peuvent jouer un rôle important par rapport aux fonctions de l’esprit : « Un rien, une petite fibre, une chose quelconque qui ne peut être découverte par l’anatomie la plus subtile, aurait fait deux idiots d’Érasme et de Fontenelle. » Ibid., p. 70 ; la physionomie livre le secret des âmes ; l’anatomie comparée démontre la parfaite analogie de l’organisation interne de l’homme et des animaux. Le joueur de flûte de Vaucauson obéit au même mécanisme que son canard, mais plus compliqué ; ainsi de l’homme et de l’animal. Le mouvement et la faculté de sentir sont donc Inhérent ! a la matière ; et < la pensée est si peu Incompatible avec la mature qu’elle en semble être une propriété comme… l’étendue ; concluons donc hardiment que l’homme est une machine et qu’il n’y a dans l’univers qu’une substance diversement modifiée. » Ibid.,

p. 142. L’homme est ainsi « une assemblée de ressorts qui tous se meuvent les uns par les autres sans qu’on puisse dire par quel point du cercle humain la nature a commencé. Si ces ressorts diffèrent entre eux, ce n’est donc que par leur siège et par quelques degrés de force, et par conséquent l’âme n’est qu’un principe de mouvement ou une partie naturelle invisible du cerveau qu’on peut, sans craindre l’erreur, regarder comme un ressort principal de la machine… en sorte que les autres n’en seraient qu’une émanation. » Ibid., p. 123. Cependant ne disons point que la machine humaine « périt tout à fait ; nous n’en savons absolument rien ». La chenille la plus avisée a-t-elle jamais su qu’elle deviendrait papillon. « Assurer qu’une machine immortelle est une chimère ou un être de raison, c’est faire un raisonnement absurde. Soumettons-nous à une ignorance invincible de laquelle notre bonheur dépend. » Ibid., p. 140.

Même raisonnement à propos de Dieu. La Mettrie dit très probable l’existence d’un Être suprême, mais les preuves traditionnelles du premier moteur et des causes finales ne prouvent rien : il y a un poids égal d’arguments pour et contre. La question importe peu d’ailleurs. De l’existence de Dieu on ne saurait conclure à la nécessité d’un culte et la croyance en Dieu n’entraîne pas la moralité à sa suite. « Quelle folie de se tourmenter pour ce qu’il est impossible de connaître et ce qui ne nous rendrait pas plus heureux quand nous en viendrions à bout. » Ibid., p. 105. Mais sa véritable pensée semble bien être cette conclusion qu’il prête à l’un de ses amis « aussi franc pyrrhonien » que lui-même : « L’univers ne sera jamais heureux à moins qu’il ne soit athée… La nature auparavant infectée du poison sacré reprendra ses droits. Sourds à toute autre voix, les hommes suivront leurs penchants individuels, qui seuls peuvent conduire au bonheur par les sentiers attrayants de la vertu. » Ibid., p. 111.

La morale de La Mettrie n’est qu’un épicurisme vulgaire, traduit parfois en propos licencieux. « La nature nous a créés uniquement pour être heureux. » Ibid.. p. 103. Le bonheur repose sur le sentiment du plaisir. Toutes les espèces de plaisir et de bonheur ne sont pas de même valeur, mais elles se ramènent toutes au plaisir sensuel et elles ont toutes des droits égaux. La sensibilité naturelle est donc la source première et la plus féconde de notre bonheur et l’éducation — à la condition qu’elle suive la nature et ne s’embarrasse pas de préjugés, principalement de la croyance à l’immortalité de l’âme — peut encore y contribuer en remédiant aux défauts de notre organisme. Il n’y a pas de bien et de mal au sens absolu du mot ; mais il y a l’intérêt public et l’intérêt privé. Les bons sont ceux qui font passer le premier avant le second ; en cela consiste la vertu. Contrairement à Hobbes, La Mettrie n’attribue pas à l’État le droit de fixer obligatoirement le bien ainsi compris, mais à chacun. Toutefois, par l’éducation, par un système de récompense, l’État peut amener les individus à servir L’intérêt général, à mettre en cela leur honneur et à y trouver leur bonheur, en même temps que par un système de peines, il maintiendra les méchants dans une crainte salutaire.

Les méchants, comme les bons d’ailleurs, n’agissent que sous l’irrésistible impulsion d’une éducation qui les a faussés. Ce sont des malades plus que des coupables ; ils relèvent du médecin plus que du magistral cl l’État qui les poursuit dans l’intérêt de la cotiser vation sociale ne doit pas leur faire plus de mal que ce but ne l’exige.

On a accusé La Mettrie d’avoir conseillé le vice El condamné le repentir et le remords. Sans doute, dans le Discours sur le bonheur, Œuvres philosophiques, édit.

d’Amsterdam, 1774, t. rt, p. 170, il émet cette théorie : « Si la nature t’a fait pourceau, vautre-toi dans la