Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/562

Cette page n’a pas encore été corrigée
2533
2534
LAMENTATIONS (LIVRE DES^


paraît pas aux yeux de tous les critiques comme très probant. Cf. Driver, op. cit., p. 463, note. Du reste, les emprunts à Ézéchiel ne s’opposeraient pas à la composition par Jérémie.

2. Origine du livre des Lamentations d’après les critiques. — a) Pluralité d’auteurs. — En même temps que l’authenticité, était à peu près également abandonnée l’unité d’auteur. C’est du moins à l’heure actuelle la tendance de plus en’plus générale. Non seulement, remarque Budde, une telle collection de poèmes sur un même sujet suggère d’abord l’idée d’auteurs différents, mais il est facile d’établir parmi ces poèmes des groupements. Op. cit., p. 75. A cet effet, un des premiers arguments mis en avant par les critiques vient de la variation de l’ordre alphabétique. Tandis que dans le c. i l’ordre de l’alphabet hébreu est l’ordre usuel, dans les c. ii, m et iv il y a interversion des lettres phé et ain. Si le fait ne se reproduisait jusqu’à trois fois, on pourrait admettre une transposition accidentelle ; le sens d’ailleurs, du moins dans les c. m et iv, réclame la disposition actuelle. Nombreuses ont été les hypothèses proposées pour rendre compte de cette particularité tout en maintenant l’unité d’auteur. Cf. Ermoni, art. Lamentations, dans Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, t. iv, col. 49 ; seule la diversité d’auteurs en fournirait une explication satisfaisante.

Malgré l’unité de sujet dans les Lamentations, une certaine diversité existe entre les poèmes dont elles se composent. Si les c. n et iv semblent bien l’œuvre d’un témoin des événements douloureux qu’il décrit, d’un des fidèles de Sédécias l’accompagnant dans sa fuite, il n’en est pas de même ni du c. i, qui apparaît dans la dépendance de n et iv, et dont l’auteur déjà plus éloigné des événements n’en voit plus le lugubre spectacle, mais seulement les funestes conséquences, ni du c. m surtout, regardé généralement comme le plus récent, car il lui manque la vivacité de couleurs des autres, tandis que l’art factice de l’alphabétisme y est poussé à l’extrême comme dans le psaume cxvin. Quant au c. v, la forme poétique suffit à elle seule à le distinguer des autres poèmes, par le ton général il se rapprocherait des c. i et ni. Steuernagel, op. cit., p. 760-761.

Quant au nombre des auteurs et au groupement des poèmes, les conclusions, on le conçoit, varient d’une manière sensible. Volontiers on attribue à la même main les c. n et iv, tous deux de la même époque très proche de la ruine de Jérusalem. Plus récents, mais antérieurs à la fin de l’exil, les c. i et iv, qui seraient avec le c. m de trois auteurs différents, Steuernagel, Lôhr, Budde. « . Il faut probablement, conclut Gautier, admettre cinq auteurs différents. » Op. cit., p. 164.

b) Date et lieu de composition. — Dans l’hypothèse traditionnelle, cette question de la date et du lieu de composition des Lamentations est facile à résoudre. Puisque c’est Jérémie qui en est l’auteur, tout porte à croire qu’il écrivit peu de temps après la prise et la destruction de Jérusalem, au milieu des ruines mêmes de la ville ; la vivacité des couleurs et l’angoisse de l’âme qui perce à chaque mot laissent entendre que la catastrophe est récente ; la famine qui sévit si cruellement, Lam., i, 11, 19 ; ii, 19, 20 ; iv, 3-5, est bien en situation aux jours qui suivirent immédiatement la destruction de la cité.

Dans l’hypothèse critique, les mêmes remarques valent également pour la composition des c. n et iv à une époque très rapprochée des événements qu’ils supposent. D’après Zach., vii, 3, 5 ; viii, 19, dès le temps de l’exil, on commémorait ces mêmes événements par des jours de deuil et de pénitence ; on peut supposer qu’en ces circonstances des chants du genre de ceux de notre livre étaient chantés, et peut-être

même que nos Lamentations furent alors composées’Steuernagel, op. cit., p. 759-760. Ainsi s’explicjuerait la forme acrostiche de ces chants, destinée à en faciliter la mémoire ; mêmes conclusions, au sujet de la date de ces deux chapitres, 580 à 570 environ, dans les commentaires de Lôhr et de Budde. Plus récents, mais encore antérieurs à la fin de l’exil, les c. i et v, car rien n’indique même un commencement de restauration des ruines de 586. Quant au c. iii, généralement tenu pour le plus récent et de beaucoup, on le fait descendre jusqu’au ive et même au ine siècle (Budde). Faisons une simple mention de l’hypothèse de Fries qui essaie de faire des c. m et iv une œuvre du temps des Macchabées. Zeilsch. fur die A. T. Wiss., 1893, p. 110 sq.

Sur l’époque de la constitution du recueil, on ne saurait, faute d’éléments, essayer même quelque précision.

Conclusion. — Même parmi les critiques, toutes ces conclusions sur l’origine des Lamentations ne sont pas tenues pour définitivement acquises. Driver, par exemple, tout en reconnaissant que les données du livre ne sont pas favorables à l’authenticité jérémienne, ajoute qu’on ne saurait mettre en doute que les Lamentations soient l’œuvre d’un ou de plusieurs contemporains ; plus d’un, en effet, en ces jours troublés, a dû, comme le prophète, ressentir vivement les deuils et les malheurs de la patrie et, disciple de Jérémie ou auteur familiarisé avec ses œuvres, aura exprimé sa douleur et sa foi en des accents qui rappellent parfois ceux des oracles du fils d’Helcias. Op. cit., p. 464.

Bien des arguments aussi, invoqués à l’appui des hypothèses critiques, ne sont pas sans appeler maintes réserves. L’on a justement fait remarquer que si le ; Lamentations rendent parfois un son tout différent de celui des prophéties de Jérémie, c’est qu’alors, après la ruine de Jérusalem, la situation est devenue tout autre ; ce n’est plus ici le prophète qui parle, essayant par des reproches et des menaces d’arrêter son peuple sur la pente fatale, c’est le patriote, cruellement frappé dans son amour profond pour son pays et la ville sainte, donnant libre cours aux sentiments qu’il a dû si longtemps comprimer jusqu’au jour de l’exécution du jugement.

D’autre part les caractères particuliers de chacun des poèmes qui s’opposeraient à l’unité d’auteur ne sont pas tels qu’ils imposent absolument pareille conclusion. Si l’on remarque, par exemple, les points de contact du c. m avec les autres : les expressions communes, cf. Driver, op. cit., 464, le lien logique qui le rattache au chapitre précédent dont il ne fait que renforcer la description de la misère générale ; si l’on admet, d’autre part, que ce même chapitre, dont l’authenticité est le plus vivement contestée, « a quelcrue chose d’élevé et de profond qui lui appartient en propre », Gautier, Introduction…, p. 164, on se résignera difficilement à considérer ce poème comme un pastiche sans originalité dont la composition serait de deux ou trois siècles postérieure à celle des autres.

Notons enfin que, même d’après les conclusions de la majorité des critiques, nous restons avec les deux poèmes des c. n et iv dans le milieu historique de la ruine de Jérusalem dont des témoins nous font revivre la douloureuse impression ; avec ceux des c. i et v, ce sont encore les mêmes événements avec leurs funestes conséquences et leur répercussion dans l’âme du peuple juif, et ainsi les Lamentations demeurent des documents de première valeur pour l’histoire des derniers jours de Juda et des premiers temps de la captivité. De plus il est juste de souligner avec M. Touzard « une conséquence des différences qui existent entre ces élégies et les prophéties de Jérémie. Ici le