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LAMENTATIONS (LIVRE DES)


question a été posée et résolue par la négative. A l’heure actuelle, on peut dire qu’en dehors du catho licisme et de quelques protestants de plus en plus rares, l’on tient généralement les Lamentations pour des compositions anonymes, dues à plusieurs auteurs, s’échelonnant de la ruine de Jérusalem à la fin de l’exil et même plus tard encore. L T n exposé des raisons du rejet de la thèse traditionnelle et des conclusions auxquelles aboutit l’étude critique du livre permettra d’en juger.

1. Critique des arguments de la thèse traditionnelle. — a) Les témoignages. Le texte des Paralipomènes ne constitue pas une preuve en faveur de l’authenticité des Lamentations, il lui est même défavorable, car seul, d’après luj, le c. iv, à l’exclusion de tout le reste serait l’œuvre de Jérémie. Cf. supra.

Le court prologue des Septante et de la Vulgate est totalement absent de l’hébreu, dont le titre reproduit simplement le premier mot : « comment » du premier poème. N’est-ce pas une preuve qu’une tradition plus ancienne que celle des Septante ignorait la composition par Jérémie des Lamentations ? Une autre preuve encore en est fournie par la place même du recueil dans la IIIe partie de la Bible hébraïque, alors que le livre du voyant d’Anatoth figure parmi les « Prophètes, » dans la IIe partie, remarque d’autant plus significative que la composition du livre de Jérémie à l’aide d’éléments très variés ne s’opposait nullement à l’insertion de ces poèmes élégiaques s’ils avaient été réellement tenus pour l’œuvre du même auteur que l’ensemble du recueil prophétique.

b) Les arguments internes. — L’examen approfondi du livre lui-même, loin d’être concluant en faveur de la solution traditionnelle, en souligne davantage encore l’invraisemblance.

Si l’on a pu relever nombre d’expressions semblables ou identiques dans les Lamentations et les prophéties de Jérémie, plus nombreux encore sont les mots des Lamentations inconnus au prophète. Sans doute dans.bien des cas la diversité de sujets fournit une explication suffisante, mais l’emploi par le poète élégiaque de mots différents pour exprimer des idées communes aux deux ouvrages se concilie difficilement avec l’unité d’auteur. Cf. Nœgelsbach, Die Klagelieder, Bielefeld, 1868, p. xi-xv ; Lôhr, dans Zeitschrift fur die A. T. Wissenschajt, 1894, p. 31-50 ; Driver, op. cit., p. 463, note. Les affinités non douteuses que présentent entre eux le livre de Jérémie et celui des Lamentations peuvent d’ailleurs recevoir une explication autre que celle que proposent les partisans de l’opinion traditionnelle : un disciple de Jérémie, plusieurs peut-être, familiarises avec les œuvres du prophète, ont fort bien pu faire passer dans leurs écrits quelque chose de l’esprit et des expressions accoutumées du maître.

Quant au genre d<.’composition : poèmes alphabétiques, n’est-il pas incompatible avec ce que nous savons par ailleurs de la manière d’écrire vive et naturelle du prophète qui ne pouvait guère s’accommoder d’un genre aussi artificiel ? Si en pareille matière de goût, il est dillicile de porter des jugements pour une époque aussi lointaine, il est permis de supposer pourtant, remarque Budde, que Jérémie, après les événements de la ruine de son pays et pour autant que nous pouvons le suivre d’après les c. xxxix à xuv de son livre, n’avait guère cette liberté et cette tranquillité d’esprit nécessaires à de tels épanchemenls lyriques. Die Klagelieder, p. 74.

Pour ce qui est la tradition, consignée dans l’introduction au i « xi < des Septante et séparée par

t rois siècles au moins de l’époque de.lérémie, ne serait elle pas une simple hypothèse, fondée sur la ressemblance de ton entre les Lamentations et les oracles

du fils d’Helcias, cf. surtout Jer., viii, 8-ix, et sur certaines allusions à la vie de Jérémie que l’on a cru trouver dans les Lamentations ? Cf. Lam., iii, 14, 5356, et Jer., xx, 7 ; xxxviii, 6. Ne procède-t-elle pas, cette tradition, « du besoin instinctif et généralement répandu de sortir de l’anonymat, de mettre un nom d’auteur sur toute œuvre littéraire ou artistique ?… Or, pour les Lamentations, il n’y avait guère moyen d’hésiter. La situation que ces chants décrivent est clairement dessinée : il s’agit de la catastrophe qui a mis fin à l’existence autonome du royaume de Juda. Un prophète d’entre les plus grands a été, chacun le sait, le contemporain et le témoin de ce douloureux événement ; il l’a présenté comme un juste châtiment des péchés du peuple et a flagellé la conduite des prêtres et des prophètes. Or les Lamentations adoptent la même attitude : quoi de plus naturel que d’y voir une œuvre de Jérémie ? On peut d’ailleurs discerner dans ces cinq poèmes certaines locutions et certaines images qu’on rencontre également dans le livre de Jérémie. » Gautier, Introduction à l’Ancien Testament, Lausanne, 1914, p. 162-163. Moins que tout autre pourtant, Jérémie était désigné, selon la remarque d’un autre critique, pour décrire les événements qui ont marqué les derniers jours de la ville puisque durant le siège il était en prison, Jer., xxxviii, 28 ; xxxix, 19, et qu’il n’était point parmi les fidèles de Sédécias l’accompagnant dans sa tentative d’échapper à l’ennemi, Lam., iv, 19. Cf. Jer., xxxix, 4, et IV Reg.. xxv, 4 ; Budde, Die Klagelieder, Tubingue, 1898, p. 73.

Les jugements sur les personnes et les choses non moins que les procédés littéraires distinguent nettement les Lamentations des prophéties de Jérémie. Les oracles où les Chaldéens apparaissent comme les exécuteurs des desseins de Dieu ne sauraient être de la même main que les appels à la vengeance de Jahvé sur eux. Lam., i, 21-22 ; iii, 59-66. Le voyant d’Anatoth pouvait-il dire que les prophètes de la fille de Sion ne reçoivent plus de vision de Jahvé, Lam., ii, 9, et celui qui avait affirmé qu’il n’y avait rien à espérer de l’intervention du Pharaon, Jer., xxxvii, 5-10, aurait-il pu écrire : « Du haut de nos tours, nous regardions vers une nation qui ne pouvait nous sauver ? » Lam., iv, 17. L’oracle de malédiction contre Sédécias, Jer., xxiv, 8-10, ne laisse pas de rendre bien invraisemblable de la part du même auteur ces mots des Lamentations appliqués à Sédécias : « le souille de nos narines, l’oint de Jahvé ». iv, 20. Enfin le prophète qui avait proclamé la responsabilité personnelle : « Chacun mourra dans son iniquité, » Jer., xxxi, 29-30, comment pourrait-il dire : « Nos pères ont péché et ils ne sont plus ; et nous, nous avons porté leurs iniquités ? » Lam., v, 7.

Les emprunts faits par les Lamentations à dej ouvrages plus récents fourniraient un dernier" argument contre l’authenticité. Toutes en effet présentent quelques ressemblances littéraires avec des psaumes, mais surtout avec les psaumes de complainte ; de plus le c. ni rappelle au point de vue de la composition alphabétique le psaume cxviii ; le c. n n’est pas sans analogie avec maints passages du livre d’Ézéchiel ; cf. suit oui Lam., ii, 4, et Ezech., xxiv, 16, 21, 25 ; Lam., a, l l. et Bzeéh., iii, 6, 9, 23 ; xxi, 34 ; xxii, 28… ; une expression très rare dans la Bible : « Jahvé a accompli sa fureur », se trouve et dans Lam., iv, 11, et dans Ezech., v, 13 ; vi, 12 ; xiii, 15. Le poème enfin sur la ruine de Tyr, Ezech., xxvii. aurait bien pu suggérer une composition semblable sur la ruine de Jérusalem. Cf. Lôhr dans Zeitsch. /iir die A. T. Wiss., L894, p. 31.

On notera toutefois que cet argument des affinités littéraires, dont quelques-uns font état pour fixer la date des différents chapitres des Lamentations, n’ap-