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LAMENTATIONS (LIVRE DES


moins que l’iconographie, sculpture et peinture, ont concouru à vulgariser à nos regards le prophète d’Anatoth sous les traits d’un homme de douleurs, dont les lèvres ne semblent murmurer que plaintes et chants de deuil. Cette donnée mérite à la vérité le nom de traditionnelle. » J. Touzard, L’âme juive au temps des Perses, dans la Revue biblique, 1916, p. 326. Il importe donc de recueillir les témoignages de la tradition et d’en apprécier la valeur.

1. Arguments externes.

Si le livre des Lamentations n’a pas de titre dans l’hébreu et ne porte aucune indication relative à son auteur, les Septante, en revanche, qu’ils mentionnent ou non le prophète dans le titre, débutent par cette courte introduction : « Il arriva, après qu’Israël fut réduit en captivité et que Jérusalem fut déserte, le prophète Jérémie s’assit pleurant ; il proféra cette lamentation sur Jérusalem et dit. » La Vulgate hiéronymienne a traduit ce prologue en le faisant précéder du titre : Thrènes, c’est-à-dire Lamentations du prophè’e Jérémie, et en y ajoutant ces mots : l’âme remplie d’amertume et gémissant. Ce prologue de notre Vulgate ne semble pas toutefois avoir appartenu au texte primitif, car d’anciens témoins l’ignorent ; c’est de l’ancienne version latine que, sans doute, il aura passé dans la Vulgate. Dans le Targum, on trouve ces mots simplement : Jérémie le prophète et grand prêtre dit. Dans le Syriaque, aucune indication analogue.

Toute la question est de savoir d’où vient ce texte des Septante et partant quelle est sa valeur. Le caractère de traduction d’un original hébreu qu’il semble bien présenter a fait supposer que le texte hébreu primitif, comportait une notice semblable ; c’est assez peu vraisemblable, car sa disparition dans le texte massorétique devient difficilement explicable, étant donnée la tendance des copistes à ajouter plutôt qu’à supprimer. Cf. les titres de psaumes. Il vaut mieux y voir une addition des traducteurs grecs consignant une tradition sur l’origine des Lamentations, tradition d’ailleurs encore attestée et par la place même du recueil qui suit immédiatement les oracles de Jérémie, et par l’affirmation du Talmud au traité Baba Balhra 15 a : « Jérémie a écrit son livre et les Lamentations. »

Antérieur même à ce témoignage des Septante, dont il serait d’après quelques-uns l’un des points de départ les plus importants, est un texte de II Parai., xxxv, 25 : « Et Jérémie composa une lamentation (ou des lamentations) sur Josias, et tous les chanteurs et les chanteuses parlèrent dans leurs lamentations au sujet de Josias jusqu’à ce jour, on en a Jait une coutume en Israël et voici qu’ils (ces chants) sont écrits dans les Lamentations. » D’après ce texte, objet de nombreuses discussions, Jérémie aurait écrit sur la mort de Josias une ou plusieurs complaintes, dont le chant maintenu jusqu’au nie siècle environ serait devenu une coutume ou une loi en Israël ; mais les Lamentations où ces chants furent consignés par écrit sont-elles identiques à notre livre canonique des Lamentations ? A première vue, il semble bien qu’il en soit ainsi ; car, s’il s’agissait d’un recueil différent composé par Jérémie et jouissant d’une telle notoriété du temps du chroniste, on ne s’expliquerait pas sa disparition. Ainsi d’ailleurs l’ont entendu, probablement l’historien Josèphe, Ant. jud., X, v, 1, et certainement saint Jérôme, lequel, dans son commentaire sur Zacharie xii, 11, s’exprime ainsi : « Jérémie écrivit des Lamentations sur Josias qui sont lues dans l’Église, le livre des Paralipomènes l’atteste. » P. L., t. xxv, col. 1515. Nombreux sont les critiques modernes qui pensent également que le chroniste entend parler, en quoi il se trompe, de notre livre des Lamentations (Nôldeke, Lohr, Wildeboer, Cornill, Budde, Steuernagel).. Il aura appliqué à Josias certains passages des Lamentations

tels que ii, G ; iv, 20, ce dernier en particulier où il est parlé d’un roi avec tant d’amour et de respect qu’il n’est guère possible que ce soit de l’impie Sédécias.

Malgré cela, on ne saurait identifier le livre canonique des Lamentations à celui dont parle l’auteur des Paralipomènes, car nulle mention n’y est faite du roi Josias.tandis qu’il n’y est question que de la ruine de Jérusalem et de la captivité de Juda. S’il faut admettre comme d’aucuns le veulent, que les complaintes sur Josias et nos Lamentations auraient fait partie d’un même recueil, l’affirmation du chroniste ne témoignerait pas davantage en faveur de l’opinion traditionnelle, puisque seules les Lamentations sur Josias seraient l’œuvre de Jérémie.

La tradition chrétienne a suivi la tradition juive des Septante, témoins : Origène, dans Eusèbe H. E., vi, 25, P. G., t. xx, col. 581 ; S. Épiphane, Hier., viii, P. G., t. xli, col. 213 ; S. Jérôme, In Zach., xii, 11 cf. supra. Jusqu’au xviiie siècle, cette tradition n’a pas varié.

2. Arguments internes.

A l’appui de ces témoignages de la tradition, les preuves fournies par l’étude du livre lui-même ne manquent pas. Ce sont en premier lieu les ressemblances nombreuses et frappantes qu’offrent entre eux les deux ouvrages attribués à Jérémie. Dans l’un et l’autre, la même sensibilité, toujours prête à s’émouvoir sur les malheurs de la patrie, trouve, pour exhaler sa plainte, la même richesse et la même fraîcheur d’expression, cf. en particulier les c. xiv et xv de Jérémie. Dans l’un et l’autre se retrouve la même manière d’envisager et de juger la situation : les malheurs de la nation ont les mêmes causes, à savoir les péchés du peuple, Jer., xiv, 7 ; xvi, 10-12 ; xvii, 1-3 et Lam., i, 5, 8, 14, 18 ; iii, 42 ; iv, 6, 22 ; v, 7, 16, des prêtres et des prophètes, Jer., ii, 8 ; v, 31 ; xiv, 13-16 ; xxiii, 11-40 et Lam, ii, 14 ; iv, 13-15 ; la vaine confiance dans les alliés, Jer., ii, 18, 36 ; xxx, 14 ; xxxvii, 5-10 ; et Lam., i, 2, 19 ; iv, 17. A cette similitude de pensées et de sentiments s’ajoute la similitude d’images et de vocabulaire : Jérusalem est abandonnée par ses amants, Jer., xxx, 14, et Lam., i, 2 ; sa nudité et sa honte ont été dévoilées, Jer., xiii, 22, 26 et Lam., i, 8-9 ; les femmes mangent la chair de leurs enfants, Jer., xix, 9 et Lam., ii, 20… ; cf. Driver, An introduction lo the Literalure of the OUI Testament, Edimbourg, 1898, p. 462. Même tendance enfin à citer souvent le Deutéronome, Lam., i, 3, et Deut., xxviii, 65 ; Lam., i, 5, et Deut., xxviii, 44 ; Lam., i, 10, et Deut., xxiii, 3 ; Lam., ii, 8, et Deut., xxviii, 52 ; Lam., iv, 11, et Deut., xxxii, 22, et à répéter les mêmes pensées et parfois les mêmes mots. « Mais plus encore qu’en ces détails les rapprochements sont frappants quand on considère l’allure générale des deux documents. La grande prophétie paraît, de prime abord au moins, rendre la même note, refléter la même nuance, respirer le même esprit que les cinq délicieux petits poèmes. » J. Touzard, loc. cit., p. 327-328. Cf. Flœckner, Ueber den Ver/asser der Klagelieder, dans Theologische Quartalscliri/t de Tubingue, 1877, p. 187-280 ; Ermoni, art. Lamentations. dans Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, t. iv, col. 4647 ; Cornely, Hislorica et critica introductio…, t.ub, p. 406-411 ; Trochon, Jérémie, Lamentations, Paris, 1883, p. 333-339 ; Kaulen, Einleitung…, Fribourg-cn-B., 1884, p. 313 ; Keil, Commentar ùber den Prophet Jeremias, p. 548-555 ; Knabenbauer, In Danielem prophetam, Lamenlationes et Baruch, Paris, 1891, p. 367-374.

D’après la critique moderne.

Malgré l’ensemble

de ces arguments invoqués en faveur de l’opinion traditionnelle, la majorité des critiques rejette l’authenticité du livre des Lamentations. Ce n’est qu’à partir du xviii c siècle que l’affirmation traditionnelle a été contestée, mais c’est surtout au xix siècle que la