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2521 LAMENNAIS, CONCLUSION. JUGEMENT SUR SA DOCTRINE 2522

spirituelle dont elle est le lien, la condition d’existence fondamentale ; développements parallèles entre eux, et coordonnés d’autre part à l’évolution générale de l’humanité. « La religion est une, immuable, universelle, mais… progressive…, elle accomplit, selon des phases que détermine l’ordre général, son éternelle évolution identique avec celle de l’homme. » De la religion, p. 9-10.

a) Développement de la connaissance religieuse. — Puisque la religion n’est autre chose que la raison, « la foi constitutive de l’intelligence, » l’illumination du Verbe, imprimant dans la créature spirituelle sa ressemblance, signatum est super nos lumen vullus lui, la religion « commence à l’instant où l’homme lui-même commence d’être intelligent ; » son origine est « à la fois divine et naturelle, » p. 146-147. « Pour que le progrès s’accomplît, et que l’humanité atteignît sa fin, il fallait qu’en dehors de la simple foi, mais en partant d’elle, la raison opérât sa laborieuse évolution, qu’elle s’efforçât de concevoir sa croyance, de pénétrer en Dieu pour le mieux connaître et déduire de ses lois, les lois de la création. Ce que la religion offre de divers dans ses manifestations chez les différents peuples représente les phases de ce travail, » p. 148-149. Lamennais en distingue trois, représentées par « les religions de la nature », le polythéisme et le christianisme. Les religions de la nature « n’étaient qu’un effort de l’esprit pour découvrir, dans l’unité de l’Être . infini, ses propriétés essentielles, » p. 151. « Mais bientôt on reconnut que ces propriétés, ces puissances distinctes inhérentes au souverain Être, impliquaient en soi nécessairement l’idée de personne : d’où le polythéisme, qui fut un progrès véritable, quoiqu’en personnifiant les propriétés, on ait trop oublié les propriétés elles-mêmes dont la personnalité n’est que le mode d’existence, et dans lesquelles réside fondamentalement toute réalité. » Ibid. Le christianisme, « achevant l’œuvre des siècles précédents, a résolu (le problème de Dieu, de son essence, de tes lois internes), du moins en partie. Il a déterminé le nombre et la notion des personnes divines, sans toutefois déterminer celle des propriétés qui les caractérisent et dont elles ne sont que le mode d’existence, » p. 152-153. Enfin Lamennais parut ! o Nous avons tenté, dit-il, de combler la lacune que présente à cet égard le dogme chrétien… Il s’agit d’opérer une profonde synthèse qui embrasse dans son unité les religions de la nature et les religions fondées sur l’idée de personnalité, ou qui, satisfaisant le double besoin de l’esprit, résolve, dans ses bases métaphysiques et scientifiques le problème de Dieu et de la Création, » p. 154-155.

Cette lacune dans la conception de la Trinité n’est pas le seul reproche qu’adresse Lamennais au christianisme traditionnel. « Le christianisme, divin et humain tout ensemble, contient de ce chef deux éléments, l’un correspondant à la vérité immuable, éternelle, et toutefois progressive quant à nous ; l’autre relatif à nos conceptions qui se modifient avec les âges, » p. 159. Le christianisme o a fixé la notion de Dieu et celle de la création distincte de lui et unie à lui. Il a révélé symboliquement, dans le dogme eucharistique, la véritable loi de vie. Il a promulgué la loi morale, la loi du devoir et du droit, sous son expression la plus parfaite… » p. 159-160. « Mais par la fausse idée d’un ordre surnaturel, généralement répandue jadis, à cause de l’ignorance des lois de la création ou des causes secondes dérivées de la cause première », il a produit toute une série de croyances que la raison ne saurait plus admettre. Enfin un large champ à cultiver s’étend encore devant le christianisme, débarrassé de « cette idée contradictoire d’un ordre surnaturel ». « Jusqu’ici confiné, en ce qui lient au dogme, dans la théologie pure, et, en ce qui tient aux préceptes,

dans la vie domestique, les relations individuelles, il n’a encore pénétré directement ni dans la science ni dans les institutions sociales, » p. 165. Mais il n’y a « nulle possibilité que le christianisme continue son évolution, qu’il s’unisse à la science et à la société d’une manière intime et directe, à moins qu’il ne se transforme en vertu d’une conception nouvelle de ce qu’il est en soi, par son essence ; à moins que, se dépouillant du caractère surnaturel que lui imprime une croyance fondée sur une vue obscure et confuse des choses, il ne rentre dans l’enceinte des lois naturelles de l’homme ; et cette transformation, difficile et lente, mais certaine, commence à s’opérer sous nos yeux. Elle marquera, dans l’histoire de l’humanité, l’un de ces moments solennels qui ferment une ère et en ouvrent une autre, où tout semble périr et où tout renaît, * p. 166-167.

b) Développement de la société religieuse. — A la suite de Bonald, Lamennais a d’abord distingué deux époques, dans le développement de la société spirituelle ou religieuse : « Avant Jésus-Christ il existait une société spirituelle et visible, société universelle, mais purement domestique, qui conservait le dépôt des vérités nécessaires… La religion primitive s’étant développée…, la société spirituelle s’est développée pareillement ; perfectionnée dans sa constitution et ses lois, elle est devenue société publique. » Essai, t. ii, p. 385-386. Lamennais n’accepte pas l’aventureuse hypothèse de Ventura d’une « succession régulière de personnages infaillibles qui, sous le rapport de l’enseignement de la foi, auraient remplacé avant Jésus-Christ le pontife suprême de la loi nouvelle. » Lettre à Ventura, 20 janvier 1827, Études, 20 avril 1910, p. 242243. Cette absence « de tribunal extérieur divinement institué pour proclamer infailliblement la doctrine, c’est (précisément) ce qui distingue l’Église moins parfaite avant Jésus-Christ de l’Église plus parfaite depuis Jésus-Christ. » D’autre part, l’établissement du « peuple de Dieu » sous la loi mosaïque ne constitue pas une modification de toute la société spirituelle, qui embrasse le genre humain. Cf. Essai, t. iii, c. xxiii. Donc deux grandes époques seulement dans l’évolution de la société spirituelle : avant Jésus-Christ, société purement domestique ou naturelle : depuis Jésus-Christ, société publique ou « constituée ».

Mais, à partir du jour où le pape a refusé de suivre le programme de rénovation du catholicisme que lui proposait Lamennais, celui-ci a commencé à prophétiser une « dispensation » nouvelle du christianisme. Cf. Duine, p. 183-184 ; Dudon, p. 363-364. « Tôt ou tard, une grande religion, qui ne sera qu’une phase de la religion immuablement une…, sortira du chaos actuel, et réalisera parmi les hommes une plus vaste unité que le passé n’en connut jamais. » De la religion, p. 21-22. « Nul ne saurait prévoir comment s’opérera cette transformation, ou, comme on voudra l’appeler, ce mouvement nouveau du christianisme au sein de l’humanité ; mais il s’opérera sans aucun doute, et de grandes masses d’hommes y seront entraînées… Ce sera d’abord comme un point qu’à peine on apercevra, une faible agrégation dont on se rira peut-être. Peu à peu ce point s’étendra, cette agrégation se dilatera, on y affluera de toutes parts, parce qu’elle sera un refuge à tout ce qui souffre et dans l’âme et dans le corps ; et l’humble plante deviendra un arbre dont les rameaux couvriront la terre, et sous le feuillage duquel viendront s’abriter les oiseaux du ciel. Affaires de Rome, p. 302-303.

Conclusion. Jugement sur la doctrine de Lamennais. — Nous n’avons pas à apprécier ici l’importance du rôle de Lamennais dans l’histoire de l’Église ou dans l’histoire de la France.. Il est incontestable que le fondateur de L’Avenir fut le père du libe