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LAMENNAIS, DOCTRINES PHILOSOPHIQUES


aucune intelligence ne peut penser, ne peut exister, sans penser Dieu. « L’on ne saurait parlersans nommer Dieu, puisqu’on ne saurait parler sans prononcer ou sans concevoir le mot est… Ainsi l’homme n’a pu exister comme être intelligent, n’a pu parler sans connaître Dieu, et ne l’a pu connaître que par la parole. » Essai, t. ii, p. 222-223. — Mais, pas plus que l’homme, être fini, contingent, n’existe par lui-même, son intelligence, sa pensée, sa vision de Dieu, ce qui est tout un, n’est acquise par lui-même : elle lui est donnée, et elle lui est donnée par la parole, qui est, en quelque sorte, le sacrement de la vision de Dieu. « Toute parole n’est qu’un écoulement, une participation de la parole infinie, du Verbe divin.. Dans la parole des êtres créés il y a donc deux choses, le Verbe divin qui seul éclaire par son efficace, et une limite relative à la nature des êtres auxquels il se communique, dans lesquels il s’incarne en quelque façon. » Esquisse d’une philosophie, t. ii, p. 222-223. Ainsi naît en l’homme l’Intelligence : « La vision du vrai, ou la vision de Dieu, est proprement l’intelligence, la raison, en ce qu’elle a de primitif : et conséquemment la raison implique originairement ( ce qui ne veut pas dire seulement à l’origine de l’humanité) la révélation ou le concours de Dieu dans la production de la pensée, concours permanent et qui n’est que la loi naturelle de la pensée même, impossible sans lui. Ainsi tout acte d’intelligence, toute vision spirituelle implique quelque chose de Dieu, une révélation de lui-même, et quelque chose de l’homme ou la conscience de sa vision, l’acquiescement interne appelé foi. » De In religion, p. 61. « Inaltérable, invincible, cette foi primitive, identique avec la vie intellectuelle, ne dépend de nous en aucune façon. Nous n’avons pu la produire en nous, nous ne pouvons l’y détruire : elle est le fond de toute pensée… Le domaine de la croyance libre commence au delà, car la croyance libre implique la volonté, qui, née de l’intelligence et la supposant, ne peut rien sur la foi constitutive de l’intelligence. » Ibid., p. 68-69.

4. La Trinité.

« Deux idées, dit P. Janet, dominent la philosophie de la nature (disons même toute la philosophie) de Lamennais : l’idée d’évolution et l’idée trinitaire. » Op. cit., p. 126. Il faut y joindre l’idée de société ou de la multiplicité ramenée à l’unité, dont la Trinité offre d’ailleurs le type idéal. Cf. Maréchal, Essai d’un système…, p. xxvi et sq. Et la raison de la place importante que tient la doctrine de la Trinité dans le système de Lamennais, c’est que, « l’Être infini étant le principe de tout ce qui est, rien ne peut être connu qu’autant qu’on le connaît lui-même. Seul il est la raison des êtres qui existent hors de lui ; ses lois sont leurs lois, et la notion qu’on peut se former d’eux en ce qu’ils ont de radical dérive tellement de la notion qu’on s’est faite de l’Être nécessaire, que l’édifice entier de la science n’a pas d’autre base. » De la religion, p. 77-78. L’idée trinitaire joue, dans la philosophie de Lamennais, le même rôle que la théorie de l’acte et de la puissance dans celle d’Aristote.

Mais j le dogme chrétien de la Trinité », s’il pouvait figurer, dans ÏEssai d’un système de philosophie catholique, ne s’étonnera-t-on pas de le rencontrer dans VEsquisse d’une philosophie ? Lamennais a prévu l’objection. « Nous montrons que le dogme chrétien dé la Trinité, résultat du travail de la raison humaine pendant de longs siècles et de son développement progressif, est le plus haut point où elle soit encore parvenue dans la science de Dieu, et que ce dogme en restera la base inébranlable, quels que soient les progrès futurs de cette même raison. » Esquisse, 1. 1. p. xiii. II n’appartient peut-être pas encore à l’ordre de foi, n’ayant pas encore été sanctionné par le consentement universel, mais il rentre dans l’ordre de conception, dans la « théologie ». « Quoique rigoureusement un, l’Être a néanmoins des propriétés nécessaires comme lui, infinies comme lui, puisqu’elles ne sont que lui-même, et distinctes entre elles : car ce sont les propriétés qui déterminent l’Être, qui le constituent ce qu’il est ; et l’absence de toutes propriétés n’est que l’absence totale de l’Être. » Esquisse, 1. 1, p. 47. : < Que si, contemplant l’Être infini, nous essayons de découvrir ses propriétés nécessaires, nous trouvons que l’idée de l’Être renferme premièrement celle de force ou de puissance : car, pour être, il faut pouvoir être, et l’existence implique la notion d’une énergie par laquelle elle est perpétuellement réalisée, » p. 48. La seconde propriété « contenue dans l’idée de l’Être infini » est l’intelligence, puisque visiblement quelque chose qui peut être et qui est lui manquerait, ou il ne serait pas infini, s’il n’était pas intelligent. Il ne serait même en aucune manière ; son existence impliquerait contradiction : car rien ne saurait exister sans forme, et la forme n’est en Dieu que l’intelligence sous une autre nom. » /617I. « Ce qui est étant nécessairement déterminé, la substance implique une forme qui la détermine ; et comme, en la déterminant, par là même elle la rend intelligible et que l’Être infini n’est complètement intelligible, qu’à lui-même, la forme qui la rend intelligible est l’Intelligence même, ou la connaissance intime qu’il a de soi. » De la religion, p. 86. Enfin voici comment Lamennais découvre une troisième et dernière propriété « dans la notion de l’être » : « la puissance et l’intelligence, essentiellement distinctes, doivent être ramenées à l’unité de la substance, sans quoi leur coexistence dans l’Être infini serait contradictoire. On est donc obligé de concevoir dans la substance une troisième propriété qui opère en elle l’union de la puissance et de l’intelligence ; et ce principe infini d’union, qu’on appelle amour, est la vie même de Dieu ; car, dans tous les êtres, la vie n’est que l’union de la force par laquelle l’être est, et de la forme qui, le détermi nant à être ce qu’il est, en est la raison sous ce rapport. » De la religion, p. 86-87. « . Il y a donc dans l’Être infini trois propriétés nécessaires, et il n’y en a que trois : car toutes les autres qu’on essaierait de nommer ne sont que ces propriétés essentielles conçues sous des rapports particuliers, selon leurs opérations propres. » Esquisse, t. i, p. 49-50.. Il ne reste plus qu’à montrer que ces trois propriétés nécessaires constituent trois personnes ; voici comment on y parvient : — Ces trois propriétés essentielles de l’Être absolu, distinctes à la fois et infinies, sont nécessairement conçues sous une notion analogue à celle de personne, puisque la personnalité est évidemment renfermée dans l’idée du souverain Être, et que, par conséquent, tout ce qu’il contient ayant en lui un mode d’existence personnelle, tout ce qu’il contient d’essentiellement distinct y a nécessairement une personnalité distincte. » De la religion, p. 87.

5. La Création ou rapports de l’infini et du fini.

« Créer, c’est produire ou réaliser au dehors ce qui auparavant n’avait d’existence que dans l’entendement divin. Et puisqu’en créant Dieu donne l’être, cet être qu’il donne, il le tire de soi, puisqu’il ne peut évidemment exister aucune portion d’être qui n’ait pas sa source dans l’Être infini. » Esquisse, t. i, p. 104105. « La réalisation extérieure des idées divines, ou la création, ne retranche rien de l’Être infini, n’y ajoute rien. Elle n’en retranche rien, puisque les types éternels qui étaient dans l’Être infini y demeurent immuablement ; elle n’y ajoute rien, car il n’en résulte aucune production d’être ou de substance, laquelle est impossible en soi. » Ibid., p. 106. Ainsi la création n’est que la production au dehors des « idées divines », ou pour mieux dire, la reproduction, sous le mode fini, en d’innombrables exemplaires, de plus en plus parfaits,