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LAMENNAIS, VIE : LA RUPTURE


nière déclaration et l’exhorta à adresser bientôt au pape « une déclaration digne de vous,, ., qui puisse enfin satisfaire entièrement à ses vœux si justes et si apostoliques. » Affaires, p. 151-156.

La désapprobation du pape ne pouvait porter, aux yeux de Lamennais, que sur la dernière partie de sa déclaration, sur la distinction, capitale selon lui et catholique, de l’ordre religieux, où le chrétien est tenu à l’obéissance et de l’ordre purement temporel, où il demeure entièrement libre. Justement il venait d’avoir à ce sujet plusieurs conférences avec Mgr de Quélen, d’où étaient sortis un Mémoire, cf. Affaires, p. 147153, et une Lettre au pape, cf. Dudon, p. 418-419. Lamennais a expliqué à Montalembert ce qui se passa alors dans son âme quand il se vit contraint de donner une « adhésion illimitée, absolue, …à un acte qui, de l’aveu de tout le monde, n’a aucun caractère dogmatique, qui n’exprime aucune doctrine nette, précise, à laquelle la foi puisse s’attacher, qui, de plus, renferme beaucoup de choses non susceptibles, par leur nature, d’être des objets de foi, tandis qu’en outre on rejetait une clause énonciative d’un point de tradition constamment proclamé dans l’Église ; » cette adhésion « impliquait la reconnaissance de l’infaillibilité individuelle du pape, quelque chose qu’il dît et dans quelque ordre que ce fût, c’est-à-dire la réelle déification de ce même pape… Les réflexions que me suggéra cette position étrange me conduisirent à de très grands doutes sur plusieurs points du catholicisme… Alors, laissant de côté la question de vérité qui m’avait préoccupé jusqu’à ce moment, je ne vis plus dans cette triste affaire qu’une question de paix à tout prix, et je me résolus à signer non seulement ce que l’on me demandait, mais encore sans exception tout ce que l’on voudrait, fût-ce même la déclaration que le pape est Dieu… Mais, en même temps, je me décidai à cesser désormais toute fonction sacerdotale : ce que j’ai fait. » Lettres inédites de Lamennais à Montalembert, p. 230231. Paris, 1898. Ce fut la quatrième et dernière déclaration . Il décembre 1833) : elle était rédigée en latin et « conçue uniquement dans les termes du bref adressé le 5 octobre à M. l’évêque de Rennes. » Ego infra script us… doclrinam encijclicis ejusdem pontificis litteris traditam me unice et absolate sequi confirmo, nihilque ab Ma alienum me aut scripturum esse aut probalurum. Cf. Censure, p. 188. Deux jours après, en lui apprenant cette démarche, Lamennais annonçait à Montalembert qu’il renonçait à tout sans exception ce qui avait rempli sa vie antérieure et qu’il essaierait, quoique bien tard, à en commencer une nouvelle, mais qu’il ne voulait associer personne à ses destinées futures, quelles qu’elles fussent. Lettres inédites…, p. 227-228.

/II. LA PÉRIODE yO-V-CATHOLIQUE (1834-1854).

Cette décision était irrévocable et toutes les tentatives

— Dieu sait si elles furent multipliées ! — faites pour l’ébranler, même aux derniers jours, restèrent sans résultat. Lamennais croit d’ailleurs n’avoir pas changé autant qu’on se l’imagine : « Le changement qui s’est opéré en moi est tout différent de ce que vous vous le figurez. Mes idées, toujours les mêmes pour le fond, se sont rectifiées, étendues, développées, voilà tout. » A la baronne Cottu, 1 er juin 1837. p. 191. Il disait vrai, ses idées n’avaient pas changé : sa philosophie religieuse, son christianisme identifié à la religion, c’est-à-dire aux rapports qui résultent nécessairement de la nature de Dieu et de l’homme, son christianisme plus récent dont l’essence consiste dans l’affranchissement spitituel et temporel du genre humain, tout cela n’avait pas changé et ne changera pas. Ce qui a changé, ce qui est irrémédiablement tombé, c’est la confiance qu’il avait mise dans le pape, dans la hiérarchie, en vertu d’une théorie métaphysique de la société, pour la réalisation de l’unité de la société spirituelle. Il rêve encore,

il rêvera toujours de refaire l’unité spirituelle du genre humain, et par le christianisme, parce qu’ « aucune philosophie, aucune religion n’eut, avant le christianisme, aussi visiblement pour objet de reconstituer le genre humain dans l’unité. » Affaires, p. 177. Mais l’unité ne peut résulter d’une soumission contrainte à une autorité oppressive des consciences. Le despotisme doit faire place à la liberté dans l’Église aussi bien que dans l’État. Mais comment Dieu procédera-t-il pour opérer cette grande réforme dans son Église, quelle forme nouvelle va sortir de la chrysalide qui se dessèche ? Lamennais ne se hasarde pas sur l’heure à le prédire, parce que « nous sommes ici dans un ordre de choses qui dépendant de lois particulières, dans un ordre surnaturel dirigé immédiatement par les volontés de Dieu suscitées pour nous. » Cité par Dudon, p. 373. Toutefois il n’hésite pas à prophétiser que les temps sont révolus : a Ce pape-ci clôt une époque. » A Montalembert, 5 août 1834, p. 319. Les peuple ?, même les peuples catholiques, n’ont prêté aucure attention à l’encyclique Mirari, et sans s’inquiéter des anathèmes du pape contre la liberté, Belges Irlandais, Polonais, Espagnols, luttent contre leurs oppresseurs. Le genre humain d’un côté, Rome de l’autre : le choix s’impose selon le critère de la raison générale, Securus judical orbis terrarum. Mais au sein du catholicisme même qui se croit le plus orthodoxe, Lamennais découvre une crise de l’autorité. « Pour moi, dans mes nombreux rapports, je n’ai pas rencontré deux catholiques qui sur les questions les plus graves crussent exactement la même chose..le ne les en blâme pas, au contraire, car, en usant de la raison qu’il tiennent de Dieu, avec la liberté inséparable de la raison même, ils sont dans l’ordre, dans l’ordre éternel, mais je vois là un symptôme frappant de l’avenir qui se prépare. » Lettre à l’abbé Thomas, 26 avril 1853, Revue latine, 1908, p. 187-188. — En attendant les transformations inévitables et prochaines, ne nous séparons pas volontairement de l’Église, de la vieille société spirituelle, de « l’Église impérissable, dont la vie, même terrestre, n’est pas attachée à une forme unique… Restons fermes et inébranlables dans la grande unité. » A Rio, novembre 1833 ( ?) dans Leugère, p. 347-348. La même chose à de Coux, 21 mai 1834, dans Duine, p. 187 ; à Montalembert, 19 octobre 1833, p. 202 ; voir la curieuse page inédite » publiée par Duine à ce sujet, p. 183-184. A Larminier qui le poussait à sortir de l’Église, Boutard, t. iii, p. 119-120, Lamennais répondait : < Je n’ai point rompu avec l’Église, je n’ai point imité Luther et je ne l’imiterai point, persuadé que je suis que les schismes ne font que du mal… Hors du catholicisme, expression la plus complète des traditions du genre humain, dans ce qui n’est pas la science, je ne vois rien qui ressemble à une religion. Je reste donc catholique pour rester religieux, pour conserver, en ce qui dépend de moi, cet élément impérissable de la nature humaine ; mais en même temps je ne m’associe point au système politique des chefs du catholicisme, je les combats au contraire c ! e tout mon pouvoir, parce que j’ai aussi des devoirs rigoureux envers l’humanité et que je ne reconnais point la cause de Dieu dans celle de l’ignorance. » 9 septembre 1831, dans Feugère, p. 363. — « Synthèse des religions antérieures, le catholicisme, dont le rôle fut magnifique, s’est perdu par sa notion d’un ordre surnaturel, qui devait le mettre en conflit fatal avec la nature et avec la science. Mais, si l’ondébarrassaitcette grande confession religieuse de son erreur fondamentale, et de ce système hiérarchique désormais en antagonisme avec le progrès, elle constituerait, avec quelques adaptations faciles, le meilleur organe de la société spirituelle, et conduirait l’humanité sans secousses fâcheuses aux lendemains désirables. »