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LAMENNAIS, VIK : LA CONDAMNATION


p. 631. La réponse de Lamennais, ibid., p. 629-631, n’ayant pas satisfait Ventura, celui-ci rompit avec L’Avenir par une lettre du 7 février, publiée dans La Gazette de France. C’est de Rome encore que le cardinal de Rohan, l’un des principaux adversaires des idées ménaisiennes, envoyait, en avril 1831, un mandement très défavorable à L’Avenir. A Rome, enfin, s’organisait la résistance à la » di< tature » du prophète breton (le mot, repris par Duine, pour le titre de son t. II, se trouve déjà dans Boyer, Examen de la doctrine de M. de la Mennais, p. xxx, Paris, 1834) ; le cardinal de Rohan déterminait le P. Rozaven à publier son Examen du livre de Gerbet, écrit depuis quatre ans ; l’adversaire du sens commun « démontrait, dans l’introduction de son travail, que la doctrine de L’Avenir sur les libertés modernes était inacceptable ». Dudon, p. 95 ; cf. Éludes, 5 juin 1908, p. 618. Voir l’analyse du votum de Ventura, pour ce qui concerne l’organisation à Rome du parti antiménaisien. Dudon, p. 128-129.

On peut penser, dans ces conditions, que ce fut sans enthousiasme que Lamennais accueillit la proposition de Lacordaire : « Nous ne pouvons finir ainsi. Il faut nous rendre à Rome pour justifier nos intentions, soumettre au Saint-Siège nos pensées. » Boutard, t. ii, p. 254-55. Et sans doute faisait-il montre d’une assurance qui n’était pas en son âme, quand, à Montalembert objectant : « Si nous sommes condamnés ? » il répondait : « C’est impossible. » Hélas ! le « pèlerin de Dieu et de la liberté » porte en son cœur, en cette fin de novembre 1831, des pensées et des résolutions beaucoup plus alarmantes : on peut les lire dans ces méditations inquiètes, qu’il a intitulées Les maux de l’Église, commencées à Rome, continuées à Frascati, quand, après le départ de Lacordaire pour la France et de Montalembert pour Naples, il était resté seul à proximité de ses juges. En formules encore voilées, mais déjà si nettes, il distingue l’humain et le divin, l’accidentel et l’essentiel, le variable et l’immuable dans l’Église. Voir Afjaires de Borne, p. 188. Et n’est-ce pas l’agonie de son âme, quand aura sonné l’heure inévitable de la condamnation, et la révolte farouche qui la terminera fatalement, que Lamennais décrit, sous le voile de l’allégorie, dans cette page étrange ? « Le plus grand (danger pour l’Église) est celui qui résulte d’une position telle qu’elle se trouve en discordance avec un état inévitable de la société… Alors il y a lutte, une lutte terrible, entre les éléments mêmes de la nature humaine, et l’homme fuit Dieu, si l’on ose dire, pour ne pas cesser d’être homme… Plus l’obstacle qu’il rencontre est saint en soi, plus il s’en indigne : il se rue sur lui avec une fureur qu’excite le contraste entre cette sainteté même et ce qu’il y a de divin aussi dans la puissance interne par laquelle il se sent dominé. Ce n’est pas impiété réfléchie, voulue ; mais étonnement, angoisse, l’angoisse horrible d’un être qui, ne pouvant comprendre cette apparente opposition de Dieu à Dieu se trouble en lui-même, et brise l’autel contre lequel il ne saurait appuyer avec foi son cœur. — Je parle des masses… » Ibid., p. 194-5.

c) La condamnation. — On connaît l’issue de « l’Affaire » : le Mémoire du 3 février 1832, examiné sommairement par le cardinal Lambruschini, révéla à l’ancien nonce l’équivoque et le piège qu’il avait déjà flairés et dénoncés : « En demandant que la censure de ses doctrines porte sur les matières théologiques, l’abbé de La Mennais montre, par cette limitation même, qu’il n’a pas la confiance que ses doctrines politiques puissent être approuvées. » Dudon, p. 153. — La lettre du cardinal Pacca à Lamennais (25 février) : < Sa Sainteté. .. ne m’a pas cependant dissimulé en général son mécontentement, à cause de certaines controverses et opinions, au moins dangereuses, et qui ont semé une si grande division parmi le clergé de France… Il (le saint père) m’a paru disposé à faire entreprendre l’examen de vos doctrines, comme vous l’avez demandé. Mais un tel examen… ne pourrait pas être fait sitôt. Il exigera même un long temps… Ainsi vous pourrez retourner chez vous avec vos collègues ; car, en son temps, on vous fera connaître le résultat de l’affaire… > Id., p. 154-5. — L’audience, l’unique audience et l’audience d’adieu, fut accordée aux « pèlerins de Dieu et de la liberté » le 13 mars, en présence du cardinal de Rohan ; le pape « nous a congédiés fort gracieusement, notait Montalembert dans son Journal, sans qu’il lui fût échappé une seule parole ayant le moindre rapport à notre mission et aux destinées de l’Église. » Cf. Lecanuet, Montalembert, Sa jeunesse (1810-1836), p. 286-7, Paris, 1898. — Enfin le coup de théâtre de Munich. Lamennais, avait quitté Rome au mois de juillet. A Munich, les trois pèlerins se retrouvèrent. Lamennais se mesura avec Schelling ; les catholiques allemands l’invitèrent « à lire devant un auditoire d’élite quelques chapitres de son Essai d’un système de philosophie catholique. » Eoutard, t. ii, p. 326. Un banquet d’adieu lui fut offert, le 30 août : vers la fin du repas, tandis que les convives écoutaient un air national, Lamennais, averti qu’on le demandait au dehors sortit, discrètement. C’était un courrier de la nonciature qui lui apportait l’Encyclique Mirari vos et une lettre explicative du cardinal Pacca. Il en prit rapidement connaissance et rentra dans la salle, sans manifester aucune émotion. Et jusqu’au Soir, il sut garder une attitude souriante et triomphante, pour ne rien laisser deviner à ses hôtes. Rentré chez lui, avec Lacordaire, Montalembert, et Rio, il leur donna lecture de l’encyclique. « C’est la condamnation de la liberté et l’abandon de la nationalité polonaise, ajouta-t-il ; Dieu a parlé, il ne me reste plus qu’à dire : Fiai voluntas tua ! et à servir ces deux causes par ma prière, puisqu’il me défend, par l’organe de son vicaire, de les servir par ma plume. » Boutard, t. ii, p. 329-331. Le R. P. Dudon a raconté par le détail la genèse de l’encyclique du 15 août 1832 : rapport de Lambruschini, « destiné à définir l’objet des délibérations que le souverain pontife demandait à la Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires ; » votum des consulteurs, pris en dehors du Sacré-Collège, en particulier du P. Orioli, conventuel, du P. Rozaven, jésuite, et des deux prélats Soglia et Frezza, celui-ci secrétaire, de la Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires ; enfin, le 9 août, séance de la dite congrégation, où les cardinaux « ratifièrent les conclusions présentées par Mgr 1-rezza, et un projet de lettre apostolique conforme à ses conclusions. Sans que Lamennais fût nommé, le document pontifical flétrirait certaines doctrines sur le droit de révolte et les libertés modernes et rappellerait sur ce point la vérité catholique. » Op. cil, p. 172-185.

Voici ce que Lamennais apprit par la lettre explicative du cardinal Pacca : « Ainsi que je vous l’avais fait espérer par la lettre que vous reçûtes de moi lors de votre séjour à Rome, Notre Saint-Père a décidé de faire examiner mûrement et d’examiner lui-même les doctrines de L’Avenir, comme vous et vos collaborateurs l’aviez instamment demandé… Dans la lettre encyclique… vous verrez… les doctrines cpie Sa Sainteté réprouve comme contraires à renseignement de l’Église, et celles qu’il faut suivre, selon la sainte et divine tradition et les maximes constantes du Siège apostolique. Parmi les premières, il y en a quelques-unes qui ont été traitées et développées dans J. 1 Avenir, sur lesquelles le successeur de Pierre ne pouvait se taire… L’encyclique vous apprendra— que votre nom, et les titres mêmes de vos écrits d’or, l’on a tiré les principes réprouvés, ont été tout à fait supprimés. Mais comme vous aimez la vérité, et désirez la con-