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LAMENNAIS, VIE : « L’AVENIR »


l’Église. « Nous demandons pour l’Église catholique la liberté promise par la Charte à toutes les religions… Ce n’est pas, je pense, trop demander, et vingt-cinq millions de catholiques ont bien le droit aussi de se compter pour quelque chose, le droit de ne pas trouver bon que l’on fasse d’eux un peuple de serfs, des espèces d’ilotes ou de parias. On s’est trop habitué à ne voir en eux qu’une masse inerte, née pour subir le joug qu’on voudra lui imposer. Le repos de l’avenir exige qu’on se détrompe à cet égard. » Œuvres complètes, t. ix, p. "vm-ix. Et pour préciser la menace, Lamennais parle de la résistance des catholiques belges. De 1826 à 1829, de La Religion considérée aux Progrès de la Révolution, la pensée de Lamennais a fait du chemin. Et la Révolution de Juillet 1830 n’est pas faite pour l’arrêter ; il s’est rendu compte que, la restauration de la monarchie chrétienne et de la théocratie grégorienne était, « dans les dispositions actuelles des peuples, visiblement impossible. » L’Avenir, 9 novembre 1830, p. 181, t. x des Œuvres complètes. | Désormais, à moins d’avis contraire, toutes les citations du t. ix seront extraites du livre Des Progrès, et celles du t. x, se rapporteront aux articles publiés par Lamennais lui-même dans le journal L’Avenir.] Des deux pièces maîtresses du système le Roi et le Pape, la première est actuellement introuvable : il n’y a plus de monarchie chrétienne ; les doctrines gallicanes ont « transformé en despotisme l’antique monarchie chrétienne. » T. ix, p. 32. Et d’ailleurs l’entreprise était condamnée à un échec certain ; car l’histoire nous apprend qu’on ne remonte pas le cours du temps, que le développement de l’humanité se fait suivant une loi de progrès à laquelle il serait vain et même criminel de s’opposer. « Le but vers lequel tend la société…, est la liberté religieuse, politique et civile, c’est-à-dire d’un côté l’affranchissement de l’intelligence plus ou moins asservie sous tous les gouvernements modernes à la force brute du pouvoir, et de l’autre une extension de la sphère d’activité publique et particulière proportionnée aux développements de cette même intelligence, avec les garanties nécessaires des droits résultant de ce nouvel état social. » T. x, p. 235. L’humanité entre dans une nouvelle période de son histoire. Le mouvement qui entraîne les peuples vers la liberté « a son principe indestructible dans la loi première et fondamentale, en vertu de laquelle l’humanité tend à se dégager progressivement des liens de l’enfance, à mesure que, l’intelligence affranchie par le christianisme croissant et se développant, les peuples atteignent, pour ainsi dire, l’âge d’homme. » T. x, p. 317-18. Il faut s’arrêter à de telles formules, qui ne sont pas d’ailleurs isolées, cf. p. 329 : « Ce temps est venu pour les peuples chrétiens ; il viendra pour les autres, il viendra pour le genre humain lorsque, ayant passé tout entier sous l’empire du Christ, dont la mission est de l’affranchir (c’est moi qui souligne), il aura été associé à son sacerdoce royal. » Ainsi la liberté que le Christ apportait au monde, c’était la liberté politique ; la rédemption du genre humain, c’était la suppression de l’esclavage antique et l’éducation progressive de l’intelligence sociale, à laquelle correspond un accroissement proportionné de liberté civile ! L’ « essence du christianisme », c’est la liberté ! Ainsi l’œuvre à laquelle Lamennais a dévoué toute sa vie, l’œuvre à laquelle il convie le pape à participer, est une œuvre toute politique. « Même la foi mise à part », c’est-à-dire abstraction faite de tout ce qui n’est pas social et politique, abstraction faite de son contenu proprement religieux et dogmatique, attachons-nous au christianisme, au catholicisme, pour « sa secrète affinité avec la nature humaine », pour les heureuses conséquences que ses dogmes, même incertains, peuvent produire dans les sociétés humaines.

Quelle lumière de telles incidentes projettent sur toute la vie de Lamennais ! Cf. Affaires de Rome, p. 206.

L’Avenir publia son premier numéro le 16 octobre 1830, et annonça sa suspension dans le numéro du 15 novembre 1831, qui fut le dernier. « Les rédacteurs étaient MM. l’abbé F. de La Mennais, l’abbé Ph. Gerbet, l’abbé Rohrbacher, l’abbé H. Lacordaire, Ch. de Coux, Ad. Rartels, le comte Ch. de Montalembert, Daguerre et d’Ault-Duménil. » Mémoire présenté au S. P. Grégoire XVI, dans Affaires de Rome, p. 69, Pour connaître la pensée de Lamennais, il faut lire particulièrement ses articles du 7 décembre 1830 ; Des doctrines de L’Avenir, t. x, p. 196-205 ; du 22 décembre 1830, Le pape, p. 206-211 ; du 28 juin 1831, De l’avenir de la société, p. 315-327 ; et du 30 juin 1831, Ce que sera le catholicisme dans la so-.iétë nouvelle, p. 338-350. La thèse, car c’est bien une thèse que Lamennais entend faire triompher dans l’Église, est nettement formulée et systématiquement démontrée dans l’article du 28 juin : « Pour ce qui concerne spécialement le catholicisme, il est aisé de montrer : a. que, loin d’avoir quelque chose à craindre du changement qui s’opère, il en est lui-même le principe moteur ; b. que ce changement, nécessaire à son propre développement suspendu depuis plusieurs siècles, réalisera, en sauvant l’Église, ce qu’on appelait ses prétentions les plus hardies et, comme on les concevait, les plus exorbitantes ; c. en même temps que lui seul peut fonder et affermir le nouvel ordre social qui se prépare. » T. x, p. 325. En deux mots : une alliance s’impose entre le catholicisme et la liberté, qui ont besoin l’un de l’autre ; le catholicisme ne peut être sauvé que par la liberté ; la liberté ne peut être fondée que par le catholicisme. — Que la liberté ne put être fondée que par le catholicisme, c’était chose facile à démontrer aux libéraux sincères ; mais que le catholicisme ne pût être sauvé que par la liberté, c’était chose plus délicate à faire admettre aux évêques de France et au pape. Lamennais s’y employa, en montrant qu’ « à partir principalement de la naissance du protestantisme, deux causes ont arrêté la force d’expansion du catholicisme : la scission qui s’est faite entre la science et la foi, l’état de servitude où l’Église est tombée à l’égard du pouvoir politique, » p. 330. On ne rétablira l’union de la science et de la foi que par la libre discussion, que par la liberté. La vérité est toute-puissante. .. « Nous croyons fermement que le développement des lumières modernes ramènera un jour, non seulement la France, mais l’Europe entière, à l’unité catholique, qui, plus tard et par un progrès successif, attirant à elle le reste du genre humain, la constituera par une même foi dans une même société spirituelle, » p. 150-1. Et quant à l’autre cause de faiblesse et de stérilité, à savoir « l’état de servitude où elle est tombée à l’égard du pouvoir politique >, c’est encore la liberté qui en débarrassera l’Église. D’ailleurs le système actuel des rapports de l’Église et de l’État, qui comporte « un mélange inévitable des deux puissances spirituelle et temporelle, » p. 332, est une survivance attardée d’un état social aujourd’hui dépassé. Trop longtemps les deux domaines, le spirituel et le temporel, ont été confondus : « le roi dans l’État, comme le père dans la famille, exerçait de fait.. une autorité directe sur la pensée et la conscience de ses sujets ; et comme cette autorité appartenait radicalement à l’Église…, il s’ensuivait que la paternité royale, subordonnée par son essence au pouvoir spirituel de l’Église, devait être tout ensemble et dépendante de lui et instituée par lui, » p. 332-3. L’heure est venue de distinguer, de séparer nettement les deux domaines, les deux pouvoirs, de rendre à Dieu ce qui appartient à Dieu, et de n’accorder à César que ce qui lui revient. Et à César Lamennais paraît faire la part bien petite.