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LAMENNAIS, VIE : LE POLITIQUE


très près d^ libéralisme catholique. La liberté des peuples et de l’Église à l’égard des souverains temporels, qui refusent de comprendre leur rôle selon la conception chrétienne, c’est à dire ménaisienne, du pouvoir, cf. l’article Vingt-un Janvier (1823), Seconds mélanges, p. 260-62, tel est à la fois le but et le moyen de ce programme politique. Puisqu’on refuse la protection d’un État qui pratique l’athéisme politique, que reste-t-il sinon de se réclamer pratiquement de la liberté des cultes et de la liberté d’enseignement inscrites dans la Charte ? Servons-nous des libertés qui nous sont accordées pour conquérir celles qui nous sont refusées. L’objectif à réaliser, c’est une théocratie à la manière de Grégoire VII : le pape suprême directeur des rois et indéfectible protecteur des peuples.

/>) L’action. — Lamennais entreprend sa campagne politique en 1821, après l’achèvement des t. m et iv de l’Essai (le t. v ne fut jamais écrit), et au retour d’un voyage à Rome, où sans doute il ne manqua pas d’exposer au souverain pontife < son programme de grandeur romaine », Duine, p. 100-101, où peut-être il espéra faire reconnaître sa mission et se faire investir de l’autorité pour l’accomplir. Léon XII ne se laissa pas accaparer. Cl. Dudon, Lamennais et le Saint-Siège, Paris, 1911, p. 31-32. L’ « homme d’État » n’épargna rien pour propager ses doctrines et travailler à l’avènement de la nouvelle chrétienté : revue, tract, livre, école, congrégation religieuse, tels sont les moyens mis en œuvre. La revue s’appela le Mémorial catholique : la première livraison parut en janvier 1821 ; elle était lancée par Gerbet et Salinis ; de Bonald, de Haller, O’Mahony, Gousset, Rohrbacher, Doney, Lacordaire et Guéranger, y écrivirent. — Le livre, ce fut La Religion considérée…, dont le première partie parut en mai 1825, et la seconde en mars 1826, livre » effrayant de talent », au dire de Frayssinous, qui n’y était pas ménagé, en particulier pour sa thèse sur l’inamissibilité du pouvoir : cf. p. 187-8. — Le 2 décembre 1825, Gerbet écrivait à Salinis : « Je vous envoie ci-joint des observations latines sur les quatre articles, destinées à être répandues parmi tes clercs des séminaires. » Ladoue, Mgr Gerbet, sa vie, ses œuvres et l’école ménaisienne, Paris, 1870, t. i, p. 118. Le tract intitulé In quatuor articulos… aphorismata, ad juniores theologos, auctore F. D. L. M., comprend, en huit pages, dix-huit numéros et deux corollaires concernant le cas où l’évêque voudrait obliger les clercs à souscrire la déclaration de 1682 : Lamennais n’hésite pas à prescrire la résistance : Melius est obedire Deo quam hominibus. — En même temps il poursuit la fondation d’une société qui aurait pour but d’étudier et d’écrire. Il ne s’agissait de rien moins que d’entreprendre une encyclopédie catholique, pour concurrencer la trop fameuse Encyclopédie, du xviiie siècle. Gerbet, qui vint s’installer à la Chênaie en janvier 1825, et Rohrbacher, qui débarqua à Paris le jour même où Lamennais comparaissait devant la police correctionnelle (22 avril 1826), furent les deux premiers disciples qui s’offrirent au maître pour réaliser les immenses projets intellectuels et politiques qui hantaient son cerveau. L’école ménaisienne était fondée. — Il en sortit une congrégation religieuse, dont l’article 15 du premier chapitre des constitutions précise ainsi l’objet : « Pour lutter avec succès contre les causes de destruction précédemment énumérées, trois choses sont nécessaires : rétablir dans les esprits l’autorité du Saint-Siège ; opposer au vaste système d’erreur fondé sur le jugement privé un corps de doctrine fondé sur le principe contraire et le répandre par des écrits de toute sorte, par l’éducation cléricale et laïque, la prédication et tous les moyens que le zèle peut suggérer selon les circonstances ; recréer une science catholique en harmonie avec cette doctrine et qui en découle tout entière. » Cf. Dudon, Lamennais

fondateur d’ordre, Études, 20 novembre 1910, p. 458. La fondation de la Congrégation de SaintPierre s’accomplit en septembre 1828 par la fusion de la Société des prêtres de Saint-Méen, que présidait Jean-Marie, avec ceux des disciples de Féli qui se destinaient à l’état ecclésiastique ou qui arrivaient de leurs diocèses déjà revêtus du sacerdoce. Le noviciat et la maison d’études furent établis à Malestroit, près de Ploërmel, en janvier 1829. Cf. Roussel, Lamennais d’après des documents inédits, Rennes, 1893, 2e édition, t. r, p. 256, L’abbé Blanc, supérieur de la maison, avait pour collaborateurs Rohrbacher et Bornet, le maître des novices. C’est pour eux que fut écrit par les deux penseurs de la Chênaie, Gerbet et Lamennais, le plan d’études qui s’intitule Sommaire d’un système des connaissantes humaines, qui « devint comme le Credo de l’école ménaisienne ». Boulard, t. ii, p. 80. Le Sommaire se trouve à la suite des pièces justificatives ajoutées au livre Des progrès de la Révolution, Œuvres complètes, 1836-37, t. ix, p. 301-26. Mais quelques-uns des disciples du maître, soit incertitude de leur vocation, soit désir de servir l’Église, mais sans s’engager dans les ordres, restèrent à la Chênaie, où demeurait aussi le supérieur général de la Congrégation de Saint-Pierre, « M. Félicité de la Mennais, qui ne paraît pas avoir fait plus de vœux sous cette constitution que sous la précédente, » et qui aurait été promu à cette charge « en secret ». Rapport de M. Le Mené, supérieur général de la congrégation des Prêtres de Saint-Méen, au cardinal préfet de la Congrégation des évêques et réguliers (25 mars 1868), cité par Dudon, Éludes, 20 nov. 1910, p. 451. Toutefois ces laïques de la Chênaie se rattachaient à la Congrégation de Saint-Pierre par un lien très étroit ; c’était une sorte de tiers ordre ; après une année de noviciat, ils étaient, appelés à contracter leurs premiers vœux. Boutard, t. ii, p. 85, note.

c) L’opposition. — Si la philosophie et l’apologétique ménaisiennes avaient rencontré une certaine opposition, notamment dans la Compagnie de Jésus et dans la Société des prêtres de Saint-Sulpice, Lamennais devait bien s’attendre à une résistance, même à une répression énergiques, de la part du gouvernement et de l’épiscopat, dans sa tentative extravagante d’ultramontanisme absolu. Poursuivi en police correctionnelle pour provocation à la désobéissance à une loi de l’État, le polémiste fut condamné, le 22 avril 1826. a trente francs d’amende et aux dépens, à la saisie de l’ouvrage ( La Religion considérée…) et à la destruction des exemplaires. Cf. de Guichen, La France morale et religieuse à la fin de la Restauration, p. 110-19, Paris, 1912. L’épiscopat gallican fut poussé à la résistance par le ministre des Affaires ecclésiastiques, Frayssi-nous. Cf., t. vi, col. 795. Le 3 avril 1826, quatorze archevêques et évêques, présents à Paris, rédigèrent et signèrent à son instigation une Déclaration, qui fut remise au roi huit jours plus tard. Le texte dans Ladoue, Gerbet, t. i, p. 307-10. Les évêques condamnaient « ces censures prononcées sans mission, sans autorité » contre « des maximes reçues dans l’Église « le France ». Ils déclaraient demeurer < inviola hlement attachés à la doctrine telle que nous l’ont transmise nos prédécesseurs dans l’épiscopat, sur les droits < 1 1 > souverains et sur leur indépendance pleine et absolue, dans l’ordre temporel, de l’autorité, soit directe, soit indirecte, de toute puissance ecclésiastique ». Par contre, ils réprouvaient < avec tous les catholiques, ceux qui, sous prétexte île libertés ne craignent pas de porter atteinte à la primauté de saint Pierre et des pontifes romains, ses successeurs… La déclar il ion fut envoyée par le ministre des Affaires ecclésiastiques à tous les évêques de France, pour qu’ils v d nnassenl leur adhésion. Trois ou quatre prélats seulement se