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    1. LAMENNAIS##


LAMENNAIS, VIE : LE POLITIQUE

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p. 200-01, Lamennais prétendait, au moins extérieurement, se constituer l’apologiste du catholicisme intégral : en réalité il ne défendait que sa propre religion, cette religion dont nous aurons la forme définitive dans l’Esquisse d’une philosophie, mais dont les principes sont déjà formulés dans l’Essai. C’est une religion, ou plutôt une métaphysique sociale. « Qui doute que l’homme n’ait reçu, au moment où il sortit des mains du Créateur, tout ce qui lui était nécessaire pour se conserver et se perpétuer comme être intelligent, aussi bien que comme être physique ?… Dieu ne dira pas tout à l’homme, mais il lui dira tout ce qu’il est nécessaire qu’il sache et qu’il ne peut apprendre que de lui.. Il lui révèle d’abord son être, sans quoi la pensée comme la parole seraient impossibles (pour comprendre, s’il se peut, cette métaphysique ontologiste, lire les p. 21822, du t. h de l’Essai) ; il lui révèle les rapports qui existent entre lui et Dieu, entre lui et ses semblables, parce qu’il doit vivre en société avec Dieu et avec s^s semblables, et qu’il ne peut même vivre que dans cette société… » Essai, t. ii, p. 226-7. Ainsi donc les rapports nécessaires qui existent entre l’homme et Dieu, entre l’homme et ses semblables, et les lois qui dérivent de ces rapports nécessaires, loi d’obéissance à l’égard du pouvoir, loi d’amour à l’égard des égaux, voilà tout le contenu de la révélation primitive, de la religion ; et il n’y a rien de plus dans le christianisme, qui n’est que le « développement naturel de l’intelligence ». Ihid., p. 103. Quoique révélée, la Religion ne contient donc rien de surnaturel. Lamennais ne comprend même pas l’idée du surnaturel. « Tout rapport entre les êtres dérive de leur nature —, car, s’il n’en dérivait pas, il leur serait étranger, ce ne serait donc pas un rapport, ce ne serait rien. Donc les rapports entre Dieu et l’homme dérivent de la nature de l’homme et de celle de Dieu. Ces rapports constituent, à proprement parler, la Heligion. « Essai, t. ii, p. 252-3. Cf. la lettre à Morlon, dans.Maréchal, p. 501. Que Lamennais ait eu dès lors le sentiment très net d’une opposition irréductible entre sa pensée et la pensée de l’École, acceptée par l’Église, nous en avons une preuve péremptoire dans les résolutions de retraite et de silence, où il déclare vouloir se renfermer, si sa philosophie et son apologétique sont désapprouvées. C’est une première ébauche du geste qu’il accomplira après l’encyclique Mirari : o Je romps et ne plie pas. » Cf. lettre à Saint-Victor, 20 août 1820, dans Revue des Deux Mondes, l" novembre 1923, p. 190. Voir citation analogue dans Boufard. t. i, p. 209. A Benoit d’Azy, le 13 mai 1820, il communique aussi son projet, YEssai fini, de « travailler en silence, loin des hommes et du bruit, à quelque autre ouvrage, epii ne serait publié qu’après ma mort ». Laveille, p. 100.

2 u Le politique. — Pour restaurer la société par la religion, ce n’est pas assez d’avoir réformé la philosophie et L’apologétique, il faut encore rétablir la politique sur ses véritables bases. Ici encore Bonald sera l’inspirateur de Lamennais, et, si l’on veut connaître la source des théories polilico-religieuses de noire sociologue, il n’est que de se référer à la Théorie du pouvoir politique et religieux dans la Société civile. Cf. Maréchal, p. l(iii-187, et Annales de philosophie chrétienne, août, septembre, octobre 1910. C’esi une » révolution o dans la politique que Lamennais va entreprendre, comme il croit avoir mené a bien une révolution dans la philosophie ; et cette révolution ne consistera pas seulement à vouloir rélablir ou établir la monarchie dans l’Lglise et dans l’Étal à (’encontre du gallicanisme el de la Révolution, mais encore et surtout à déduire la nécessité de, celle forme du pouvoir religieux et politique d’une métaphysique sociale toul " priori, des conditions générales de l’existence de la société entre les hommes. Bonald, Lamennais, de Maistio se préoc cupent beaucoup moins, même lorsqu’il s’agit de décider ce que doit être la constitution de l’Église, des faits historiques que des nécessités sociales.

1. Contre la démocratie, 1 824-1 829. — a) La théorie. — Voici ce que décrète la sociologie de nos philosophes catholiques. « L’homme appartient à deux sociétés, la société religieuse et la société civile. Le principe de celle-ci se trouve dans celle-là, parce qu’il faut remonter plus haut que l’homme pour découvrir la raison du pouvoir et des devoirs. » De l’éducation du peuple, Premiers mélanges, p. 310. « Il y a deux autorités, et ces deux autorités sont infaillibles chacune dans son ordre. » Essai, t. ii, p. 379. Il y a une correspondance naturelle et nécessaire entre la religion d’un peuple et sa constitution politique ; Bonald l’a bien mis en lumière par l’exemple des divers régimes politiques qu’on a vus en France de 1789 à 1800 : « une étroite et nécessaire connexion lie aux dégradations de la société religieuse les dégradations de la société politique : à la monarchie de 89 correspondait la religion catholique ; à la démocratie royale de 91 répond le catholicisme presbytérien ; à la démocratie de 92, le calvinisme ; à l’anarchie de 93, l’athéisme. » Maréchal, p. 168, résumant les théories de Bonald. Cf. Lamennais, Réflexions, Premiers mélanges, p. 73-74 ; et surtout Essai, t. r, p. 312, édition Garnier, 1859 : < Ainsi une erreur fondamentale en religion est aussi une erreur fondamentale en politique, et réciproquement. » Or cette erreur, destructive du pouvoir dans la société religieuse et dans la société politique, c’est la théorie de la souveraineté du peuple ; et la France de 1824 est empoisonnée par ce venin qui la tuera, si l’on ne parvient pas à l’éliminer. La démocratie dans l’Église, ou le gallicanisme, cf. Tradition, p. xcv de V Introduction, et la démocratie dans l’État, ou la monarchie constitutionnelle, cf. l’article Vingt-un janvier (1823) dans Seconds Mélanges, p. 262, voilà l’ennemi pour Lamennais en 1824. — Mais ce n’est là encore qu’un aspect, et le moins important, de la pensée politique de Lamennais. Le gallicanisme est bien autre chose que l’introducteur de la démocratie dans l’Église ; c’est aussi le fourrier du despotisme des rois. Héritier des théoriciens césaristes du haut et du bas Moyen Age, de Henri IV d’Allemagne à Louis de Bavière, le gallicanisme politique proclame l’indépendance du pouvoir civil à l’égard du pouvoir religieux, ou mieux encore confère au roi des droits d’intervention dans les matières ecclésiastiques, ce qui mène tout droit aux Églises nationales, donc aux Églises schismatiques. Contre l’absolutisme royal, aucun contrepoids, aucun frein : les sujets n’ont qu’à obéir et à prier ; héréditaire et inamissible, le pouvoir absolu peut être impunément despotique. Contre de pareilles conclusions, l’instinct d’indépendance et de liberté de Lamennais se révoltait : cela ne devait pas être, et, pour que cela ne lût pas. il fallait revenir aux lumineux enseignements de Grégoire VII ; non, les rois ne sont pas absolus, ne sont pas indépendants de la loi morale, dont le pape seul est l’interprète authentique ; non, leur pouvoir n’est pas inamissible ; comme ils ne le possèdent que pour le bien, dès qu’ils font le mal, ipso jaclo le pouvoir leur est relire ; non, enfin, le pouvoir civil n’a aucun droit sur les affaires ecclésiastiques ; qu’il cesse de prétendre protéger l’Église, parce que sa protection n’en est « pie l’asservissement : qu’on lasse cesser cette lamentable situation d’un clergé salarié par l’État ; que l’Étal cesse de s’ingérer dans l’éducation du peuple, qui n’appartient qu’à l’Église, pour ce

qui constitue la partie essentielle de l’éducation, la communication des croyances sociales, des sentiments sociaux, des habitudes d’actions sociales, i Ainsi, le programme politique de Lamennais en 1826 annonce et prépare celui de 1.’Avenu- : nous sommes