Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/536

Cette page n’a pas encore été corrigée
2481
2482
LAMENNAIS, VIE : L’APOLOGISTE


Turin notamment et à Rome, le système ménaisien fit aussi des adeptes. Cf. Boutard, 1. 1, p. 217, et une lettre de Lamennais dans Revue des Deux Mondes, 15 novembre 1923, p. 396.

La nouvelle philosophie, la nouvelle apologétique avaient donc rencontré dans l’Eglise de l’opposition, Lamennais aurait dû s’y attendre : car, enfin, il ne s’agissait de rien moins que de brûler ce qu’on avait adoré et que d’adorer ce qu’on avait brûlé. Saint-Sulpice et M. Boyer, les jésuites et le P. Rozaven, furent les principaux centres de résistance. Leurs réfutations écrites furent longtemps retardées, puisque le livre du P. Rozaven, Examen d’un ouvrage intitulé : Des doctrines philosophiques sur la certitude… par l’abbé Gerbet, ne parut qu’en 1831, et celui de Boyer, Examen de la doctrine de M. de la Mennais, .en 1834 ; mais leur opposition n’en fut pas moins très active. Cf. Dudon, Lamennais et les jésuites, Études, 5 juin 1908 ; Trois lettres inédites de Lamennais au P. Godinot, jésuite, Éludes, 20 octobre 1909. Au début d’octobre 1823, le P. Fortis, général de la Compagnie, fil défense d’enseigner dans son ordre les propositions suivantes :

I. Il n’y a pas d’autre critérium de la vérité que le sens commun.

II. La foi seule engendre la certitude.

III. L’existence de Dieu est la première vérité que nous connaissons.

IV. De l’existence d’un être contingent, on ne saurait déduire l’existence d’un être nécessaire ; en d’autres termes, c’est faire un raisonnement vicieux que de dire : j’existe, donc Dieu existe.

V. L’intelligence finie, par cela même qu’elle est finie, est toujours et en tout sujette à l’erreur.

VI. Dans les écoles catholiques ont prévalu de faux systèmes qui conduisent à l’athéisme et au renversement de la religion.

VII. I.’homme ne saurait être certain, si ce n’est par le sens commun, ni de son existence ni de sa pensée. — Cf. Études, 5 juin 1908, p. 607.

Lortis néanmoins se refusait à qualifier d’une censure quelconque les sept propositions qu’il défendait d’enseigner dans la Compagnie.

Contre la censure, dont ses adversaires parlaient déjà en 1820, Lamennais avait cherché à se prémunir. « J’avais aussitôt, par l’entremise de M. le comte de Maistre, et plus tard par l’intermédiaire de Mgr le nonce, sollicité à Rome, dans un esprit d’obéissance parfaite, l’examen de mon ouvrage ; …à la suite de cette demande, on y avait publié une traduction de ma Défense, avec la permission du Maître du Sacré Palais et l’approbation de trois examinateurs qui tous s’expliquèrent, dans les termes les plus lavorables et les plus exprès, sur les points contestés… » Lettre au P. Godinot, 23 octobre 1825, dans Études, 20 octobre 1909, p. 207. Cf. Boutard, t. i, p. 216, et Appendice, p. 381-3. « La traduction italienne de la Défense (1822) fut examinée par le doctrinaire Glanda, le chanoine don Paolo del Signore et Fra Basilio Tommagian, archevêque de Durazzo… Le troisième disait : Telles et si fortes sont les raisons par lesquelles l’auteur établit son affaire, qu’elle me semble désormais clairement démontrée. > Note du P. Dudon, Études, 20 octobre 1909, p. 207. — La Défense de i’Essai avait paru en juin 1821. L’année suivante, la nouvelle philosophie se couvrait du patronage du P. Buffier, S..1., cf. t. ii, col. 1167-73, dont on publiait à Avignon La doctrine du sens commun, ou Traité des premières vérités et de la source de nos jugements, … Ouvrage qui contient le développement primitif du principe de l’autorité générale, adopté par M. l’abbé F. de la Mennais, comme l’unique fondement de la certitude. Pour servir d’Appendice au t. Il de l’Essai… — Effectivement la nouvelle philosophie ne lut réprouvée par le Saint-Siège qu’en 1831, dans l’encyclique Singulari nos, qui condamnait les

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

Paroles d’un crogant. Il y était dit (je cite la traduction donnée par Lamennais lui-même dans les Affaires de Rome, Paris, 1836-37, p. 397-99) : « Du reste il est bien déplorable de voir dans quel excès de délire se précipite la raison humaine, lorsqu’un homme se laisse prendre à l’amour de la nouveauté, et que, malgré l’avertissement de l’Apôtre, s’cITorçant d’être plus sage qu’il ne faut, trop confiant aussi en lui-même, il pense qu’on doit chercher la vérité hors de l’Église catholique… Vous comprenez trè> bien, vénérables 1-rères, qu’ici nous parlons aussi de ce fallacieux système de philosophie récemment inventé, et que nous devons tout à fait improuver, système où, entraîné par un amour téméraire et sans frein des nouveautés, on ne cherche plus lavérité où elle est certainement, mais où, laissant de côté les traditions saintes et apostoliques, on introduit d’autres doctrines vaines, futiles, incertaines, qui ne sont point approuvées par l’Église, et sur lesquelles les hommes les plus vains pensent faussement qu’on puisse établir et appuyer la vérité, n

3. [.’équivoque. — On peut s’étonner que Rome ait toléré quatorze ans une philosophie et une apologétique qui n’étaient rien moins que solides et capables de porter l’édifice de la foi : doctrin.se inanes, futiles, incerlœque, … quibus veritalem ipsam fulciri ac sustineri vanissimi homines perperam arbitrantur. A supposer qu’il faille croire tout ce que le genre humain a toujours cru et croit encore, et cela seulement, comment pourrait-on aboutir à cette conclusion qui est le but de l’apologétique : il faut croire tout ce que croit l’Église catholique ? Puisque « la religion repose nécessairement sur l’autorité, et la vraie religion sur la plus grande autorité, Essai, t. ii, p. 375, pour nous amener à la religion catholique, il faudra nous prouver que l’Église, portion du genre humain, possède cependant une plus grande autorité que le genre humain. Lamennais s’y efforcera, mais sans y réussir. Cf. Lacordaire, Considérations sur le sustente’philosophique de M. de la Mennais, p. 1 19, du t. vit des Œuvres, Paris, 1872. En réalité le système apologétique de Lamennais contenait une équivoque que peut-être lui-même apercevait, et que le temps se chargerait de dégager. II avait écrit jadis : « Il y a dans l’homme une rectitude d’esprit, une logique naturelle qui ne lui permet pas de s’écarter à demi de la vérité ; il faut qu’il avance dans la route où il est une fois entré ; et l’erreur n’est si dangereuse, que parce qu’on en tire nécessairement, un peu plus tôt, un peu plus tard, toules les conséquences. » Réflexions sur l’état de l’Église en France…, dans Œuvres complètes, 1836-37, t.vi.p. 10. Cette loi psychologique explique en grande partie l’histoire de Lamennais : si le critérium de la vérité religieuse est le consentement général, à quoi bon l’Église ? Et un jour viendra, en effet, où l’organisation du genre humain en une Église » constituée » ne lui paraîtra plus nécessaire ; le genre humain se passait bien d’un pouvoir religieux infaillible avant Jésus-Christ, pourquoi ne s’en passerait-il pas dans l’avenir ? — L’équivoque consistait à identifier, grâce à la théorie du développement empruntée à Bonald, le contenu de la religion du genre humain et celui de la religion catholique : « Ainsi les chrétiens croient tout ce que croyait le genre humain avant Jésus-Christ, et le genre humain croyait tout ce que croient les chrétiens : puisque les vérités de la religion s’enchaînant l’une à l’autre et se supposant mutuellement, elles étaient toules renfermées dans la première révélation, comme les vérités que Dieu révèle aux élus dans le ciel sont renfermées dans celles qui sont ici-bas l’objet de leur toi. Ils connaissent ce qu’ils croyaient, de même que nous connaissons ce qui était seulement cru avant Jésus-Christ. » (On reconnaît ici la fameuse distinction ménaisienne entre l’ordre de loi et l’ordre de conception) Essai, Paris, 1823, t. iii,

VIII. — 79