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LAMENNAIS, VIE : LA FORMATION

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La Tradition ; voilà le cadre et le milieu où Lamennais, toujours soumis à l’influence de son frère, va se préparer à l’état ecclésiastique. Car l’abbé Jean a conçu le projet de conduire Féli au sacerdoce ; il n’attendra même pas la réalisation de ce projet, pour en faire son collaborateur, .

1. Formation intellectuelle. Dans cette seconde formation comme dans la première, Lamennais dévore tout, mais spécialement les langues, notamment l’hébreu ; la métaphysique, surtout celle de Malebranche ; et la sociologie, principalement avec Bonald. Cf. Feugère, op. cit., p. 68, 121, 70. Et la théologie, quelle part obtient-elle dans cette recherche enfiévrée ? Féli paraît n’en avoir jamais étudié méthodiquement et d’une manière désintéressée l’ensemble : il alla au plus pressé, aux questions d’actualité, c’est-à-dire aux deux traités De vera religione et De Ecdesia, pour esquisser une défense ou une démonstration de la religion contre les philosophes, et une apologie de l’autorité pontificale contre les gallicans. Mais la théologie scolastique, de son aveu même, il l’a à peine entrevue. Cf. Réflexions, Œuvres complètes, Paris, 18361837, t. vi, p. 108.

On peut dire que le formation intellectuelle de Lamennais était achevée en 1809, au moment où parurent les Réflexions. Il s’y rencontre en effet « les grandes directions du catholicisme ménaisien, au moins sous forme de premiers linéaments… On veut fixer le principe de certitude dans la méthode d’autorité ; on veut rendre à la métaphysique religieuse sa place d’honneur au-dessus des sciences… ; on identifie les bonnes règles de la politique et les maximes de la religion ; on exprime l’horreur de l’indifférence en matière religieuse.. ; on tend à libérer l’Église de la tutelle de l’État, et à dégager l’éducation des entraves d’un monopole suspect : enfin on désire ranimer les études dans le clergé. » Duine, p. 29. Ajoutons qu’on retrouve encore dans les Réflexions les premiers linéaments, de la « philosophie catholique », et même non catholique, de Lamennais, voir par exemple, la page 78 : « Alors il a fallu embrasser dans son ensemble le vaste système du christianisme, et… chercher dans la nature même des êtres la raison des rapports qui les unissent entre eux et avec un premier Être. Et je ne crains pas d’avancer qu’il n’est pas dans la religion chrétienne un seul mystère qui ne puisse être ainsi démontré par la raison. < La négation de l’ordre surnaturel, la confusion de la théologie et de la philosophie, qui sont des points fondamentaux de la doctrine de Lamennais, aussi bien avant la sécession qu’après, voilà où il faut chercher la véritable unité de Lamennais. Sa religion n’a jamais été la religion de saint Thomas, mais seulement celle du Vicaire savoyard : il n’a jamais eu l’idée vraie du surnaturel chrétien, comme l’entend la théologie traditionnelle.

2. Formation spirituelle.

Il ne sera pas inutile de dire ici quelques mots de la formation spirituelle de Lamennais, car il est vraisemblable qu’elle ne fut pas sans influence sur la conception de sa philosophie de l’autorité. Quatre prêtres s’y appliquèrent : l’abbé Jean, Teysseyre, Brute et Carron. Or tous quatre, à des degrés divers, avaient des tendances mystiques. Sur la spiritualité de Jean-Marie, inspirée principalement de Boudon, cf. Laveille, op. cit., p. 163. C’est encore le plus modéré des quatre, et il lui arrive de recommander à ses co-diiccteurs de l’àme de son frère de tempérer leur exaltation.

Parmi les livres qui contribuèrent aussi à orienter, à colorer le piété de Féli, signalons l’Imitation, sur laquelle « il compose un petit traité » pendant son séjour de convalescence à la Chênaie, cf. Feugère, op. cit., p. 71-72 ; le Spéculum rcligiosorum de Louis de Blojs, qu’il traduit et édile en 1809, sous le titre :

Le guide spirituel ou le miroir des âmes religieuses ; enfin les Lettres spirituelles de Fénelon, où il croit retrouver ses propres états d’âmes. M. Maréchal, La jeunesse de Lamennais, Paris, 1913, p. 254-78, a souligné l’influence prédominante du Guide spirituel dans ce qu’on a appelé la < crise mystique » de Lamennais. — Voici donc que notre néophyte va s’entraîner, à la suite de ses modèles, à la poursuite des consolations sensibles, des émotions qui lui feront « sentir » la présence de Dieu, qui lui feront « trouver » Dieu. A certains moments, surtout en 1809, 1’ « année mystique », dans ses retraites préparatoires à la réception de la tonsure (16 mars) et des ordres mineurs (23 décembre), il croira toucher le but. Sans doute.ee ne seront pas des « consolations » qu’il goûtera, mais ses « désolations » mêmes, on le lui dit du moins, seront des marques plus sûres encore et plus distinguées de l’élection divine. Cf. la lettre à Brute du 17 mars 1809, rapprochée de la lettre de Teysseyre du 27 février 1816, dans Feugère, p. 108 et 215. — Pourtant la consolation de la désolation, ce n’était pas ce que lui avaient fait entrevoir ses livres et ses directeurs ; le bonheur de souffrir à défaut du bonheur de jouir, le « silence de Dieu », ef. Bremond, L’inquiétude religieuse, Paris, 1909, IIe série, p. 47-85, au lieu de sa « présence », c’est tout de même une terrible déception, à laquelle Féli ne se résigne pas du premier coup. A diverses reprises, après la grande crise de dépression de 1810-11, il se tendra de nouveau pour a trouver » Dieu ; il caresse même quelque temps l’idée d’entrer dans un ordre contemplatif, pour se livrer exclusivement aux exercices qui lui procureraient les joies mystiques, avant-goût de la félicité céleste ; il ira de déception en déception, jusqu’à ce qu’enfin il reconnaisse que cette source de joie lui est irrémédiablement fermée ici-bas. La dernière, la décisive expérience fut tentée par la réception du sacerdoce et la célébration de la première messe ; ce fut un échec complet, qui nous valut la fameuse lettre du 25 juin 1816 ; Lamennais était enfin désabusé : « Je suis et ne puis qu’être désormais extraordinairement malheureux. .. J’ai trente-quatre ans écoulés ; j’ai vu la vie sous tous ses aspects, et ne saurais dorénavant être la dupe des illusions dont on essaierait de me bercer encore… Tout ce qui me reste à faire est de m’arranger de mon mieux, et, s’il se peut, de m’endormir au pied du poteau où l’on a rivé ma chaîne… » Ainsi le mirage du « Dieu sensible au cœur » est définitivement dissipé ; Lamennais ne sera pas un mystique, quoi qu’on en ait dit ; il ne « sentira » pas Dieu, malgré la parole de Mme Cottu : « Nul n’a aimé, nul n’a senti Dieu plus que lui » Cf. d’Haussonville, Lettres inédites de L… à la baronne Cottu, p. lxi. Sans doute, il a consolé bien des âmes dans leurs souffrances, dans leurs vraies souffrances, en leur communiquant sa recette de résignation et d’espérance ; mais je doute qu’il leur ait conseillé des expériences qui lui avaient si mal réussi à lui-même.

Mais on voit immédiatement comment cette tentative infructueuse de christianisme mystique va déterminer la nuance de la foi que Lamennais s’efforcera de conquérir, sans peut-être y parvenir jamais. A défaut de la foi personnelle, acquise par la démonstration ou par 1’ « expérience » religieuse, il reste… la foi des autres.

La vocation.

C’est ainsi que Félicité s’acheminait

vers le sacerdoce, dans des conditions bien singulières, il faut le reconnaître. Il mit du temps à se décider, ou plutôt à dire oui à ce que les autres décidèrent pour lui : il ne fallut rien moins que la coalition et l’acharnement de ses quatre directeurs pour venir à bout de ses résistances. Il ne sera pas inutile de rechercher ici les raisons qui îelinrent si longtemps loin de l’autel le pauvre Féli ; peut-être nous permettront-