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LALLEMANT LOUIS


du P. Lallemant, celle qui revient sous toutes les formes et à laquelle toutes les autres se rapportent dans son enseignement, c’est la nécessité de la vie intérieure et de l’oraison pour les hommes apostoliques, s’ils veulent, au milieu de leurs occupations, conserver l’union à Dieu, avancer dans la vertu et attirer sur leur ministère les bénédictions du ciel. « Nous sommes des instruments, disait-il… Nous ferons d’autant plus de fruit que nous serons plus unis à Dieu… Or c’est l’oraison qui nous unit à Dieu, » p. 294. « Un homme intérieur fera plus sur le cœur par un seul mot inspiré de l’esprit de Dieu, qu’un autre par un discours entier qui lui aura coûté beaucoup de travail et où il aura épuisé toute la force du raisonnement, » p. 299. « Assaisonnons nos fonctions à l’égard du prochain de recueillement, d’oraison et d’humilité ; Dieu se servira de nous pour de grandes choses, quoique nous n’ayons pas de grands talents, » p. 294.

Après avoir rapporté ces pensées et d’autres du même genre, le P. Rigoleuc ajoute dans ses notes : « C’est ce que notre Père directeur nous représente avec beaucoup de force, et c’est un des points qu’il recommande le plus, » p. 301.

En donnant cet enseignement, le P. Lallemant ne faisait d’ailleurs que développer ce qu’il avait appris de saint Ignace et ce qu’il avait pu lire dans les Constitutions de son ordre. Il indique lui-même cette source : « Notre règle et notre profession, dit-il, nous obligent de faire plus de cas de ces moyens de perfection qui nous unissent à Dieu, comme instruments à la cause principale, dont nous devons recevoir le mouvement, que de tous les autres exercices, » p. 97-98. Saint Ignace avait dit : Media Ma quæ cum Deo instrumentum conjungunt ac disponunt ut a divina manu recte gubernetur, efficaciora sunt quam quæ illud disponunt erga homincs… Omnes in virtutum solidarum ac perfectarum et spiritualium studium rerum incumbant, ac in hujusmodi majus momentum quam in doctrina vel aliis donis naturalibus et humants constitulum esse ducant. Constit. S. J., p. x, n. 2.

Poursuivant constamment le même but, le P. Lallemant insistait sur la pureté de cœur, sur la docilité au Saint-Esprit et sur l’union à Notre-Seigneur. Il signalait également, comme l’avait fait quelques années avant lui le P. Le Gaudier, (De perfectione vitæ spiritualis, p. II, sect. i, cap. v), cette seconde conversion qui se produit parfois au cours de la vie religieuse, et qui brise avec une médiocrité plus ou moins régulière, pour introduire définitivement dans une phase toute d’abnégation et d’union à Dieu.

Il est difficile de traiter avec plus d’expérience et d’onction ce sujet particulièrement délicat et important de la vie intérieure, et l’on ne saurait trop louer certaines pages où l’on trouve l’esprit le plus pur et la moelle la plus exquise du christianisme. En terminant l’aperçu qu’il donne de la Doctrine spirituelle, M. Bremond écrit : « Lallemant a toujours gardé une autorité devant laquelle tout le monde s’incline. Inconnu des profanes, le modeste livre que nous venons d’étudier n’en reste pas moins l’un des trois ou quatre livres essentiels de la littérature religieuse moderne. » Histoire littéraire du sentiment religieux en France, t. v, p. 64.

Avec ces éloges, plus d’une fois ratifiés de nos jours, depuis que l’attention s’est portée sur le P. Lallemant, quelques critiques ont été formulées qui suffisent peut-être à expliquer pourquoi un ouvrage par certains côtés remarquable est resté longtemps enseveli dans une sorte d’oubli ; pourquoi aucun jésuite du xviii c siècle ne semble en avoir fait la moindre mention ; pourquoi enfin les maîtres spirituels les plus expérimentés n’en parlent d’ordinaire que sur un ton de réserve et de défiance, parfois même le

frappent pour ainsi dire d’ostracisme, appliquant sans doute ici le principe qui fait loi en pareilles matières : Bonum ex intégra causa, malum ex quocumque defectu. Cf. P. Ginhac, sa vie par le P. Calvet, 1904, p. 131 ; P. de Maumigni/, sa vie par le P. Aug. Hamon, 1921, p. 137 ; P. Watrigant, L’École de la spiritualité simplifiée, 1903, p. 152 sq., collection de la Bibliothèque des Exercices, fascic. 77-78, 1922, p. 80 sq., etc.

Quoi qu’il en soit de l’enseignement même du P. Lallemant, à ne considérer que le livre édité par le P. Champion, on a cru y découvrir une crainte excessive du ministère apostolique par rapport à la vie intérieure ; on s’est demandé si certains passages ne réduisent pas la part de l’homme, dans le travail de la sanctification, à ce rôle purement négatif qui consiste à écarter les obstacles devant l’action de Dieu ; on a signalé des exagérations de langage, dues peut-être à l’entraînement oratoire ou intentionnellement voulues pour accentuer une pensée qu’il fallait faire pénétrer et graver dans l’âme des auditeurs, mais qui étonnent dans les pages qu’on lit aujourd’hui froidement ; on a fait observer que certains conseils, exclusivement destinés à des âmes avancées dans les voies de la perfection, induiraient facilement les débutants en erreur, s’ils s’en faisaient à eux-mêmes l’application ; on a relevé cette affirmation très vivement contestée, que « sans la contemplation — il s’agit de la contemplation infuse et passive (cf. édition Pottier, p. 405, note 1, et p. 406) — jamais on n’avancera beaucoup dans la vertu et on ne sera jamais bien propre à y faire avancer les autres », p. 397 ; enfin on a pensé qu’il est fort difficile, sinon toujours impossible, de donner, même en s’aidant du contexte, une interprétation satisfaisante à des propositions comme celles-ci :

Admirer quelque chose dans l’ordre de la nature, c’est montrer le peu de vertu qu’on a, p. 320.

Il est de foi que Dieu punit un péché véniel de peines surnaturelles fort longues, p. 140.

Tout ce que doit faire celui qui veut devenir parfait, c’est d’ôter les empêchements îi l’opération divine, p. 453.

Servir Dieu fidèlement c’est le servir sans espérance de récompense et sans penser à nos intérêts, sans regarder si nous faisons nos propres affaires en faisant celles de Dieu, p. 460.

Si l’on n’a reçu cet excellent don (de la contemplation infuse), on ne doit s’employer (aux fonctions qui regardent le prochain) que par manière d’essai, si ce n’est qu’on y fût engagé par l’obéissance. Mais, à moins de cela, il’ne faut prendre que peu d’emplois au dehors, p. 419. Etc.

Quel que soit le jugement qu’on porte sur de pareilles propositions, dont on ne trouve nulle part l’équivalent dans saint Ignace, si elles sont vraiment du P. Lallemant, on peut dire à sa décharge qu’il s’adressait à un auditoire assez restreint et très spécial, composé au plus de dix à quinze religieux, vivant tous depuis un certain nombre d’années de la vie régulière (Cf. Bremond, op. cit., p. 13, note 1), qu’il leur signalait ce qu’ils avaient alors à corriger ou à prévenir, et qu’il leur donnait des avis en rapport avec leurs dispositions du moment ; on ne généralise pas d’ordinaire sans inconvénient un enseignement aussi particulier. Il est juste également de remarquer que le P. Lallemant parlait un demi-siècle avant les luttes et les condamnations du quiétisme, et l’on sait assez par l’expérience qu’avant les censures doctrinales les auteurs, moins en éveil, n’ont pas toujours dans l’expression la même exactitude qu’ils apportent ensuite. Il est d’ailleurs vraisemblable que le pieux auteur n’eût pas manqué de mettre lui-même au point, s’ils les avait revues, des notes qui reproduisent plus ou moins fidèlement une parole improvisée dans sa