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LACORDAIRE, OUVRAGES ET ÉCRITS DIVERS


avalent décidé. Très spontanément crédule au bien, il avait lui-même l’illusion qu’il n’y avait, à gauche, que des amis de l’ordre et non des révolutionnaires. Se placer ainsi en vedette voulait signifier la confiance optimiste que l’on avait dans leur attitude, à l’endroit de la religion. L’illusion de Lacordaire tut courte ; il vit pactiser avec l’émeute beaucoup des députés de la gauche. Reconnaissant immédiatement sa faute, il démissionna. Bientôt après, il se retira de Y Ère nouvelle ; il ne croyait plus à l’avenir de la république et il était trop sincère pour afficher, dans ce journal, une loi démocratique qu’il n’avait pas. Toutefois, pour ne pas affliger ses amis, parmi lequel Ozanam, il ne donna pas tout de suite sa démission de directeur de l’Ère nouvelle, celle-ci ne vivant que du nom de Lacordaire ; il se contenta de contenir la feuille dans une attitude extrêmement réservée. Mais cela même donna au journal une allure vague et incertaine qui découragea lecteurs et collaborateurs. L’Ère nouvelle tomba. Ainsi fut close la vie publique de Lacordaire.

Lacordaire aima toujours la liberté politique. L’amour de la liberté avait été la religion de sa jeunesse incroyante. Son éducation classique l’inclinait naturellement vers des institutions où la tribune avait sa place ; aussi acclama-t-il la Charte qui établissait une monarchie contrôlée par deux Chambres. A ce titre, . Il fut un libéral. On a abusé, avec malveillance, du célèbre mot prononcé par lui, au lendemain de sa réception à l’Académie française, en répondant à une députation de jeunes gens : « J’espère mourir en religieux pénitent et en libéral impénitent. » C’était là une protestation contre la tyrannie politique et le césarisme. Son libéralisme fut un libéralisme politique et rien que cela. Jamais il ne signiiia pour lui le libéralisme doctrinal, c’est-à-dire l’indiiïérentisme religieux. Lacordaire est mort trois ans avant l’encyclique de 1864, et rien dans ses écrits ne fut atteint par la condamnation du libéralisme. A l’époque de L’Avenir, il réclama la séparation de l’Église et de l’Etat, à titre de nécessité transitoire et comme un remède de fait pour affranchir l’Église, que la séparation, lui semblait-il, aurait délivré de la servitude. C’était une erreur de conduite de sa part et l’on sait avec quelle plénitude d’adhésion il se soumit à l’encyclique de 1834. Même au temps de L’Avenir, il demeurait ferme sur la question de principe. « Le régime de la séparation (c’étaient ses propres paroles) scinde le monde, et il est métapliysiquement si faux, que jamais un peuple d’une foi une n’aurait la pensée de l’adopter. » Lettre à Foisset, 19 juillet 1830. Dans sa 7e conférence de Notre-Dame, il souhaite que l’État fasse de la vérité religieuse sa loi fondamentale, il parle de la liberté des cultes comme d’une erreur. Il n’ignorait pas que les sociétés modernes ne sont plus disposées, hélas, à faire de la vérité leur loi fondamentale et il disait : « Puisse cette liberté n’être pas un vain mot et l’Église obtenir une fois de l’erreur l’exercice paisible et entier de ses droits spirituels. » Lacordaire ne fut pas un libéral au point de vue doctrinal, et parce qu’après sa mort, des hommes, qui avaient été ses amis, se portèrent à des exagérations regrettables, il est souverainement injuste d’en faire partager à Lacordaire la responsabilité.

La question italienne, c’est-à-dire la question de la liberté de l’Italie et de l’indépendance temporelle de la papauté, divisait grandement les esprits, dans les dernières années de la vie du P. Lacordaire. Par son aspect politique, cette question présentait une extraordinaire complexité. En ce qui concerne l’attitude de Lacordaire, les points suivants sont hors de doute : jamais il n’a varié sur le droit et la nécessité de la souveraineté pontificale et sur la nécessité du pouvoir temporel du Saint-Siège. Il n’acceptait point que le

domaine temporel pût être réduit au point de vue territorial. Sans doute, la réalité des événements lui apprit que saint Pierre ne pourrait pas, en fait, recouvrer tout son domaine ; mais il ne doutait pas qu’il n’en recouvrât assez pour suffire à son indépendance et à sa dignité. D’autre part, Lacordaire applaudissait à la volonté italienne de se débarrasser du joug autrichien. Mais, pour autant, il n’envisageait pas que cette indépendance dût amener nécessairement l’unité de l’Italie ; tout au contraire, il souhaitait, pour celle-ci, une confédération d’États comme plus conforme, pensait —il, à sa tradition et à son génie. Surtout il ne concevait pas que l’Italie une fois délivrée du joug de l’Autriche pût porter atteinte à l’indépendance temporelle de la papauté. Ici, il se trompait, trop crédule, comme toujours, aux intentions des hommes. Quand ces intentions furent mises à découvert, Il protesta : « Il ne s’agit pas, me dira-t-on, d’enlever au pape sa couronne, mais de la diminuer 1 Que répondrait la France si on lui proposait d’abaisser la sienne i Le territoire est divisible, le droit ne l’est pas… La volonté de Dieu avait préparé à l’Église un patrimoine, qu’y avait-il de plus sacré ? Ni la nationalité ni l’unité de l’Italie n’étaient intéressées à ce qu’on portât sur ce grand ouvrage une main qui l’ébranlât. ♦ De la liberté de l’Italie et de l’Église, Œuvres, t. vu. p. 328. Lacordaire manqua de sagacité à l’endroit des menées politiques sous-jacentes à la question de l’unité italienne ; mais sa fidélité au Saint-Siège demeure sans nuage.

Conclusion. — Lacordaire reste une des [dus grandes figures de l’histoire religieuse du xixe siècle. Il a créé une méthode dans la défense du christianisme. Il a renouvelé l’apologétique en montrant le souci qu’elle doit prendre de s’adapter aux exigences rationnelles et aux besoins moraux et sociaux de ceux qu’elle veut convaincre. Il a personnifié l’éloquence de la chaire et, par son talent hors de pair, il a popularise les idées les plus hautes du christianisme et contraint les esprits les plus rebelles à les respecter. Le tour original et personnel qu’il a donné à la démonstration catholique reste sans doute inimitable ; mais à étudier et à méditer ses œuvres, on apprendra le secret de vivre la vérité que l’on veut enseigner, d’en imprégner son intelligence et son cœur et, sous l’impulsion de cette conviction totale, de la jeter toute vive aux âmes qui en attendent la lumière. Lacordaire a servi l’Église par une fidélité que n’a pas ralenti un instant son dévouement. Deux grandes institutions catholiques relèvent de lui et continuent à vivre de son esprit et de ses exemples : la restauration en France de l’ordre de saint Dominique et la fondation des dominicains enseignants. Il a honoré l’Église par la noblesse de son caractère : il fut ardent et modéré, doux et ferme, réservé et enthousiaste, impitoyable à la déloyauté. ayant le culte de l’honneur, de la droiture et de la sincérité, patient devant l’injustice, fort d’une conscience à laquelle il ne refusait jamais d’obéir. A cette probité morale, il joignit, dans sa vie intime, k-s plus austères vertus : humilié volontaire, pénitent rude à son corps, aimant la pauvreté, sans cesse plus avide d’imiter Jésus-Christ dont l’amour enivrait son cœur. Il fut un saint religieux, un honnête homme, un magnanime : tel est le secret de la séduction qui a entouré son nom et qui ne cessera d’entourer si mémoire.

I. Œuvres de Lacokdaim :. — Considérations sur u système philosophique de M. de Lamennais, Paris, 1834, in-8°, 208 p. ; Lettre sur le Saint-Siège, Paris, 18 : 18, in-.x vm-75 p. ; Mémoires pour le rétablissement en France d’l’ordre des frères prêcheurs, Paris, 1839, in-8°, 227 p. ; ’Vie de saint Dominique, Paris, 1841, in-8°, 387 p. ; Éloge junèbrk de Mijr Cli. —Auguste de Forbin-Janson, prononcé dans la