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2415 LACORDAIRE, CONFÉRENCES DE N.-D. DE PARIS ET DE TOULOUSE 2416

la vision divine, principe d’impulsion et d’amour (5e). - — La vie surnaturelle est une source d’élévation et de force pour la vie privée et pour la vie publique, pour l’âme et pour la société.

En terminant cette série de conférences sur la vie morale surnaturelle, Lacordaire annonçait qu’il lui restait à exposer les moyens établis par Dieu pour nous communiquer la vie surnaturelle, c’est-à-dire les sacrements. Lacordaire ne devait pas achever ce programme. Les Conférences de. Toulouse, révèlent en lui un moraliste qui n’est pas inférieur à l’apologiste, si même il ne le dépasse, un moraliste qui a puisé certainement, à l’école de saint Thomas, les notions de la fin dernière, de la béatitude, de la vertu, notions originalement repensées et présentées avec une dialectique très ferme et une psychologie très nuancée. On lira spécialement les passages suivants : Qu’est-ce que la félicité (Œuvres, t. vi, p. 251-261) ; l’obstacle à la vie morale dans la complicité de la liberté et de la passion (p. 273-284) ; le châtiment des excès de la passion (p. 288-300) ; le règne de la conscience (p. 309317) ; la vertu et ses quatre rameaux : les vertus cardinales (p. 317-333) ; — les fruits de la vertu : la paix, l’amour, la gloire (p. 337-363) ; la vie surnaturelle vient nous faire connaître Dieu plus que la raison ne le peut ; elle nous le fait aimer plus que la vertu morale ne le peut (p. 376-400).

Vue d’ensemble sur les Conférences. — L’œuvre de Lacordaire se présente comme une apologia oratoire du christianisme : il l’a voulue telle.il l’a réalisée telle, et c’est sous cet angle qu’il faut la juger, sous peine de porter sur elle des appréciations qui tomberaient à faux. L’apologiste n’est pas un théologien ; il n’a pas à faire, devant un auditoire supposé croyant, un exposé technique et théorique des vérités révélées ; il doit rassembler toutes les preuves de la crédibilité catholique, en appeler à l’histoire, à la philosophie, aux besoins intellectuels, moraux et sociaux de l’homme pour éveiller en lui le désir de croire. Lacordaire répète à plusieurs reprises que tout son but est d’amener les incrédules qui l’écoutent tout au moins à respecter la foi. Étant donné ce point de vue très net et dont il ne s’est départi à aucun instant, l’exposé proprement théologique n’est vraiment en situation, dans son œuvre, que lorsqu’il aborde l’étude de la doctrine catholique en elle-même, après avoir établi, au préalable, la divinité de l’Église et de son fondateur. Et Lacordaiic ne s’en l’ait pas faute dans les Conférences de 1848, 1849, 1850, 1851, la plupart fort remarquables au point de vue théologique. Certes on n’y trouve point une théologie de manuel, mais, ce qui est mieux, un esprit théologique, une intelligence vive et active qui interprète rationnellement les données dogmatiques en montrant leur enchaînement et, au surplus, — le plan apologétique l’exige ainsi, - en faisant valoir toutes les raisons de convenance qui les rendent acceptables à des esprits que la foi n’illumine pas encore. Et, sous cet angle restreint, le conférencier donne de nos dogmes les plus élevés, comme par exemple ceux de la vie intime de Dieu, du gouvernement divin, de la rédemption, une synthèse raisonnée et réfléchie, entremêlant les considérât ions ahstraites et les descriptions vivantes, fixant en de lumineuses formules les points les plus obscurs, attentif toujours à ne rien laisser subsister des objections multiples soulevées par le rai ionalisme incrédule. De la même façon et pour le même but inlassablement poursuivi, Lacordaire utilise, selon l’opportunité, l’histoire, la psychologie, la métaphysique, l’expérience morale individuelle, les expériences sociales, pour les faire servir à la

défense et a la confirmation de la crédibilité catholique. Il impoiie encore de remarquer qu’il n’entend point faire un traité scientifique d’apologétique, niais

une apologétique vivante qui s’adresse à des esprits réels, appartenant à une époque déterminée ; et c’est à ces esprits qu’il s’adresse, à ces esprits tels qu’il les trouve devant lui, avec leurs habitudes intellectuelles, leur préjugés, leurs répugnances et leurs passions. S’il en appelle à l’histoire, à la psychologie, à la métaphysique, à la théologie, c’est dans la mesure d’un juste à propos, dans une adaptation intelligente qui sait doser ses moyens. Enfin, c’est une apologétique oratoire qu’il nous présente ; il se devait donc d’éviter toute discussion trop aride et trop scientifique, de viser à la sobriété et à la simplicité, d’adopter les preuves accessibles à tous. Une telle apologétique militante, pressée de trouver, au terme de chaque conférence, une conclusion claire et qui emporte la conviction, n’a pas le temps de se perdre en discussions et de construire des systèmes nouveaux et aventureux. « Presque tous les hommes de notre temps sont systématiques, écrit Lacordaire ; ils échafaudent la défense de la vérité sur une idée qu’ils appliquent à tout et qui, venant à tomber, entraîne naturellement l’édifice. J’ai pris à tâche, au contraire, de laisser de côté tous les systèmes et d’appuyer la religion suides preuves naturelles en leur donnant seulement un tour particulier. Aussi, n’ai-je aucune réputation de philosophe ni même de théologien, parce que je n’ai inventé aucun système qui me soit propre et personnel ; mais j’espère aussi que mes travaux, s’ils doivent vivre, auront un caractère plus généralement applicable à tous les esprits. » (Lettre à Mme de Prailly, 23 février 1858.) Sur un fond de doctrine traditionnelle, « un tour particulier », c’est bien là le trait typique de l’apologétique de Lacordaire. Non, il n’invente pas des preuves nouvelles de la crédibilité du christianisme, mais il s’imprègne de l’enseignement théologique le plus orthodoxe — et c’est merveille qu’il y ait réussi aussi parfaitement, à cette époque où les études théologiques demeuraient encore si médiocres : — puis, en possession de cet enseignement repris et repensé par son intelligence personnelle, dans la sincérité d’une conviction solidement établie et toute prête à jaillir de son âme spontanée et communicative, il forge de toutes pièces une méthode qui n’est vraiment qu’à lui : saisissant sur le vif la mentalité de ses contemporains, il s’y ajuste, prenant à son compte toutes leurs tendances jusqu’en leurs moindres frémissements et les invitant à désirer la foi surnaturelle qu’il respire lui-même, la leur imposant presque par l’ascendant de sa propre conviction. « Sa voix était un écho, et et écho renvoyait à chacun les paroles qu’il s’était adressées à lui-même dans le secret de son cœur. Qui avait foi en la liberté était obligé de reconnaître qu’il en parlait aussi fièrement qu’aucun autre. Qui était triste se plaisait à lui entendre dire que la mélancolie est la grande reine des âmes qui sentent vivement. Qui avait aimé retrouvait, jusque dans la façon dont il parlait de l’amour de Dieu, quelques palpitations de l’amour humain. D’Haussonville, Lacordaire, p. 144 sq. Est-ce à dire qu’il liât te ses auditeurs et, dans ce but, amoindrisse la sévérité de la religion ? Loin de là, il rudoie el flagelle les obstinations des esprits orgueilleux et les mollesses des cœurs dépravés. I.e Icit-motiv toujours repris, dans ses Conférences, est de montrer que la foi. l’amour et la vertu inspirés par le catholicisme, dépendent d’une force essentiellement surnaturelle. Chose remarquable l’éloquence, dont il a le génie puissant et inné, n’amoindrit point la rigueur logique de sa démonstration ; elle se joue avec les descriptions les plus abstraites. Lacordaire réconcilie l’éloquence avec la philosophie et la théologie.

L’apologétique oratoire de Lacordaire, présente de ce chef un incontestable relativisme. Toutefois il