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2409 LACORDAIRE, CONFÉRENCES DE N.-D. DE PARIS ET DE TOULOUSE 2410

moral. Lacordaire y a excellé. Il est aisé de surprendre, ici et là, des notions prises à la morale de saint Thomas et à ses traités des vertus, principalement en ce qui touche à la vertu de religion. On remarquera les développements concernant : la difficulté pour l’homme de vaincre son orgueil et de s’établir dans l’humilité (Œuvres, t. iii, p. 3-21) ; les ravages individuels et sociaux du sens dépravé (p. 32-40) ; l’impuissance du rationalisme à produire la chasteté (p. 58-62) ; la charité de doctrine conçue comme la première des charités (p. 72-74) ; la difficulté pour l’homme d’aimer les autres hommes (p. 100-105) ; le besoin de la religion et du commerce avec Dieu dans l’humanité (p. 125132) ; l’efficacité de la doctrine catholique pour produire la sainteté (p. 162-173).

Conférences de 1845 : Des effcls.de la doctrine catholique sur la société. — La société est le confluent de toutes les pensées et des mouvements de l’homme, la manifestation publique de ce qu’il vaut et de ce que valent les enseignements où il a puisé son développement intérieur. Il faut donc voir les effets de la doctrine catholique dans l’ordre social. Tout d’abord, elle a fondé la seule société des esprits qui existe et subsiste ; sur les vérités qui touchent à la destinée, elle a fondé une unité intellectuelle que n’a pu réaliser ni le rationalisme par la raison, ni l’autocratisme par la force, ni l’hérésie par l’interprétation privée de la Bible (29e conf.). — Cette société des esprits, constituée par l’assentiment à des idées fondamentales, immuables, librement acceptées, la doctrine catholique ne l’a pas fondée parce qu’elle possède seule la vérité ou l’autorité ; cela lui vient d’une force unitaire que les idées ne donnent pas et qui ne peut venir que de l’Esprit-Saint (30 e). — Cette société ainsi fondée est catholique, c’est-à-dire universelle, et cette catholicité suppose non seulement l’unité des esprits, mais une organisation qui fait de cette société un corps vivant, un pouvoir social, et, au sens propre, le royaume de Dieu (31 e). — La société catholique est la préparation de l’éternelle société des justes avec Dieu. Ce bienfait final est précédé des bienfaits qu’apporte l’Église à la société naturelle. Dans une société, où le faible n’avait pas de protection contre le fort, où l’homme était ennemi de l’homme, elle est venue remédier à ce mal en fondant le droit de la justice, un droit-principe, immuable, universel (32 e). — Elle a corroboré et moralisé le droit de propriété par la promulgation de ces deux lois : tout homme a un droit inaliénable à son propre travail ; nul n’a droit à ses propres biens que dans la mesure de ses légitimes besoins, le superflu devant revenir à ceux auxquels la possibilité du travail est refusé (33 e). — La doctrine catholique a relevé l’idéal moral de la famille. A l’esclavage, à la dissolubilité du mariage, à la polygamie, elle a substitué le triple ministère du respect de la femme, de l’éducation, de la charité (34 e). — L’autorité est nécessaire à la société qui doit avoir unité, ordre, puissance, et la doctrine catholique a créé le respect, l’obéissance et la vénération (35 e). — EJIe a créé aussi un type idéal de société par une institution qui est la plus haute pensée économique et la plus haute pensée philanthropique qui soit au monde : partage des biens, réduction des besoins, création des cinq grands services gratuits et populaires de la douleur, de la vérité, de l’éducation, de la maladie, du sang, par les cinq espèces d’ordres, pénitents, apostoliques, enseignants, hospitaliers, militaires (36°).

Lacordaire avait fait de sérieuses études de droit ; il avait été amené au catholicisme par l’évidence de la bienfaisance sociale de celui-ci ; il est donc naturel qu’il ait été attiré à l’étude des effets de la doctrine catholique sur la société. La substance de ces conférences est pleine et riche. Il faut y relever spéciale ment : les raisons de l’opposition de l’esprit humain à la vérité (Œuvres, t. iii, p. 220-227) ; l’unité intellectuelle de la société catholique ne s’explique que par la présence de l’Esprit de Dieu (p. 228-231) ; comment la nationalité n’est pas un obstacle à l’unité catholique (p. 250-256) ; comment l’Église a relevé l’idéal du droit (p. 259-290) ; le droit de propriété et l’Église (p. 283-306) ; les causes de l’abaissement de la femme et la façon dont la doctrine catholique lui a rendu ses droits, sa liberté et sa dignité (p. 309-329).

Conférences de 1846 : De Jésus-Chris 1. — L’Église est divine dans sa doctrine puisque celle-ci produit dans l’intelligence, dans l’âme, dans la société, des effets qui dépassent la puissance naturelle de l’homme. Il faut maintenant regarder le fondateur de l’Église, Jésus-Christ, et voir si nous avons raison de lui mettre une auréole divine. Jésus-Christ s’est affirmé comme étant Dieu : son caractère, fait d’intelligence sublime, de tendresse chaste et ineffable, de volonté sûre d’elle-même, prouve la sincérité de sa parole ; impossible d’expliquer sa vie et son âme, s’il a menti en disant qu’il était Dieu (37e conf.). — Sa vie publique le proclame aussi : il a manifesté sa divinité par ses miracles ; car le miracle est la force et en même temps la révélation typique de Dieu (38 e). — Il a donc vécu en Dieu dans sa vie intime et dans sa vie publique. De plus, il s’est survécu en Dieu ; il a établi son royaume sur les âmes, malgré la difficulté de se faire croire, aimer et adorer d’elles ; il a établi son royaume dans le monde, malgré la difficulté de vaincre l’idolâtrie (39 e). — Son royaume dure malgré cette autre difficulté : vaincre le temps et ses cinq auxiliaires : la nouveauté, l’expérience, la corruption, le hasard, la guerre. Jésus-Christ vit perpétuellement dans l’Église dont le progrès est incessant dans l’état territorial, dans l’état numérique, dans 1 état moral (40 e). — Non seulement le Christ s’est magnifiquement survécu, mais il s’est préexisté, dans le peuple juif, œuvre sociale et religieuse la plus considérable dans les temps qui l’ont précédé, de même que l’Église est l’œuvre la plus considérable dans les temps qui l’ont suivi (41 e). — Le rationalisme a fait effort pour nier l’existence de Jésus-Christ ; mais cette vie est contenue dans une écriture, publique ; elle est faite d’événements publics ; elle est inséparable de l’histoire publique et générale (42 e) — Il a essayé ensuite de dénaturer cette vie en soutenant que Jésus-Christ a été l’objet d’une transfiguration mythique. Mais Jésus-Christ appartient a l’époque de l’écriture qui ne se prête pas aux métamorphoses légendaires ; le merveilleux et le miracle ne sont pas une question à préjuger ; les Évangiles ne sont pas, comme le prétend Strauss, un tissu de confusions et de contradictions (43 e). — Le rationalisme a tenté d’expliquer, à sa manière, la vie du Sauveur, mais le succès de la doctrine du Christ ne s’explique point par un éclectisme des doctrines antérieures ; ni son succès de foi par le besoin de croire ; ni le succès de son Église par le besoin d’affranchissement et d’unité (44 e).

De l’aveu unanime, ces conférences sur Jésus-Christ, sont parmi les meilleures de Lacordaire. Les trois dernières, sur les discussions rationalistes, ont sans doute fort vieilli, comme les systèmes qu’elles attaquent ; mais les premières demeurent des modèles. A noter spécialement : la sincérité irréfutable de Jésus-Christ se proclamant Dieu (Œuvres, t. iv, p. 7-33) ; comment le miracle est la manifestai ion de Dieu (p. 38-14) : la difficulté, pour Jésus-Christ, de se faire croire, adorer, aimer, difficulté qu’il a pourtant résolue eu fondant le royaume des âmes (p. 6(i-78) ; comment l’œuvre du Christ s’estperpétuée, victorieuse de la durée (p. 93-100) ; pourquoi le peuple juif fut la plus grande œuvre sociale et religieuse de l’antiquité (p. 121-133.)