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2407 LACORDAIRE, CONFÉRENCES DE N.-D. DE PARIS ET DE TOULOUSE 2408

lique sur l’esprit. — Toute doctrine, étant principe de vie, agit nécessairement sur la vie de l’homme, individu ou société, et peut par conséquent être considéré sous le rapport des effets qu’elle y produit. L’homme individuel lui-même est esprit et volonté. Et donc, tout d’ahord, que va produire dans l’esprit la doctrine catholique ? En premier lieu, elle y produit la certitude rationnelle, c’est-à-dire une conviction réfléchie qui connaît ses motifs et résiste par la logique aux raisons opposées qui voudraient la détruire ; souveraine, qui gouverne les actes aussi bien que les pensées ; immuable, qui, lorsqu’elle a été acceptée en pleine lumière, ne nous abandonne pas plus que la raison elle-même (14e conf.). — Toutefois, si la doctrine catholique a la raison pour elle, elle a contre elle cette même raison : raison des hommes d’État, raison des hommes de génie, raison populaire. Pourquoi cela ? Parce qu’elle est la vérité. L’erreur, tôt ou tard, produit le doute ; l’incrédulité n’aboutit pas à s’établir dans la certitude de son incrédulité. Au surplus, si l’homme a une âme intelligente, il a aussi un cœur corrompu ; il aime sa liberté, ses vices, et, comme il n’y a rien de plus pur que la doctrine catholique, elle doit naturellement exciter contre elle une répulsion aussi forte que l’amour qu’elle inspire. Cette répulsion ne s’explique donc pas par une opposition de la raison véritable à la foi (15 e). — La passion des hommes d’État et des hommes de génie contre la doctrine catholique s’explique spécialement par ce fait que les uns aspirent à dominer les consciences, les autres à dominer les intelligences et parce que les uns et les autres trouvent, en face d’eux, une intransigeante résistance dans la doctrine catholique (16 e). — Mais le christianisme a besoin d’une certitude plus haute et plus large que celle de la raison, d’une certitude qui vienne de Dieu et dont puisse jouir tout l’humanité : c’est la cerlituae supra rationnelle ou mystique, conviction que Lacordaire appelle « illettrée et translumineuse » (17 e). — L’existence de cette certitude est un fait, qui s’explique par une lumière mystique tombant de Dieu illuminateur sur l’organisme mystique qui est dans l’homme, animal religieux. Ainsi l’Église, par la force rationnelle, combat les savants et les superbes qui s’opposent à elle ; par la force mystique elle conquiert les petits, les ignorants et les savants eux-mêmes (18 e). — La doctrine catholique doit prendre possession de l’entendement par une connaissance : elle procure à celui-ci une connaissance qui possède les trois qualités qui manquent à la connaissance humaine : clarté, profondeur, étendue. Elle nous apporte, à travers la parole de Dieu, les vérités essentielles de notre destinée (19 e). — Il existe ainsi dans le monde deux raisons : la raison humaine et la raison catholique, c’est-à-dire la raison laissée à ses seules lumières et la raison éclairée par la foi. Ces deux raisons ne sont pas en contradiction, mais en triple communion d’intelligibilité, d’analogie, de confirmation réciproque, avec cependant une suprématie de la raison catholique puisqu’elle voit plus haut et plus loin (20 e).

Le contraste est saisissant entre celle série de conférences et les précédentes. Sept ans ont passé, Lacordaire est maintenant dominicain. Il a étudié saint Thomas, e1 l’influence de celui-ci est manifeste, en particulier sur la distinction des vérités de l’ordre naturel et des vérités révélées. L’analyse de l’acte de foi est faite en formules très heureuses. Les motifs de crédibilité ne suffisent pas, il faut une lumière infuse, toute surnaturelle, pour rendre compte de l’assentiment ; le motif formel de la foi est la véracité de Dieu et non pas Immédiatement l’affirmation de l’Église et son autorité : voilà qui est nettement thomiste. La pensée de Lacordaire s’est creusée et mûrie, ses idées sont plus

ramassées et plus logiquement enchaînées ; son argumentation est plus vigoureuse et plus serrée. Son style beau et ferme sacrifie moins au vêtement imaginatif et littéraire. La construction oratoire est particulièrement remarquable : dans une progression continue de l’intérêt ménagé, dans la poursuite des objections jusqu’en leurs derniers retranchements, dans le contraste habile des exposés successifs. Lacordaire est maintenant en pleine possession de ses moyens. — La présente série, à la différence des précédentes dont les sujets étaient réunis par un lien assez lâche, présente un tout complet et entend décrire les attitudes de l’esprit humain en face de la doctrine révélée. Lacordaire se place nettement en présence de ses auditeurs rationalistes, persuadés que la doctrine catholique bafoue la raison et il dénonce, à leur honte, les causes de la répulsion qu’ils éprouvent à son endroit. Signalons quelques idées plus typiques : les conditions de la certitude rationnelle (Œuvres, t. ii, p. 259 sq.) ; les motifs de l’opposition faite à la doctrine catholique par la raison des hommes au pouvoir, par les savants et par le peuple (p. 278-290) ; les résistances de la conscience aux abus du pouvoir et à l’orgueil de la science (p. 297-310) ; la surnaturalité de l’acte de foi (p. 320-329 et p. 334-346) ; l’accord possible et fécond entre la science et la foi (p. 377-397).

Conférences de’1844 : Des effets de la doctrine catholique sur l’âme. — Dans l’homme, à côté de l’esprit qui connaît la vérité, il y a la sensibilité qui donne le branle à la volonté, principe de la force et de l’activité. Dans ce domaine, la doctrine catholique produit des effets qui sont les vertus. Et d’abord, l’humilité qui modifie de fond en comble le sentiment que l’homme a naturellement de lui-même, qui substitue à l’orgueil, le premier de tous les vices, une vertu qui inaugure dans le monde le respect et l’amour de la supériorité, le sentiment de l’égalité et de la fraternité (21e conf.). — La seconde vertu réservée au catholicisme, c’est la chasteté. A la place de la dépravation individuelle et publique, il a créé la lutte victorieuse contre la corruption par cette triple chasteté du sacerdoce, de la femme et de la jeunesse (22 e). — Seule, la doctrine catholique produit dans l’âme, à l’exclusion de toute autre doctrine, cette vertu de la chasteté. Manifestement l’islamisme, le protestantisme, le rationalisme y ont échoué (23 e). — La doctrine catholique est seule à pouvoir produire cette autre vertu, la charité, le don de soi aux autres ; charité de la doctrine par un apostolat qui a pour but le genre humain tout entier (24 e) ; — charité de fraternité qui se donne gratuitement pour aimer les autres hommes, leur procurer leur bien spirituel, les soulager de leur misère, les regarder comme des égaux et des frères (25°). — —L’humilité, la chasteté, la charité, ces trois vertus mères et maîtresses, introduites dans le monde par la doctrine catholique, dépendent d’une vertu primordiale, la religion, qui est le commerce positif et efficace de l’homme avec Dieu : besoin vivement senti, attrait invinciblement subi et qui exige une force qui triomphe de la triple faiblesse de l’esprit, du cœur et des sens (26 e). — Toute autre doctrine est impuissante à produire la religion à l’état de vertu. Quand l’homme veut faire de la religion sans le secours de la raison, il tombe dans l’incrédulité (27 e). — Au contraire, la doctrine catholique jouit d’une efficacité surhumaine de raison et d’une efficacité surhumaine de mœurs qui est le fruit du commerce qu’elle établit entre l’homme et Dieu. Elle seule produit cet idéal achevé de la religion : la sainteté, cet amour de Di.u et des hommes poussé jusqu’à une sublime extravagance (28 e).

Ces conférences de 1844 sont moins philosophiques que les précédentes. Les thèmes développés prêtent surtout aux considérations et aux applications d’ordre