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.03 LACORDAIRE, CONFERENCES DE N.

D. DE PARIS El DE TOULOUSE

maître, que la multitude ignorante a besoin d’une autorité qui lui donne la vérité qu’elle ne peut acquérir : car, s’il en est ainsi des vérités dont la raison peut, par ses seules forces, obtenir la certitude par l’évidence, n’cst-il pas indiqué que, vis-à-vis des vérités surnaturelles, l’homme ait besoin d’une parole médiatrice, d’un enseignement divin, d’une autorité infaillible ? Cette argumentation ne fait que renouveler la preuve classique des convenances de la révélation, en l’adaptant très heureusement aux idées soulevées par les récentes discussions philosophiques.

Lamennais avait publié les Paroles d’un croyant à la fin d’avril 1834.Lacordaire qui avait terminé son livre depuis longtemps et en avait ajourné tout d’abord la publication, le fit paraître le 29 mai. Or, un mois après, l’encyclique Singulari vos, de Grégoire XVI (elle est datée du 24 juin 1834) condamnait les Paroles d’un croi/anl en même temps que le système philosophique de Lamennais. Les nouvellistes qui renseignaient celui-ci sur les secrets de Rome ne manquèrent pas de lui écrire que c’était là une conséquence de l’ouvrage de Lacordaire. Chose remarquable : les formules mêmes de l’encyclique relatives à la condamnation des théories philosophiques reproduisaient presque exactement la conclusion générale des Considérations.

IV. Les Conférences de Notre-Dame de Paris et de Toulouse. — Nous venons de voir que Lacordaire a défendu énergiquement contre Lamennais l’apologétique traditionnelle. Pourtant, de celle-ci, il a modifié le plan classique, au point que ce plan nouveau dont il n’a pas dévié un seul instant, suffit à caractériser la méthode originale dont il fut le créateur et que l’on peut appeler à juste titre : l’apologétique de Lacordaire.

L’apologétique dite traditionnelle, dont il transformait le plan, se présente de la manière suivante : après les préliminaires sur Dieu, l’homme et leurs rapports, elle se divise en deux grands traités, la Révélation, l’Église, dont le but est d’amener à ce résultat : montrer l’obligation de devenir chrétien, puis de devenir catholique. Le traité de la Religion se subdivise également en une partie théorique, qui étudie la nature de la révélation, sa possibilité, sa nécessité de convenance, puis le miracle, le mystère, la foi en elle-même et dans ses rapports avec la raison et la science ; et en une partie historique, laquelle remonte jusqu’aux origines pour y trouver une révélation primitive, passe par le peuple juif, dépositaire des promesses et des prophéties, aboutit enfin à Jésus-Christ qui accomplit les prophéties et manifeste, par ses miracles, qu’il est Dieu. Le traité de l’Église expose la constitution de cette société fondée par Jésus-Christ, montre les notes de la véritable Église et l’oppose aux autres confessions chrétiennes. Ce serait une erreur de croire que Lacordaire a écarté de son apologétique ces preuves classiques du christianisme ; elles subsistent, intégralement, dans ses Conférences, mais à la place exigée par la logique de la méthode choisie. Ainsi Lacordaire a traité de l’existence de Dieu (45° conférence), du monde créé par Dieu (17e), de l’homme, corps et âme, intelligent et libre (49e et 50e), de la révélation, de sa nature et de sa possibilité (56e), de sa nécessité (55e), de ses difficultés (54e), du miracle (38e), du mystère et de ses difficultés (57 » ), de la foi (12 », 13e, 17e, 18e et 19e), de ses difficultés (58e), de ses rapports avec la raison (20e), de la tradition (9e), de la préexistence de Jésus-Christ (41e), de son histoire (42e et 43e), de ses miracles (38e), de l’expansion de son règne (39 1 ci

1 1’), (le l’Église considérée dans sa nécessité (l’e), sa constitution (2e), son autorité morale et son infaillibilité (3e), son chef (Ie), ses rapports avec l’ordre temporel (6e), sa puissance coercilive (7e), de l’excellence de l’Église catholique sur les religions dissidentes, au

point de. vue doctrinal (3e et 27’), au point de vue moral (2e, 21e, 23e et 36*), au point de vue social (24 e et 31e).

Lacordaire utilise donc tous les matériaux de l’apologétique traditionnelle. Annonçant son premier volume à Mme Swetchine (lettre du 24 octobre 1844), il écrit : « Rien n’est nouveau ; l’esprit de l’antiquité, si je ae me trompe (il vient de nommer Pascal, Bergier, La Luzerne, Frayssinous), se sent à chaque page ; mais le point de vue étant autre, on voit les choses sous un autre profil. » Quel est donc enfin cet autre profil, ce point de vue nouveau qui va orienter, chez Lacordaire, sa défense de la religion ? Il le rappelle maintes fois, au début de chacune de ses stations (voir en particulier 8e, 14e, 37e, 45e conf. et surtout le résumé général qu’il a donné de toute son œuvre à la 73e conf.) : il veut « prendre pied sur le sol même de la réalité vivante et y chercher les traces de Dieu » ; car il doit exister une œuvre visible qui manifeste aux yeux de tous la révélation de Dieu. Or c’est précisément l’Église catholique qui est « la grande merveille révélatrice de Dieu ». « C’est elle qui remplit le monde d’un miracle qui a dix-huit siècles de durée… Elle est là, et celui qui ne la voit point, ou qui la prend pour une chose vulgaire, sera bien autrement incapable de céder au raisonnement ou de s’instruire du passé. C’est donc par l’Église qu’il faut ouvrir la démonstration du christianisme, parce qu’elle en est le sommet. » (73e conf.) Ainsi Lacordaire envisage successivement l’Église, la nécessité de son autorité enseignante, sa constitution, la loi de ses rapports avec le monde, les caractères généraux de sa doctrine, son influence sur l’esprit, sur l’âme, sur la société, et à chaque point qu’il touche, à chaque fait qu’il établit, il dénonce l’impossibilité d’en rendre compte autrement que par une puissance qui dépasse les forces naturelles. L’édifice étant reconnu surhumain, Lacordaire est amené logiquement à en chercher l’auteur : « unique comme l’Eglise, et le seul qui, ayant osé se dire Dieu, a réellement parlé, agi et vécu comme un Dieu ». Tenant ces deux sources : « le Christ révélateur, l’Église propagatrice et interprétatricc », il n’y aura plus qu’à pénétrer pas à pas dans le mystère de la doctrine, à « en visiter toutes les profondeurs », Dieu, l’univers, l’homme, le commerce de l’homme avec Dieu, la chute de l’humanité, sa réparation, les lois et les résultats du gouvernement divin.

La tactique de cette méthode choisie par Lacordaire était habile.. Il s’adressait à des incroyants, la plupart déistes, prévenus contre l’Église par de tenaces préjugés et en particulier par celui de son incompatibilité avec les aspirations nouvelles de la société. La méthode était, au surplus, rationnelle et légitime. C’était, sur une vaste échelle, le problème des notes de la véritable Église. Les Conférences de Notre-Dame ont, sans qu’il soit possible d’en douter, orienté l’attention des esprits vers la théologie du traité de l’Église et de la visibilité de son institution divine. L’on ne saurait mieux caractériser, en formules condensées, l’apologétique de Lacordaire que par ces définitions que devait porter, plus tard, le concile du Vatican : Ecclesia perse ipsa. obsuam nempe admirabilem propagationem, eximiain sarutitatem et inexhaustam in omnibus bonis farnuditatem, ob catholicam unitattm invictamque stabilltalim magnum quoddam et perpcltiuin est motivum credibilitatis et divinse sutr legationis testimonium irrefragabile. Sess. iii, c iii, De flde, Denzlnger-Bannwart, n. 1794,

Il nous faut maintenant brièvement résumer les Conférences de Notre-Dame et de Toulouse, en intercalant, au cours de ce résume, quelques notes rapides et opportunes.

Conférences de 1836 : />< l’Église.— Il est nécessaire