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LACORDAIRE, ÉCRITS PHILOSOPHIQUES


n’en est point enchanté. L’Écriture Sainte est avidement méditée par lui. mais particulièrement les Épîtres de saint Paul et les Évangiles ; les nombreuses citations cm’il fera du Nouveau Testament, dans ses Conférences, en seront un frappant témoignage. Et ce n’est pas en littérateur qu’il étudie la Bible ; jamais, plus tard, il ne citera des textes pour la seule beauté de leur expression, mais toujours pour l’affirmation divine qu’ils contiennent.

Ordonné prêtre, Lacordaire devient, sur sa demande, modeste chapelain, dans le dessein de continuer ses études ecclésiastiques et de les approfondir dans leurs sources. Pendant deux ans, nous le voyons appliqué à étudier l’Écriture Sainte, les Pères de l’Église, surtout saint Augustin. Il lit Platon et Descartes. Survient sa participation à L’Avenir. Nous verrons plus loin que Lamennais n’eut sur lui aucune influence philosophique. Redevenu chapelain à la Visitation, le voici, pendant deux nouvelles années replongé dans ses études personnelles. C’est alors qu’il publie son premier ouvrage : Considérations sur le système philosophique de M. de Lamennais, que nous analyserons plus loin. Il y réprouve le traditionalisme mennaisien, comme vers le même temps (nous le savons par ses lettres), il réprouve le fldéisme de Bautain. Dans les Considérations (c. viii), Lacordaire cite abondamment saint Thomas. Toutefois il ne semble pas, dès cette époque, avoir pris un sérieux contact avec le Docteur Angélique. En revanche, il se passionne pour saint Augustin, qu’il appelle « le saint Thomas des temps primitifs » (Lettre à Lorain, biographie, p. 44). Dans ce commerce journalier avec les œuvres de l’évêque d’Hippone, il profite beaucoup, au double point de vue de l’art et de la doctrine. Au point de vue de l’art, il apprend d’Augustin le don de la communication, celui de toucher à coup sûr un auditoire, en cherchant ses comparaisons dans l’expérience morale et dans les objets capables d’éveiller les sentiments, en rejetant les formules artificielles, pour s’en tenir au vécu, et ainsi entrer, tout droit, au plus vif des Ames. Au point de vue doctrinal, l’influence d’Augustin est plus considérable encore. Il le cite très souvent dans les Considérations et plus tard dans ses Conférences. Même lorsqu’il ne le cite pas (il y a fort peu de citations dans ses œuvres, sauf celles, très abondantes, tirées de l’Écriture Sainte), on devine son influence. Dans les premières séries de Conférences (années 18431846), on trouve des réminiscences très nettes du De utilitale credendi. Au surplus, la méthode apologétique qui ressort des Conférences relève, par bien des points, de saint Augustin. Celui-ci fait sans cesse appel à l’histoire et à la philosophie pour les mettre au service de la foi. S’il ne dédaigne pas les arguments tirés du témoignage divin, il a pourtant une prédilection pour les preuves fournies par l’examen immédiat des vérités chrétiennes ; il se plaîl ; i considérer leurs rapports avec les besoins du cœur et les exigences de la vie en société ; il célèbre les vertus exceptionnelles qui prennent leur source dans le christianisme : il oppose la bonté originelle, la dignité et la noblesse de l’homme à sa déchéance et a sa corruption après le péché, puis il exalte son relèvement et sa réparation ; En ces points de vue augustiniens, ne voit-on pas s’ébaucher, dans ses grandes lignes, l’apologétique de Lacordaire V’tandis que celui-ci était encore aumônier à la Visitation, incertain de sa destinée, il rêva, un moulent, d’écrire, à la gloire du christianisme, une Cité de Dieu, ot il dit lui-même que celle d’Augustin lui en tracera le plan. Mais ce projet d’apologétique devait se réaliser autrement que par le livre.

Après les premières conférences de Notre-Dame, en 1836, Lacordaire quitta volontairement cette chaire, Parmi les raisons qui le décidèrent, se trouvait celle

de perfectionner ses études théologiques.. Il passe dix-huit mois à Rome, dans la solitude, étudiant les cinq volumes in-folio des Dogmes thioloqiqncs de Petau et l’histoire des premiers siècles du christianisme. Devenu dominicain, il n’a qu’un désir, étudier saint Thomas. Il demande à ses supérieurs de passer trois ans a Home, avec ses premiers compagnons, pour approfondir la doctrine du Docteur Angélique : « Celui qui n’a point étudié celle-ci à fond peut être dominicain par le cœur, il ne l’est point par l’intelligence i (A Mme Swetchine, 4 février 1840, p. 222). Jadis, quand il écrivait les Considérations, il avait pris contact avec saint Thomas, et dans les premières Conférences de Notre-Dame, on pouvait discerner des réminiscences du Contra yentes (nécessité d’une autorité infaillible révélant la vérité, distinction des vérités de la raison et des vérités de la foi). Sept ans après (1843), quand le P. Lacordaire reparait à Notre-Dame, son premier mot, chose curieuse, est d’en appeler à saint Thomas pour définir la vie. Sa manière change visiblement et devient plus serrée au point de vue dogmatique. On n’est pas peu étonné de saisir au passage des mets techniques auxquels on n’était pas habitué : « certitude supranaturellc, » « véracité divine, » etc. Avec le temps, Lacordaire laissera tomber les mots, sa science théologique devenant plus ample ; mais il continuera de s’inspirer le plus souvent de saint Thomas. 11 affirme que celui-ci est devenu « son livre de chevet » et que c’est toujours dans les écrits du Docteur Angélique qu’il puise ses renseignements quand il doit, traiter une question doctrinale. Nous aurons l’occasion, plus loin, en analysant les Conférences, de saisir cette influence et de la voir s’affirrrer progressivement.

Telles sont, en un relevé rapide, les sources principales de la formation intellectuelle de Lacordaire. En littérature, son éducation est toute classique, mais Rousseau et plus encore Chateaubriand ont contribué à former ses procédés d’écrivain et d’orateur. Au point de vue des idées et spécialement de ses idées apologétiques, on en découvre l’amorce dans sa prédilection pour le Génie du christianisme ; mais saint Augustin semble avoir marqué en son esprit l’empreinte la plus forte ; saint Thomas, venant ensuite, y mettra plus de logique et de rigueur. Toutefois — et il importe de le remarquer avec soin — sous ces diverses influences, Lacordaire demeure lui-même, avec l’incontestable originalité de son style comme de sa pensée. Son style n’est qu’à lui, dans l’outrance de certaines images, comme dans la cadence de ses phrases, dans la splendeur de ses tableaux oratoires, dans l’infinie variété de ses procédés, qui tour à tour, passent de la démonstration à la description, de l’apostrophe solennelle à la causerie familière. Plus personnel encore s’affirme le tour de sa pensée : il a si bien assimilé tout ce qu’il a appris des autres, qu’un partage précis entre ce qui leur revient et ce qui n’est qu’à lui, défie l’analyse la plus subtile. Il est toujours lui-même, présent, par toute son une si étonncminent vivante, à tout ce qu’il dit ; et telle est la cause de l’invincible attrait qu’il a exercé et qu’il exercera toujours.

III. Échits philosophiques.

Lacordaire a dit de ses Considérations sur le système philosophique de M. de Lamennais qu’elles constituaient le péristyle » de ses Conférences et la base île la doctrine développée en celles-ci. Il y a donc un intérêt de premier ordre à bien déterminer l’attitude de Lacordaire à l’endroit du système philosophique et apologétique de Lamennais.

Celui-ci avait publié son premier volume de VFssai sur l’indifférence en matière de relit/ion en 1817, et le second volume en 1821 Lacordaire et ait redevenu chrétien en 1824, sans que la philosophie de Lamennais