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en remplacement de M. de Tocqueville, il y fut reçu, le 24 janvier de l’année suivante, par M. Guizot.

Cependant, la maladie qui devait l’emporter l’avait déjà frappé. Ne pouvant plus suffire au gouvernement de la Province, il s’était adjoint un vicaire provincial dans la personne du P. Chocarne, après avoir assuré à Dijon un couvent de frères prêcheurs (octobre 1860). Le 21 août 1861, il se démit entièrement de sa charge. Le mal s’accrut rapidement. Mais, gardant jusqu’au bout la lucidité de son esprit et l’énergie de sa volonté, il put encore dicter (30 septembre -24 octobre) de nombreuses pages d’une notice sur l’histoire du rétablissement de l’ordre de saint Dominique et qui parut plus tard sous le titre : Testament du P. I.acordairc. La dictée en fut interrompue par l’aggravation du mal. Le 21 novembre, au milieu d’un calme profond succédant à une cruelle agonie, il rendit son âme à Dieu.

II. Formtion intellectuelle.

De sa famille. Henri Lacordaire, hérita un haut sentiment de l’honneur et de la dignité de la vie. Son tempérament individuel se caractérisait par l’heureuse harmonie d’une intelligence perspicace, d’une volonté vigoureuse et d’une très vive sensibilité. Dès son plus jeune âge, il eut le culte de la sincérité, de la droiture et de la fidélité. Le goût pour les belles-lettres lui était inné. Au lycée de Dijon, il se passionna pour les héros de l’histoire grecque et romaine : la mère d’Henri ne se faisait, pas faute d’en appeler à ces personnages antiques dans ses lettres à ses fils. Lacordaire semble n’avoir jamais révisé les connaissances historiques qu’il acquit au lycée et, tout au long de sa vie, dans ses conférences comme dans tous ses écrits et sa correspondance, il s’applique, avec candeur, à nous faire admirer les grands hommes de l’histoire ancienne. A ce goût de l’antiquité et de la mythologie, se joignait, dans la rhétorique d’alors, une tendance à l’enflure et à la déclamation. On voulait copier Rousseau et Diderot. Les grands mots vagues, les thèmes à effet, toute l’histoire symbolisée à travers quelques personnages, les empires réduits à l’état d’abstraction : voilà les procédés régnant à cette époque et qui ont conservé leurs traces dans certains défauts du genre oratoire de Lacordaire. Au lycée, Henri perdit la foi sous l’influence de ses maîtres et condisciples incroyants, et aussi sous l’influence de ses lectures. Alors, il lit les philosophes du xviiie siècle et cultive particulièrement Voltaire dont il sait par cœur les tragédies. Il a une mémoire excellente et certains vers cités, sans autres précisions dans les Conférences, nous viennent de ces premières lectures.

Cette ardeur voltairienne de dix-huit ans ne dura pas. A l’École de Droit, Lacordaire ne lit plus Voltaire dont il déteste le rire ; en revanche il se passionne pour Rousseau. De cette dernière influence, il se ressentira toujours, du moins au point de vue littéraire : culte de l’hyperbole, descriptions abstraites, mais aussi fraîcheur d’impression, mouvement et vie. A Rousseau, Lacordaire semble avoir pris le goût des questions morales et aussi la conviction de la nécessité de la religion dans la société.

Cette conviction va s’accentuer encore par le fait de Chateaubriand. Celui-ci est attentivement étudié par Lacordaire lors de son stage d’avocat à Paris. A n’en pas douter, le Génie du christianisme exerça une influence sur sa conversion et cette influence persistera jusque dans le genre apologétique des Conférences de Notre-Dame. Lacordaire, alors soucieux du problème de la destinée, cherchait où rencontrer la vérité. Il n’était point tenté de la demander aux philosophes dont il connaissait les disputes. La vérité étant nécessaire à tous et toujours, il lui semblait qu’elle ne devait pas être liée à un homme, mais à un corps social qui dure dans l’humanité. Ce corps social,

où était-il, sinon dans l’Kglise qui, dans l’humanité, assurait l’ordre, la justice et la liberté ? Retenu par cet attrait, Lacordaire passait à l’examen de l’évidence historique de l’Église pour se persuader enfin qu’elle était vraiment d’institution divine. Or le Génie du christianisme montrait que la religion chrétienne, par la solidité de ses dogmes, communique la solidité aux institutions sociales. Si la société a été fondée par Dieu comme nécessaire et si le christianisme est la seule religion qui civilise l’humanité, comment le christianisme ne serait-il pas de Dieu ? N’est-ce pas là, à l’état embryonnaire, le plan des Conférences de Notre-Dame ? Lacordaire se convertit par l’idée dont il se fera plus tard l’apôtre. Son apologétique tendra à prouver que si l’individu a besoin de la religion, la société en a besoin davantage ; elle démontrera avec précision et vigueur ce que le Génie du christianisme exaltait en thèmes littéraires : les bienfaits dont la religion chrétienne a doté la société. Il ne conviendrait pas d’exagérer outre mesure cette influence de Chateaubriand sur la pensée religieuse de Lacordaire. mais il n’en reste pas moins que le Génie du christianisme avait créé un courant d’opinion en faveur de la bienfaisance sociale du christianisme. Lacordaire fut saisi dans ce courant à l’instant de sa conversion et il y adapta spontanément sa mentalité. Chateaubriand eut une influence plus marquée encore sur le génie littéraire de Lacordaire. On a dit et répété que Lacordaire avait porté le romantisme dans la chaire Rien de plus vague et de plus arbitraire que cette affirmation lorsqu’on la laisse dans sa généralité. Lacordaire était un classique par goût et par éducation ; il semble n’avoir ni connu ni lu ses contemporains, Hugo, Lamartine, Musset, et même il exhorte les jeunes gens à se détourner de ces nouveautés et à s’en tenir aux auteurs anciens. Toutefois, si l’on entend par romantisme « l’invasion du moi dans la littérature » et si l’on veut donner à cette définition son sens le plus favorable, on peut parler du romantisme de Lacordaire ; car il est bien vrai qu’il n’a pas conçu la prédication comme un exposé qui ne se préoccuperait pas des répercussions de la doctrine sur les individus vivants qui l’entendent ; constamment il se tient en face des aspirations, des faiblesses, des tendances de la génération à laquelle il appartient et dont il comprend les espérances, les inquiétudes et les passions. Personne n’a excellé comme lui à faire passer chez les autres les révélations de sa propre expérience, à rendre sympathique la vérité qu’il prêchait par la sympathie spontanée qu’excitait la conviction manifeste de son âme tout entière. Romantique, on peut dire qu’il l’est encore par ce lyrisme uniforme que revêtent ses conférences. Lui en faire un reproche serait le blâmer d’avoir été de son temps, et plus encore d’avoir été fidèle à son tempérament. Les mœurs oratoires d’aujourd’hui supposent moins d’éclats de paroles, moins de couleurs de style : l’idée toute nue a davantage nos sympathies. Mais peut-être cela prouve-t-il que, si nous sommes plus intellectuels, nous sommes moins enthousiastes. Lacordaire était un enthousiaste et toute sa génération l’était avec lui. Et c’est pourquoi, si Lacordaire s’adresse à l’esprit de ses auditeurs, il s’adresse en même temps à leur cœur, à leur sensibilité et à leur imagination : il n’y a pas une seule corde, dans cet instrument mystérieux et compliqué que, nous sommes, qu’il ne s’ingénie à faire vibrer.

Au séminaire d’Issy et de Saint -Sulpice, Lacordaire étudie avec acharnement la t néologie et la philosophie. Le manuel en vigueur est la T/K’VWogi’edeBailly. A côté de ses études proprement scolastiques, il s’adonne à la lecture. Il cultive de Maistre, Bonald, Pascal, Bossuet surtout le ravit. Il lit [’Essai sur l’entendement et