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KÉNOSE

’aussi leur renie t-i) devant les yeux l’exemple de l’abaissement volontaire du Sauveur ; ce faisant, il procède beaucoup plus par allusion à un enseignement connu de ses disciples qu’il ne prétend donner une doctrine nouvelle. Il considère la même personne du Christ dans un triple état : Vétat de préexistence dans lequel, subsistant dans la forme de Dieu, le Sauveur ne regarda pas l’égalité avec Dieu, tè rivai ïvx Orco (les honneurs divins auxquels il avait droit) comme une proie qu’il dût garder jalousement : l’état d’abaissement volontaire dans lequel il se dépouilla des honneurs divins en prenant la forme d’esclave ; l’état d’exaltation dans lequel le Père récompensa l’humiliation volontaire de son Fils. — Toute la leçon d’humilité que Paul veut faire entendre aux Philippiens se dégage donc de l’état d’abaissement volontaire accepté par le Sauveur et manifesté dans sa vie humaine.

b) Sens précis du dépouillement du Christ. — Il faut d’abord savoir à quelle volonté du Christ se rapporte le dépouillement proposé comme exemple d’abnégation. L’exégèse traditionnelle est d’accord avec l’exégèse moderne pour le rapporter à la volonté du Christ préexistant et pour trouver l’anéantissement dans le fait même de l’incarnation. Les partisans de la kénose en concluent à tort que le Christ en se dépouillant volontairement a perdu quelque chose de sa divinité.

De quoi en effet le Christ préexistant a-t-il pu se dépouiller ? Saint Paul nous le laisse entendre dans cette phrase : Ôç èv (JLoptpyj 6eoû Û7râpxwv WX âpita-Y |Jtèv Y)Y’Ô CTaT0 T ° sïvai ï’aa 0côy àXXà éa’jxôv èxèvojaôv (i.opep7 ; v SoûXou Xa6(iv. Le grec èxévwæv sauTov, comme le latin exinani : >it semetipsum, peut avoir un sens absolu ou un sens relatif. Pris absolument, on devra le traduire par « il s’anéantit » ; pris relativement, ce serait « il se dépouilla ». Le second sens est incontestablement le plus naturel ; mais les commentateurs se demandent de quoi le Verbe a pu se dépouiller. Ce ne peut être de la forme de Dieu, puisqu’en toute hypothèse la forme est inhérente à la nature, et virtuellement identique avec elle. Ne serait-ce donc pas de l’égalité de traitement et d’honneur ? On ne renonce pas à sa nature, mais on peut renoncer aux droits que la nature confère. » Prat, op. cit., 1. 1, 7e édit., p. 309.

Cette exégèse ressort naturellement du texte et a pour elle l’autorité des Pères grecs. Voir Schumacher, Christus in seiner Preexisten : und Kenose, t. i, p. 137266 et 371-383. En fait, il ne peut être question ici pour la personne du Christ de rejeter la nature divine inséparable de son être : Paul ne dit pas wv, yEv6|xevoç èv [xopçTj 0 ; oû, mais ûnip/cov : il indique par là l’existence stable et permanente du Sauveur en sa forme divine, aux différents stades de sa vie. Celui-ci est fondamentalement èv jiopepT) ŒoG. — Le fait de prendre la nature humaine u.opq>ïjv SoùXou Xa6cov, n’affecte que l’extérieur et non la nature intime du Fils de Dieu, elle n’implique un changement que dans les apparences et non dans la réalité profonde, lui effet, si le Fils en s’incarnanl s’était vidé de la divinité, il deviendrait totalement autre que ce qu’il était, il ne serait qu’un homme dans sa nature intime comme dans son extérieur. - Or c’est seulement à la ressemblance, à l’apparence que s’est arrêté le changement : èv ôp-oicopLaxt àvGpwrtwv Y£vô(i.£voç, xalaX’)|i.*Ti£ÛpE0Eli ; toç àv0pw7Toç. Sous la [xopepyj SoûXo’j, se cache le Seigneur de gloire, celui qui subsiste dans la forme de Dieu. - Et c’est cette humilité du Fils de Dieu qui intéresse saint Paul et les Philippiens : La pensée de l’apôtre ne va pas ici à définir ce qu’est le Christ, mais à tirer une leçon de ce qu’il paraît aux yeux des hommes. En tenant compte du contexte, des données philologiques (cf. Moulton et Melligan, Vocabulary), el de l’autorité des Pères mecs, on obtiendra la glose

suivante : « Parce qu’il était dans la forme de Dieu, le Verbe ne considéra pas l’égalité divine comme une proie, ou un butin âp7ray(j16v, auquel on se cramponne avidement, de peur d’en être privé si on vient à l’abandonner un instant ; mais au contraire il s’en dépouilla en prenant la forme d’esclave. « 

Que l’on adopte cette traduction qui paraît la meilleure ou que l’on s’en tienne à celle des commentateurs lalins : i parce qu’il était dans la forme de Dieu il ne regarda pas comme un vol l’égalité divine ; cependant il se dépouilla en prenant la forme d’esclave, » dans tous les cas, il s’agit de donner en exemple l’attitude du Christ à l’égard de la dignité divine. Il avait le droit d’être mis sur le même rang que son père, to sïvai ïaa 6ew. < Cette majesté ne l’empêcha pas de se dépouiller et de s’abaisser ; il se dépouilla non en rejetant la forme divine qui était inséparable de son être, mais en cachant sa forme divine sous sa forme humaine et en renonçant ainsi pour un temps aux honneurs divins qui lui étaient dus. » Prat, op. cit., 7e édit., t. ii, p. 155. En quoi consiste positivement ce dépouillement volontaire du Christ’? Comment se réalisa-t-il ?. Il se réalisa d’abord dans le fait même de l’incarnation ; il se continua ensuite dans l’étal d’abaissement et d’obéissance du Sauveur jusqu’à la mort.

En prenant ainsi une nature inférieure, celle d’esclave, le Sauveur non seulement abandonne la majesté divine et les honneurs divins auxquels il a droit comme Dieu, mais il accepte de mener une vie vrai ment humaine, d’être reconnu pour homme à l’extérieur par des dehors qui ne trompent pas et par le cours entier d’une vie d’obéissance, d’humiliation et de douleurs. Ainsi le dépouillement dont l’apôtre fait un exemple d’abnégation pour les Philippiens n’enveloppe pas seulement le fait de l’incarnation (le Christ dans sa troisième étape gardera encore la nature humaine, mais sera glorifié et de. ce fait ne sera plus en état de kénose), mais toutes les conséquences de la vie d’humiliation et d’obéissances acceptées par le Christ en vue du salut. C’est pour tout cela que le Sauveur est un modèle à suivre. Kerkhofs, Doctrina keno’.ica, dans Revue ecclésiastique de Liège, 1923, p. 37 sq.

2. A la lumière du texte des Philippiens, on traduira le texte II Cor., viii, 9, « Étant riche, il se fît pauvre : » étant riche comme Dieu, il se fit pauvre comme homme, en acceptant les indigences de la nature humaine. Rien n’oblige à traduire comme les partisans de la kénose : « Étant riche comme Dieu, il devint pauvre comme Dieu. >

3. Le texte de saint Jean, xvii, 5. El maintenant, glorifie -moi, Père, auprès de toi-même, de la gloire que j’avais, avant que le monde fût, près de toi, » est à interpréter dans le même sens. Ici le Verbe demande à être rétabli dans sa gloire éternelle ; il s’en est dépouillé en quelque façon à son incarnation : il réclame ce qu’il a quitté volontairement sans que sa divinité d’ailleurs en fût amoindrie. Ici comme dans saint Paul, la vie terrestre du Christ est considérée comme un étal d’abaissement, intermédiaire entre deux éternités de gloire : son humanité est comme un écran qui voile la gloire divine.

1. Quant aux texti’s évangéliques où l’on voit Jésus localisé parmi nous, .loa., i, 1 I. soumis à un progrès réel, Luc, u. 10 et 52, tenté par le démon, Matth., iv, 1-11, limité dans sa puissance humaine, Marc, vi, 5, bouleversé dans son agonie, Marc, XTV, ii"> : ùS, on petit dire qu’ils n’impliquent point une diminution de la divinité : ils révèlent en Jésus ce que saint Paul a affirmé, une véritable expérience humaine, la pratique d’une vie humaine réelle : la doctrine traditionnelle des deux natures et des deux énergies volontaires