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    1. JONAS (LIVRE DE)##


JONAS (LIVRE DE). INTERPRÉTATION DU LIVRE

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Ces témoignages prouvent tout au moins que, pour certains Pères, la question de Jonas était une question libre. Cette liberté, l’Église ne l’a jamais officiellement restreinte. C’est pourquoi, aujourd’hui comme autrefois, les exégètes qui ne sont pas satisfaits de l’explication historique s’estiment en droit de l’abandonner. A leur avis, les difficultés que soulève le contenu du livre, s’il présente des faits réels, sont insurmontables. Ce qui les désigne surtout, c’est moins le côté prêternaturel des miracles comme tels que leur caractère artificiel qui i ésulte d’une part de leur profusion et de l’autre du désaccord qui existe entre ces actes de la toute-puissance dtvine et leur but. Les miracles se suivent, en effet, coup sur coup : la tempête qui surgit subitement, le sort qui désigne Jonas comme coupable, ie calme qui renaît immédiatement après qu’on l’a jeté dans les flots, le poisson qui est envoyé par Dieu, la préservation du prophète dans les entrailles du monstre, la prière si poétique qu’il adresse à Dieu, l’effet si extraordinaire de sa prédication, enfin le ricin qui pousse et qui périt en une nuit.

En particulier pour les faits qui se sont passés sur la mer, il leur paraît difficile de comprendre qu’ils soient dignes de la Sagesse divine et d’y voir des moyens en proportion avec la fin poursuivie. Voir Condamin, loc. cit., col. 1552 sq. De tels prodiges auraient dû impressionner en premier lieu le prophète et changer ses idées. Mais la plainte qu’il exhale au sujet de la conversion des Ninivites prouve que ce but ne fut pas atteint.

En ce qui concerne la transformation de la capitale des Assyriens, ne faut-il pas dire que cet événement, tel qu’il est raconté dans le livre — et l’on n’a pas le droit d’atténuer le texte — serait un des phénomènes les plus extraordinaires de l’histoire religieuse ? Peut-on imaginer une population plus inaccessible à un changement de mœurs que celle de Ninive, un moyen plus insignifiant pour l’obtenir que la courte proclamation de Jonas ? Et pourtant le changement est total et subit ! Ce miracle dépasse de beaucoup celui même deJa Pentecôte. Et alors comment expliquer le silence de la littérature prophétique et historique des Hébreux sur un tel événement ?

Pour toutes ces raisons on comprend l’attitude de ceux qui pensent que le livre de Jonas ne contient pas une histoire véritable, mais une fiction à fins didactiques. Dès qu’on l’envisage comme une composition libre, toutes les difficultés disparaissent d’emblée. L’essentiel du contenu ne consiste plus alors dans la réalité des faits, mais dans la doctrine, enseignée au moyen d’un récit fictife où, comme dit très bien le P. Condamin, loc. cit., col. 1553, les caractères sont fortement accentués, la difficulté des situations exagérée, parfois même au mépris des vraisemblances, en vue de l’impression finale et de la leçon morale à inculquer. »

Cette doctrine n’est autre que l’universalité du salut. Sous forme de parabole le livre de Jonas enseigne que Dieu veut sauver tous les hommes, non seulement les Juifs, mais aussi les pa ens, et qu’il a même pitié des animaux. Justement après l’exil, à l’époque où le livre fut composé, les Juifs, à cause de leur particularisme excessif, avaient besoin de cet enseignement. Jonas est la personnification de l’esprit pharisaïqu’de son peuple et ridiculise en sa personne l’égoïsme nationaliste de ses coreligionnaires De cette façon l’auteur veut renverser leurs idées fausses et leur apprendre que l’attribut essentiel de Dieu est la miséricorde envers tous. De la sorte l’esprit universaliste qui anime ce petit livre en fait une des perles de la littérature hébraïque.

Cette manière d’expliquer Jonas serait à coup sûr plus répandue, si la parole du Christ précédemment

rapportée n’entrait en ligne de compte. Elle forme l’objection la plus forte contre l’interprétation purement parabolique. Pour la résoudre, plusieurs exégètes catholiques, Don » Calmet, par exemple, et aussi quelques exégètes protestants conservateurs comme L. Gautier, Introduction à l’Ancien Testament, 1906, t.i, p. 610 ont dit que Jésus a pu parfois s’adapter dans son langage aux idées populaires des Juifs et qu’il a employé l’argument ad hominem. C’est de cette façon que s’expliquerait son langage au sujet de Jonas sans qu’il entendît mettre un accent spécial que rien ne réclamait sur la réalité de son histoire.

Peu satisfait de cette solution, M. Van Hoonacker préfère se référer au caractère (didactique) de l’Évangile :

« La question se pose de savoir si les passages

cités des Évangiles font argument, par eux-mêmes, pour prouver que le livre de Jonas n’a pas un caractère purement prophétique ou didactique et moral, mais en même temps historique. Il n’y a pas proprement lieu ici de se demander si Jésus a pu s’accommoder dans son langage… à une erreur communément admise de son temps. Il devrait s’agir plutôt de ce que les logiciens scolastiques appelleraient la suppositio terminorum. Jonas… les Ninivites… sont-ils des sujets envisagés dans leur vie réelle, ou considérés au point de vue littéraire du rôle qui leur est attribué dans le récit de notre livre ? Le langage ordinaire emprunte souvent à des écrits dont le caractère non historique est reconnu de tous des termes qu’il présente sous forme d’énonciation absolue, mais dont la valeur idéale est sous-entendue et supposée. Cet usage ne doit pas être considéré comme étranger aux Écritures, ou indigne de la solennité des paraboles du Sauveur aux endroits visés des Évangiles, ou impropre aux applications dont les éléments indiqués du livre de Jonas y sont l’objet. » Les douze petits prophètes, 1908, p. 321 sq. Pour le prouver, l’auteur cite comme exemples II, Tim., iii, 8 ; I Cor., x, 4 ; Jude, 9 sq. passages dans lesquels il s’agit de quelques événements de l’histoire des Israélites que saint Paul et saint Jude n’ont nullement voulu présenter comme historiques et qu’ils allèguent quand même comme termes de comparaison pour des faits actuels. L’Église en use de même dans la liturgie des défunts : « Et cum Lazaro quondam paupere œlcrnam habeas requiem, » dit-elle. Sans vouloir faire du Lazare de la parabole un person nage historique, elle l’emploie pourtant comme type et souhaite au défunt le repos réel et éternel que la parabole évangélique attribue à l’heureux mendiant.

M. Lesêtre, Revue pratique d’apologétique, t. viii, 1909, p. 927, complète ces témoignages par cette remarque : « Le Seigneur ne crée-t-il pas lui-même des types paraboliques dont il parle ensuite comme de personnages réels, sans en faire pour cela des personnages historiques ? Du bon Samaritain, il dit au docteur de la loi : < Va, et toi fais de même. » Luc, x, 37. Le juge inique, Luc, xviii, 6, le pharisien et le publicain, Luc, xviii, 14, les vignerons homicides, Matth., xxi, 40-41, et la plupart des autres personnages des paraboles sont des êtres fictifs et purement typiques, et pourtant rien n’est plus réel que ce qu’ils signifient. » M Tobac, Les prophètes d’israëZ, u-m, p.579, après avoir renforcé la thèse de M. Van Hoonacker par des remarques très justes, ajoute le texte de Matth., xxni, 35, où les meurtres d’Abel et de Zacharie sont présentés comme ouvrant et fermant l’histoire juive parce que l’un est raconté dans le premier livre de la Bible, et l’autre dans le dernier, II Parai., xxiv, 20-22. Dans le même sens le P. Condamin, loc. cit., col. 1596, cite Hebr., vii, 3, où il est dit de Melchisédech qu’il était sine paire et sine matre, sine genealogia, et ajoute : « Évidemment cela est dit de Mekhisédech, non selon la réalité de l’histoire,