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    1. KANT ET KANTISME##


KANT ET KANTISME, LES DISCIPLES

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naissant. Depuis lors un n’est plus revenu au moralisme sec et purement légal du kantisme, et la théologie de RitschI, elle-même si opposée au piétisme, a au moins gardé, malgré les doctrines kantiennes, cette source de fraîcheur et d’inspiration qu’est l’histoire. Kant avait supprimé le sentiment et l’individu pour ne plus laisser que la loi et l’obéissance impersonnelle. On n’a jamais consenti à retourner tlans cette geôle sans lumière et sans chaleur.

En 1799, au moment où Kant achevait son existence, Schleiermacher publiait ses Rcden iïber die Religion an die Gebildeten unter ihrenVerâchtern, discours sur la religion pour ceux qui, parmi ses détracteurs, ont de l’instruction. L’influence de Kant s’était abondamment exercée sur lui pendant son séjour à l’Université de Halle (1787-1790) mais l’étude de Spinoza et son propre penchant au mysticisme l’avaient détourné progressivement des sèches négations kantiennes. En 1799 quand il lança ses Reden dans le public, il n’osa pas se nommer. Il attendit sept ans avant de signer son œuvre. On peut dire qu’avec elle commence dans la théologie de l’Allemagne protestante la réaction antirationaliste et antikantienne. La psychologie dont Kant ne s’était pas occupé, le pathétique individuel, le sens du mystère, la variété et la richesse del’ « expérience religieuse >. tous ces éléments que le kantisme déclarait sans valeur morale on les trouvait chez Schleiermacher à la place centrale. Pour Kant la prière était hypocrisie et dégradation ; pour Schleiermacher elle devenait l’essence même de la religion. Sans doute cette prière gardait encore des traces de l’influence du criticisme : Schleiermacher lui déniait tout pouvoir d’action sur Dieu et réduisait son efficacité à celle d’une méditation subjective, mais avec elle un élément i mystique » pénétrait dans la théorie religieuse et faisait oublier tout le moralisme impersonnel et froid des doctrines kantiennes.

Pour se rendre compte du bouleversement que les Rcden produisirent dans les âmes, il suffit de lire par exemple la Sclbstbiographie de Claus Harms, ce pasteur qui allait remuer toute l’Allemagne par.ses fameuses i thèses » de 1817. Nous y voyons que le rationalisme kantien s’écroule « tout d’une pièce » dans ces esprits dès que la théorie de Schleiermacher vient le heurter. D’ailleurs nous sommes arrivés alors à l’époque de Fr. Schlegel (cf. W. Glave, Die Religion Friedrich Scldegcls. Ein Beilrag zur Geschichte der Romanlik. 1900) et la décadence du classicisme se précipite.

Hegel, autant que Schleiermacher, a obstrué les voies du kantisme, tout en prétendant les prolonger. On ne peut vraiment pas le considérer, dans sa philosophie religieuse, comme un disciple de Kant. Il veuf réintroduire dans la religion l’élément spéculatif et théorique si délibérément expulsé par Kant. C’est donc plutôt d’une réaction qu’il s’agit. Il apparaît de plus en plus clairement a tous les esprits que le seul impératif moral est trop grêle et trop vide, quand on n’en prend que la - forme pure », comme le voulait Kant, pour soutenir tout le poids d’une philosophie religieuse. Très opposé a Schleiermacher, qui était pourtant son collègue à l’Université nouvelle de Berlin, déclarant que sur le sentiment on ne pouvait établir aucune théorie philosophique et que c les chiens faméliques axaient aussi le sentiment de la délivrance et du salut quand on leur jetait un os ; t ronger. » Hegel refusait tout aussi énergiquement de se laisser enfermer dans les doctrines kantiennes du pur moralisme.

Après la banqueroute soudaine et totale de l’hégélianisme c’est sur le domaine de l’histoire que se transporte la philosophie religieuse. On a VU que pour Kant l’histoire n’a pas de valeur religieuse et que la réalité (hJésus-C.hrist ne lignifie rien qu’un exemple — superflu d’ailleurs — d’obéissance a l’impératif catégorique. Pendant toute la deuxième moitié du xix c siècle c’est précisément cet élément historique de la religion que l’on va tenter de réintroduire et de justifier. Encore une fois, il est difficile de parler, à son sujet, de fidélité au kantisme.

La controverse historique se développe d’abord autour des écrits de Nouveau Testament. D. I. Strauss († 1874), Bruno Bauer († 1882).. les Tubingiens avec F. Chr. Baur († 1850) et ses disciples, auxquels Renan fait écho, ne relèvent guère de la Religion innerhatb der Grenzen der blossen Vernunft. Ce sont bien plutôt des hégéliens. Il n’y avait guère moyen, sur les bases kantiennes, de travailler l’histoire.

Alb. RitschI († 1889) domine toute la théologie protestante de l’Allemagne, de 1870 (apparition de la Christliche Lelire von der Rechtfertigung und Versvlinung, 3 vol., Bonn) jusqu’en 1900 (débuts de l’école religionsgeschichtlich et décadence de l’historicisnie moral). En un sens, il est nettement kantien. Il admet, sans y apporter de changement essentiel, la théorie de la connaissance telle qu’elle est exposée dans la Critique de la raison pure. Il est aussi vigoureusement opposé à la métaphysique qu’au mysticisme : de part et d’autre il ne voit là que des « nuages », Et par un renversement singulier, c’est au fait historique, purement et précisément historique, qu’il demandera cette valeur d’absolu, de péremptoire et de divin, que ne peuvent lui fournir ni la métaphysique spéculative ni la psychologie sentimentale. L’historicisnie se confond chez lui avec la philosophie religieuse ; ce qui est nettement antikantien.

On a donc beau chercher dans les courants de pensée du xixe siècle, on ne trouve plus la trace continue de la philosophie religieuse du kantisme. Au xxe siècle on la découvre moins encore. Depuis William James et jusqu’à R. Otto ou Heiler nous assistons dans tous les milieux religieux du protestantisme à une véritable réhabilitation de la « mystique », si copieusement outragée par Kant, et rien ne ressemble moins au dogmatisme abstrait de VAufklùrung que das Heilige de IL Otto. Il faut ajouter que, même au simple point de vue des théories morales, le xixe siècle n’est pas dans la ligne de Kant. Avec le développement industriel, ce sont les problèmes sociaux qui de plus en plus ont passe à l’avant-plan. L’individualisme kantien ne les soupçonnait pas et il ne fournit aucun moyen de les comprendre.

Ainsi la doctrine religieuse de Kant n’a pas connu de développement proprement dit. On l’a critiquée, tout comme sa théorie spéculative, on ne l’a pas enrichie. Elle avait d’ailleurs rendu tout enrichissement impossible par l’outrance systématique de ses simplifications. A force de vouloir éliminer toutes les « impuretés », elle s’était pratiquement anéantie La religion s’y trouvait réduite à servir de vêtement illusoire à une doctrine morale qui n’en avait nul besoin et à laquelle elle n’apportait aucune consistance, aucune valeur supplémentaire.

De plus la Religion innerhulb der Grenzen der blossen Yerniin/t ne possède pas cette ana tonne compliquée, qui fait de la Critique de la raison pure un copieux système verbal, un squelette, avec les deux formes de l’intuition, les douze catégories en quatre classes de trois ; les douze schèmes ; les quatre classes de principes synthétiques ; les quatre couples des concepts de la rétlexion et les trois idées de la liaison.

Cependant, si on a peu développé la théorie religieuse de Kant, il est curieux que même au xxe siècle les meilleurs Interprètes ne soient pas arrivés à s’en tendre sur sa signification essentielle. N’en prenons qu’un exemple. Il s’agit de 1 [ans Vaibinger, donc d’un auteur particulièrement qualifié pour nous instruire.