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    1. KANT ET KANTISME##


KANT ET KANTISME, LES DISCIPLES

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Dieu, c’est une profession de foi tout à fait inintelligible pour l’homme, et pour ceux qui s’imaginent en comprendre quelque chose, ce n’est que le symbole anthropomorphique d’une opinion d’Église, incapable d’améliorer en quoi que ce soit l’homme moral. » C, t. vi, p. 290 : B., t. vi, p. 1-12 : R., t. x, p. 170. L’Église, les sacrements, les cérémonies vont être l’objet des mêmes traitements et réduits à l’état de symboles des vérités morales et des devoirs pratiques. Conclusion. — Après toutes les décortications et tous les filtrages, ilne reste plus dans la religion « pure » que ces trois propositions, comprises non comme des vérités théoriques, mais comme des postulats pratiques.

1. Croyance en Dieu, créateur du ciel et de la terre, c’est-à-dire : croyance à la loi morale, envisagée comme un commandement suprême et absolu.

2. Croyance en Dieu, conservateur du genre humain ; c’est-à-dire ; croyance à la stabilité et à la permanence de la loi morale, envisagée comme une providence infaillible.

3. Croyance en Dieu, administrateur de ses saintes lois, c’est-à-dire : croyance à la valeur du jugement qui distingue le bien et le mal et qui impose la fuite de celui-ci.

Kant ajoute que ce résidu religieux, seul valable, se retrouve chez tous les peuples cultivés. Pour lui, c’est là toute la religion et son amcur de la symétrie extérieure lui fait voir dans ces trois propositions un parallélisme très probant avec les trois pouvoirs de Montesquieu. C, t. vi, p. 287 : B., t. vi, p. 139 ; R., t. x, p. 168.

En 1789, Henri Jung-Stilling écrivait à Kant une lettre pleine d’admiration « Dieu vous bénisse ! vous êtes un grand, un très grand instrument dans la main de Dieu ; je le dis sans flatterie. Votre philosophie va provoquer une révolution beaucoup plus grande, plus bienfaisante et plus universelle que la réforme de Luther. Car, dès qu’on a lu la Critique de la raison pure, on voit qu’elle est irréfutable. Votre philosophie doit donc demeurer éternelle et immuable, et vos ouvrages bienfaisants ramèneront la religion de Jésus à sa pureté primitive en ne lui donnant comme but que la seule sainteté : toutes les sciences deviendront plus systématiques, plus pures et plus certaines, et le travail législatif en particulier gagnera infiniment. » C, t. ix, p. 38(1 ; B., t. xi, 9.

Reinhold, jouant sur le prénom de Kant, l’avait .-appelé le second Emmanuel. C, t. îx, p. 337 ; B., t x, p. 108. Avec beaucoup de mauvais goût, ses admirateurs le comparaient au Christ lui-même, et parlaient de lui comme d’un Sauveur.

Aujourd’hui que la poussière des premières luttes est tombée, la philosophie religieuse de Kant apparaît, non plus dans ce halo fabuleux, mais dans ses proportions réelles. Il est permis de dire que la méthode, les principes et les résultats en sont également décevants, et qu’elle ne représente rien d’autre qu’un grand effort, pour faire tenir sur pied un système artificiel et pauvre, exclusivement idéologique et irrémédiablement caduc.


III. Les disciples. - —

Il serait difficile d’exagérer l’influence qu’a exercée sur l’esprit de trois ou quatre générations ce petit professeur malingre et voûté, dont la voix débile ne s’entendait pas à cinq mètres. Il faut lire dans les historiens du kantisme le détail de cette adoration contagieuse, qu’on appelait alors déjà une sorte d’influenza. Les expressions les plus lyriques passent dans l’usage courant quand il s’agit de décrire le « Sage universel », la lumière du monde, le génie que dix siècles ont attendu, l’homme qui n’est pas seulement un soleil mais tout un système solaire, le premier -des philosophes, ou même le seul philosophe. Reinhold ne voit qu’un seul livre digne d’être comparé à la Critique île la raison pure, et c’est l’Apocalypse. Aristote, écrit un autre n’a pas eu en quinze siècles autant d’interprètes que Kant en quinze ans. Les quelques contradicteurs résolus, qui osent parler, sont abondamment conspués ou même contraints, quand ils sont professeurs, de quitter leur chaire. La doctrine rivale du kantisme, celle de l’honnête et laborieux Crusius, est proscrite officiellement par ordre du ministre prussien von Zedlitz. Le petit vieillard célibataire, qui ne s’était jamais éloigné à plus de deux milles de Kiinigsberg et qui refaisait tous les jours sa promenade hygiénique jusqu’à l’enseigne de 1’ « Arbre de Hollande », ce petit vieillard aux habitudes de mécanique bien montée, passait aux yeux de l’Allemagne pour la Lumière du monde.

Cependant, dès le début, un immense désarroi se produisit parmi les interprètes du kantisme. L’enthousiasme et l’admiration étaient communs, mais sur le sens de la doctrine on ne s’entendait guère. En 1797, les discussions étaient devenues si violentes qu’on demanda à Kant lui-même quel auteur l’avait compris comme il le voulait. Il répondit : « C’est Schulze, pourvu qu’on prenne ses mots et non son esprit. »

Fichte assurait que tous les premiers lecteurs de Kant s’étaient mépris totalement et qu’il était lui le seul à voir clair. Évidemment personne n’admettait cette prétention. Pendant vingt ans, ce fut la mode de jeter à ses adversaires l’épithète de unkanlisch. Ward a écrit cette phrase un peu dure : The transcendental philosopha rose to /aine uilhout beimj understood. James Ward, Immanuel Kant, 1922, p. 6. Un siècle après l’apparition de la Critique, le désaccord était tout aussi flagrant, tout aussi scandaleux parmi les interprètes. Benno Erdmann, en 1878, dans son Kant’s Kriiicismus indique six interprétations différentes qui ont germé entre 1865 et 1878. En 1860, lorsque Eried. Alb. Lange préconisa le retour au kantisme, après la ruine des grands systèmes idéalistes, le Zurtick m Kanll groupa autour de la Critique les interprètes les plus variés : des herbartiens comme Drobisch, des friesiens comme Jtirgen Bona Meyer ; des indépendants comme Otto Liebmanndes hégéliens comme Ed. Zeller, et des critiques de Hegel comme Rud. Haym.

Le bruit des querelles qui ont éclaté entre Kuno Fischer et Irendelenburg n’est pas encore entièrement calmé. L’école des Kantphilologen elle-même est divisée. Emile Arnoldt a montré le plus parfait mépris pour les travaux de Vaihinger. Dès les années 1870, l’école de Marbourg, tout à fait systématique, s’est affirmée en opposition formelle avec les Kantphilologen, mais Aloïs Riehl déclare que Cohen et les IVlarbourgeois pervertissent le kantisme. Il n’y a pas une seule des notions fondamentales de cette doctrine qui n’ait été l’objet des exégèses les plus contradictoires. Et la conception même d’une Kantorlhodoxie est rejetée ou admise avec une égale passion.

Il serait hors de propos de dresser ici le catalogue de toutes les interprétations du kantisme et de refaire l’histoire de ces guerres intestines. On les trouvera exposées ailleurs. Files ont trait surtout à la doctrine spéculative de Kant et ses théories religieuses, moins originales et si pauvres, ont été comme délaissées par les auteurs du xix c et du xxe siècles.

Après l’engouement naïf des débuts et les tentatives faites pour utiliser le kantisme ; ï des fins apologétiques (tentatives que Kaflan renouvellera encore en 1873 dans son livre Die religionsphilosophische An^hauung Kant’s in ihrer Bedeulung jùr die Apologetik) on peut dire que c’est Schléiermacher qui porta le coup de mort à cette philosophie religieuse. Schléiermacher rétablit la valeur du sentiment dans la théorie de la religion. Il était porté d’ailleurs par tout le romantisme