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    1. KANT ET KANTISME##


KANT ET KANTISME, THÉORIE DE LA RELIGION

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l’aumône et le pèlerinage à la Mecque. Kant écarte connue essentiellement non religieuses quatre de ces pratiques ; il ne veut retenir que l’aumône, qui seule tomber sous l’application de la loi morale. Et encore, pour que cette aumône ait une signification religieuse, il faut qu’on la fasse en considération du pur devoir humain, fréquenter les églises, faire le pèlerinage de Lorelte, partir en Terre sainte, réciter des formules d’oraison ou tourner le moulin à prières des lamas, tout cela est parfaitement identique et également vide de sens religieux, dds ist ailes einerlei und von gleichem Wert. C, t. vi, p. 323 ; 13., t. vi, p. 173 ; R., t. x, p. 208. Il ne sert à rien de réformer une Église en supprimant quelques-unes de ses pratiques les plus étranges ou de ses rites les plus choquants : toutes les observances doivent être abolies, puisque la seule religion est la religion purement morale, lbid., note 1. Or, entre des pratiques extérieures et d’ordre naturel et la disposition morale de la volonté bonne, il n’y a aucun rapport. La religion est donc incompatible avec n’importe quelle pratique rituelle, que celle-ci soit grossière ou raffinée, savante ou populaire. « Entre le schaman tongouse et le prélat d’Europe, en même temps prince temporel ; entre le Vogoule primitif qui chaque matin pose sur sa tête la patte d’une pelisse d’ours en disant comme prière : « Ne me tue pas, » et le puritain distingué, l’indépendant du Connecticut, il y a sans doute une grande différence dans la manière de la croyance, il n’y en a aucune dans le principe. Tous appartiennent à cette catégorie de gens qui attribuent une valeur pieuse à des choses qui, en elles-mêmes, ne rendent pas l’homme plus moral. » C, t. vi, p. 326 ; B., t. vi, p. 176 ; R., t. x, p. 212.

f) La véritable Église.

La seule Église dont on puisse parler comme d’un établissement religieux, est l'église invisible des cœurs droits, la communauté des honnêtes gens, communauté sans aucun sacerdoce, sans aucune autorité extérieure, sans culte, sans prière, sans Credo, sans lien social proprement dit, groupée, sans être associée, autour de l’impératif moral et sans aucune conscience collective. C, t. vi, p. 326, 329.

g) L’éducation religieuse.

Toute la théorie de l’éducation religieuse est évidemment commandée chez Kant par ces principes de simplification outrancière. La religion n’ayant qu’un seul contenu : des préceptes, C, t. vi, p. 317 ; B., t. vi, p. 167 ; R., t. x, p. 202, et ces préceptes étant tous des préceptes purement moraux, il est clair que l’éducation religieuse doit coïncider jusqu’à se confondre avec, la simple éducation morale. Faire apprendre aux enfants des professions de foi, c’est de l’hypocrisie. C, t. vi, p. 341, note ; B., t. vi, p. 190, note ; R., t. x, p. 230, note. Leur dire que le premier devoir est d’adorer Dieu ou de prier, c’est du servilisme absurde. C, t. vi, p. 335 ; B., t. vi, p. 18 1 ; R., t. x, p. 224. Leur laisser croire que le péché est une oflense faite à Dieu, el non pas seulement un attentat contre la maxime du devoir moral, c’est tolérer des doctrines inintelligibles. C, t. vi, p. 214 ; B., t. vi, p. 72 ; R., t. x, p. 81. Il ne faut donc pas d’éducation religieuse proprement dite et il est interdit de suggérer aux enfants d’autres motifs d’aclions cpie le pur devoir, tout comme il est néfaste d’administrer aux mourants des consolations ou des espoirs. Au lieu de cet « opium » que les ecclésiastiques versent aux moribonds, il faudrait à ce moment suprême, tisonner les remords de la conscience et aiguiser le tranchant de sus reproches. Puisqu’il n’y a rien de bon ni de saint en dehors du devoir moral, il est nécessaire de st Imuler le vouloir du bien au maximum, quelle que soit la condition pitoyable du mourant. C, t. vi, p. 220, noie ; B., t. vj, p. 78 ; R., t. x, p. 91, note. Ni prières, ni cérémonie :, ni sacrements, mais une semonce morale au nom de l’Impératif catégorique, c’esl la seule aide spirituelle que l’on soit autorisé à donner aux mourants.

h) Le péché.

Car l’idée même d’un pardon des péchés doit être exclue. Fidèle à son stoïcisme légal, Kant ne pouvait manquer de le proclamer. Le vouloir moral est strictement individuel. Il est impossible que la bonté d’un vouloir étranger au mien me soit transférée. Les théories protestantes de la justification par imputation et les théories catholiques de la satisfaction vicaire et de la justification interne sont rejetées avec un égal mépris par Kant. La justification est intrinsèque à l’action bonne. Si l’action a été mauvaise, il n’y a rien à faire ; le mal est irréparable, mais la volonté est capable de vouloir de nouveau le bien. Cette conversion est en même temps et intrinsèquement le châtiment de la faute, car la volonté, changeant sa disposition, regrette donc sa disposition précédente et cette tristesse est la seule sanction morale du péché.

Il n’est pas nécessaire de prolonger cette énumération. A la manière purement, idéologique de son époque, Kant, partant d’une conception a priori et fort étroite de la religion, a supprimé tout ce qui, dans le domaine des faits, ne s’accommodait pas de sa définition arbitraire.

3. Critique du christianisme.

Quand il parle de la religion chrétienne, Kant se croit tenu à une certaine cautèle. Dans une lettre à Fichte, il nous livre un spécimen de cette exégèse contournée et subtile, destinée à tromper la censure et à donner le change aux dévots. C, t. x, p. 120 ; B., t. xi, p. 321.

Il a réussi en partie à masquer les destructions formidables que sa philosophie devait provoquer dans le système religieux du christianisme, puisque des apologistes, d’ailleurs sincères, l’ont considéré comme un auxiliaire et lui ont fait des compliments. Cf. C, t. x, p. 284 ; B., t. xii, p. 68, lettre de Matera Reuss. Il y eut d’autres naïfs. C’était de leur part un hommage bien gratuit. Sous l’écorce des formules, il n’est pas malaisé de découvrir la vraie signification de la philosophie religieuse du kantisme. Un ami de Kant, Borowski, que nous avons déjà eu l’occasion de citer, résume ainsi’les griefs que du point de vue chrétien il garde contrele critique. Borowski est alors un vieillard. Kant est mort et son biographe devine que l’exposé de ses griefs va exciter l’ironie facile des théologiens libéraux. Il s’y attend ; il le dit, mais par sincérité il se sent contraint à dire aussi tout ce qu’il pense. « J’aurais souhaité de tout mon cœur que Kant n’eût pas considéré la religion chrétienne comme un simple organisme politique ou comme une institution bonne pour les âmes faibles ; j’aurais voulu que la Bible eût été pour lui autre chose qu’un médiocre instrument pédagogique destiné à instruire le’peuple dans la religion du pays, les Évangiles, autre chose qu’un petit opuscule qu’il faut expliquer, sans se gêner, dans un sens purement moral, Jésus, autre chose qu’un idéal de perlection personnifié. J’aurais voulu de tout cœur que la prière n’eût pas été à ses yeux un acte de fétichisme, une chose indigne, dont on doit rougir ; que, dans sa peur de céder au mysticisme, il eût cependant laissé leur valeur propre aux sentiments pieux ; j’aurais voulu qu’il assistât parfois aux offices du culte et qu’il participât aux saintes cérémonies instituées par Notre-Scigneur ; j’aurais souhaité que, pour les milliers d’étudiants qui pendant cinquante ans ont regardé vers lui, il eût été en tout cela un exemple lumineux… Combien son action n’en aurait-elle pas été meilleure ! » Borowski, op. cit.. p. 271-273.

Il n’y a rien d’exagéré dans ce réquisitoire. Partout où Kant a rencontré sur sa roule le dogme chrétien, il l’a vidé de son contenu et n’en a plus laissé qu’une interprétation morale, fort arbitraire, en dehors de