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    1. KANT ET KANTISME##


KANT ET KANTISME, THÉORIE DE LA RELIGION

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de l’impératif catégorique. C, t. vi, p. 258 ; B., t. vi, p. 112 ; R., t. x, p. 134.

Le rationalisme kantien exclut de la même manière toute espèce de miracles. Il n’y a pas contradiction dans le concept de miracle, dira Kant, mais il y a impossibilité complète de constater n’importe quel miracle, impossibilité de fournir jamais un contenu objectif à ce concept. Tout ce que nous constatons est lié par la série des antécédents et des conséquents à tout ce qui précède et à tout ce qui suit. Le déterminisme phénoménal est universel pour Kant, et tout objet d’expérience étant phénoménal, le miracle ne peut être qu’une interprétation aberrante et ignorante, une preuve de naïveté ou un indice de paresse mentale. Un miracle se produisant dans l’espace (Kant l’appelle un miracle externe) serait en conflit avec la loi de l’action et de la réaction, G., t. iv, p. 521 ; R., t. xi a, p. 263, 264, et supposerait donc, avec un déplacement du centre de gravité du monde, ibid., un mouvement dans un espace vide : eine Bewegung im leeren Baume aber ist ein Widerspruch, pareil mouvement est contradictoire parce que l’espace vide est un néant. S’il s’agit d’un miracle se produisant dans le temps, il y faut aussi, d’après Kant, supposer un moment vide, un phénomène réel rapporté à rien du tout dans l’expérience, un commencement absolu. Or un moment vide, un événement réel rapporté à un néant, un commencement sans date et donc sans antécédent, tout cela est contradictoire. Ibid.

Il est supertlu de noter combien cette critique kantienne est dépendante des idées nevvtoniennes et leibniziennes et quelle foi robuste elle suppose dans le déterminisme physique. Elle est faite tout entière du point de vue du mécanisme universel. On peut y voir ce que Kant entendait par la « possibilité interne > du miracle, et comment cette possibilité interne s’associait pour lui à une impossibilité réelle absolue.

b) La croyance en Dieu.

Puisque la religion n’a rien de solide sinon ce qui se confond "en elle avec le reinmoralisch, avec le simple élément moral, quelle est la place de Dieu dans le système religieux kantien ? Remarquons bien que Kant n’a jamais voulu fonder un nouveau système religieux, il a prétendu critiquer d’une façon définitive et péremptoire toutes les religions présentes et futures et déterminer, isoler en elles ce qui seul mérite de s’appeler religieux. La croyance en Dieu est-elle dans ce cas ? Kant ne pouvait pas, après ces conclusions agnostiques de la raison pure, admettre qu’il y eût une preuve spéculativement valable de l’existence de Dieu. Le concept de Dieu est exempt de contradiction, mais on ne peut inférer du concept logique d’un être nécessaire et parfait, son existence objective. Kant prétendait l’avoir démontré dans sa réfutation de l’argument ontologique. Dès lors le concept de Dieu reste pour la raison un concept purement « problématique », et il ne peut y avoir aucun argument, même d’ordre moral, capable d’en faire un concept « assertorique ». La raison pratique, quoiqu’on en ait dit, ne modifie nullement cette conclusion, mais le vouloir moral en se voulant lui-même, veut toutes ses conditions, et une de ces conditions c’est, non pas que Dieu existe réellement, mais que je veuille admettre cette existence, comme postulat de l’action morale. C, t. v, p. 136 ; H., t. v, p. 121-132 ; R., t. viii, p. 265-268. Elle n’en devient pas pour autant objective ou certaine ; elle a exactement la valeur de la décision libre dont elle dépend ; elle est ce que Kant appelle : une croyance. Il ne s’agit donc pas de prouver d’abord l’existence de Dieu pour en déduire l’obligation morale ; celle-ci est simplement première dans son ordre : le seul mobile de l’action bonne étant la conformité à la loi prise formellement. Le devoir est donc voulu pour lui-même, indépendamment de toute considération de bonheur personnel ou de commandement divin. Toutefois le concept même de devoir a comme postulat la possibilité du souverain bien réalisable par les actions bonnes, et ce souverain bien est nécessairement lié, par son concept même, à la réalité d’un souverain bien primitif, c’est-à-dire à l’existence de Dieu. Ibid.

Donc la décision libre du vouloir moral, qui seule donne un contenu objectif au concept de devoir, rend du même coup objectif — et de la même manière — les postulats de ce concept. L’existence de Dieu n’est donc pas prouvée par le fait de l’action bonne Elle est nécessairement voulue comme conséquence et non comme fin ou comme principe de l’honnêteté. Elle reste un postulat.

Envisager le devoir moral sous forme de précepte divin, ce n’est donc pas augmenter sa valeur contraignante, ce n’est pas ajouter un seul motif à l’action, mais synthétiser dans une formule le devoir et ses postulats. Kant affirme que cette manière d’envisager la morale est précisément toute la religion. C, t. vi, p. 302-305 ; B., t. vi, p. 153-155 ; R., t. x, p. 181-187.

Dès lors il suffit à la religion que l’existence de Dieu ne soit pas contradictoire, que son concept soit « problématique ». Ce n’est jamais un devoir d’admettre l’existence d’une chose, puisque cela ne concerne que l’usage théorique de la raison. C, t. v, p. 136 ; B., t. v, p. 125 ; R., t. viii, p. 266. Prétendre que l’affirmation philosophique, spéculative, de l’existence de Dieu est un devoir, en faire l’objet d’une profession de foi, est donc absurde et « hypocrite ». Dieu reste pour la pensée une hypothèse. La morale n’a pas besoin d’autre chose. C’est parce que je veux être honnête, que très librement, et me fondant sur ma seule décision, je décide d’attribuer à cette hypothèse une valeur objective. Ce n’est pas parce qu’elle est d’abord contrôlée et trouvée exacte que je me décide à y conformer ma conduite. L’idée de commandement divin est conséquente, non antécédente, au vouloir moral.

Aussi Kant écrira-t-il intrépidement que chacun doit se faire un Dieu pour lui, C, t. vi, p. 318 ; B., t. vi, p. 168 ; R., t. x, p. 203, et que la certitude de l’existence d’un législateur suprême est exactement ce que chacun veut qu’elle soit.

c) Indifférence des religions.

Puisque la religion n’est rien que la morale envisagée comme l’ensemble des préceptes divins, et puisque la morale consiste à obéir à la loi de l’impératif catégorique, pour elle-même et sans aucune considération de son contenu, il suit inévitablement qu’il n’y a qu’une seule religion. Les différences réelles qui distinguent le judaïsme du polythéisme, le christianisme de l’Islam, etc., ne sont pas, suivant Kant, des différences religieuses. Elles ne concernent que les affirmations théoriques du Credo ou les pratiques « statutaires », vides de toute signification morale. Affirmations et pratiques sont foncièrement en dehors de l’élément religieux ; elles ne concernent qu’une sorte de foi ecclésiastique, une croyance ne méritant par elle-même aucun respect. Kant aurait même voulu qu’on n’employât jamais cette expression vide de sens : tel homme appartient a telle religion, C, t. vi, p. 253 ; B., t. vi, p. 108 ; R., t. x, p, 128 ; il faudrait dire : il est de telle ou telle croyance (Glauben). Le mot « religion » au sens kantien n’a pas d’équivalent dans les langues modernes. Ibid. « On lait beaucoup trop d’honneur à la plupart des gens en disant qu’ils appartiennent à telle ou telle religion ; car ils ne savent pas ce que le mot veut dire et ne désirent pas être religieux. Tout ce qu’ils voient dans cette expression est une croyance ecclésiastique conforme à un type. » Ibid.

Il faut en conclure que l’hérésie n’est pas un phénomène d’ordre religieux. Les divergences dans la