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    1. KANT ET KANTISME##


KANT ET KANTISME, THÉORIE (DE LA RELIGION

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de l’obéissance volontaire à la loi pure, indépendamment de tout contenu, il n’y a pas de moralité, mais seulement des industries, des expédients, des recettes d’ordre pratique, sans valeur d’honnêteté en soi.

Cherchant à quoi peut bien correspondre objectivement la valeur absolue de la religion, il ne pouvait donc pas s’orienter du côté de la connaissance spéculative. Celle-ci ne nous donne que des objets spatiaux et temporels, contingents et particuliers, et elle ne prend un air de nécessité universelle, une apparence d’absolu qu’en énonçant à priori, non la loi de l’être, mais les conditions d’une expérience possible, donc les lois des phénomènes. Impossible donc de fonder le caractère sérieux, respectable, absolu de la religion sur sa valeur théorique, sur la qualité des connaissances qu’elle nous apporte. Il n’y a de connaissance objective que dans l’expérience, et l’absolu n’est pas objet d’expérience.

La religion ne peut donc « justifier ses prétentions » et s’imposer aux hommes qu’en raison, non pas de la doctrine qu’elle leur annonce et des secrets qu’elle leur découvre, mais uniquement de la manière dont elle les fait vivre. Elle doit être une « pratique », non une théorie, car dans la pratique seule nous pouvons trouver un inconditionné. Cet inconditionné — on l’a vu — c’est le vouloir moral, die Liebe des Gesetzes, C, t. vi, p. 293 ; B., t. vi, p. 145 ; R., t. x, p. 174, ne dépendant de rien, étant à lui-même en tant que détermination son principe et son motif.

Dès lors on peut prévoir infailliblement quelle direction va prendre la théorie religieuse dans l’ensemble de la doctrine kantienne. Pour sauver le caractère sérieux, respectable, absolu de la religion, il faudra par un effort insensé la ramener tout entière à l’unique vouloir moral, au simple amour de la loi en tant que telle ; en dehors de tout contenu, de toute détermination particulière. Ce qui, dans les religions existantes, ne se prêtera pas à cette opération de réduction, sera tout simplement déclaré « non religieux ", dût-on par cette déclaration, donner un démenti au genre humain et bouleverser le vocabulaire et l’histoire.

Armé de son principe, Kant se met à la besogne. La critique de la religion lui apparaît tout de suite comme une besogne d’ « épuration ». Il faut « laisser tomber l’eau au fond du vase, laisser remonter l’huile à la surface, » et séparer alors les deux éléments que l’ignorance et la passion ont confondus. L’huile qui surnage au-dessus de l’eau banale, c’est dans la religion, au-dessus de toutes les croyances, rites et doctrines, le t pur moral » le reinmoralisch. C, t. vi, p. 151 ; B., t. vi, p. 13 ; R., t. x, p. 14. Ailleurs on nous parle d’un christianisme qu’il faut décortiquer : les enveloppes, die Hùllen, étrangères à la substance religieuse elle-même, sont le culte, les dogmes, les observances positives. Le noyau, seul valable, c’est l’action morale. C, t. vi, p. 307 ; B., t. vi, p. 158 ; R., t. x, p. 190. Décanter, décortiquer, c’est toujours d’éliminer qu’il s’agit et non pas de comprendre. Kant partd’une idée a priori de la religion, d’une idée visiblement trop étroite, dans le goût du classicisme finissant, et, au lieu d’élargir l’idée aux proportions du réel, — ce qui est la loi, même du progrès, — il tente, par des mutilations violentes, de rapetisser le réel aux dimensions de son idée — ce qui ne peut aboutir qu’à du verbalisme stérile.

Il nous reste à examiner ce que devient dans cette entreprise l’objet même de l’enquête. On peut prévoir déjà qu’il va se déformer jusqu’à la caricature et que, réduite au seul impératif catégorique, la religion perdant tout caractère individuel et même social, toute vie et tout mouvement, se muera en res surda et ine.xorabilis. C., t. vi, p. 423 ; B., t. viii, p. 338.

2. Propositions générales.

a) Naturalisme ou supranaturalisme.

En conformité avec les conclusions de la raison pure, Kant repousse la prétention dogmatique du « naturalisme » aussi énergiquement que celle du « surnaturalisme. » Le naturaliste nie la possibilité intrinsèque d’une révélation, c’est-à-dire que, dépassant les limites d’une expérience possible, il s’aventure dans le transcendant. Il y rencontre son adversaire le surnaturaliste, qui affirme la réalité, voire même (c’était le cas pour beaucoup de protestants) la nécessité d’une révélation divine. Tous les deux doivent être renvoyés dos à dos. Leur prétention est de part et d’autre également vaine, puisqu’il n’y a pas, selon Kant, de connaissance objectivement valable en dehors des conditions a priori de la sensibilité (espace et temps). Le rationaliste pur, se tenant aux résultats de la critique, n’affirme rien du tout au sujet de la possibilité interne d’une révélation, C, t. vi, p. 303 ; B., t. vi, p. 154-155 ; R., t. x, p. 185-186, mais il considère que pareille révélation ne pourrait avoir aucune signification religieuse, puisque la religion tient tout entière dans le seul vouloir moral. Donc, même en concédant que cette révélation puisse se produire, Kant maintiendrait qu’elle nous rendrait peut-être plus savants, mais certainement pas meilleurs. Savoir plus n’est pas per se agir mieux. *.

Il semble d’ailleurs que, dans toute cette théorie, Kant, soucieux de se séparer d’auteurs compromettants, ait accumulé les équivoques. La distinction qu’il établit entre le naturaliste et le rationaliste pur est bien fragile. Sa théorie aboutit à nier la possibilité de toute révélation, et ailleurs il le laisse entendre clairement.

Dans la Religion innerhalb der Grenzen der blosscn Vernunjl, il a inséré un petit mot restrictif : Die INNERE Môglichkeit, la possibilité intrinsèque. Il est exact que la critique interdit de dogmatiser sur des objets transcendants et dès lors, de déclarer qu’au concept de révélation aucun objet ne peut correspondre. Ce concept est exempt de contradiction interne. Mais il est non moins sûr que la révélation est exclue comme impossible par toute la critique kantienne. Son concept n’est pas contradictoire, mais jamais aucune garantie de son objectivité ne pourrait nous être donnée, parce que tous les objets de nos connaissances sont contenus « "à l’intérieur des limites d’une expérience possible " et que l’objet transcendant d’une révélation est, par hypothèse, en dehors de ces limites. Donc, lorsque Kant concède la possibilité interne d’une révélation, il faut se garder d’assimiler sa position à celle des apologistes de son époque, qui établissaient d’aboi d cette possibilité, pour prouver ensuite par les faits historiques qu’elle s’était réalisée. Impossible en fait, la révélation, nous l’avons vii, n’a, de par son concept même, aucune valeur religieuse. Aussi, partout où on rencontre de prétendues révélations, des Écritures Saintes, des doctrines inspirées, il faut les expliquer, les interpréter, jusqu’à ce qu’elles ne signifient plus rien qu’une pure leçon de morale. C, t. vi, p. 255-256 ; B., t. vi, p. 109-110 ; R., t. x, p. 130-131. Ainsi l’ont fait tous les éducateurs du peuple quand ils ont eu du bon sens et de l’esprit. Les philosophes grecs et romains l’ont fait pour le polythéisme, ibid., les juifs, les chrétiens, les mahométans n’ont pas agi autrement. Kant justifie ce que ces exégèses déformantes peuvent avoir de peu franc par la nécessité d’empêcher les foules de tomber dans un athéisme dangereux pour l’État, ibid., et par la nature même de l’élément religieux. On a le droit de traiter « religieusement » une révélation ou un livre qui se donnent pour de la religion. Or, t dans n’importe quelle croyance, cela seul est à proprement parler de la religion qui peut se ramener aux règles et aux mobiles de la foi purement morale » c’est-à-dire