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    1. KANT ET KANTISME##


KANT ET KANTISME, THÉORIE DE LA RELIGION

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d’expérience, il leur faudra en outre apparaître dans l’espace et le temps.

e) Kant n’a plus maintenant qu’à tirer les conséquences. Ce qu’est un objet en dehors de l’espace et du temps, personne ne peut le savoir : la connaissance humaine ne se termine à rien d’objectif quand elle se porte sur des objets intemporels ou non-spatiaux, c’est-à-dire sur des objets placés « en dehors des conditions d’une expérience possible. » De pareils objets ne sont que des conceptions subjectives, exemptes de contradiction interne sans doute, mais sans réalité véritable. Le seul domaine accessible à la connaissance de l’homme est donc le monde du phénomène ; le phénomène étant, non pas la fausse apparence du réel, mais le réel dans la mesure où il se conforme aux conditions subjectives de la perception.

Une science de Dieu, de l’âme, de l’origine ou de la fin des choses, du monde spirituel, etc., est radicalement impossible. Là où, par hypothèse, l’objet du savoir est en dehors de l’espace et du temps, il n’y a plus qu’un objet de pensée : une essence, sans aucune garantie d’existence ; une forme sans contenu, un concept vide, Icerer Beqriff.

On peut dire que pour Kant lui-même, c’étail là le fond et comme la substance de sa critique. Beaucoup <ie lecteurs se sont égarés dans ce livre que les amis mêmes de Kant déclaraient tous éminemment obscur. La composition de l’ouvrage est fort défectueuse. Les explications et les discussions qui ont commencé déjà en 1782 n’ont guère facilité la tîche des interprètes. Dans ses lettres, Kant se dégage un peu de sa lourdeur habituelle et c’est peut-être là qu’on a le plus de chance de trouver quelque lumière.

2. Critique de la raison pratique.

Il était impossible pour Kant de fonder désormais la morale sur une métaphysique quelconque. Il garda bien le mot de métaphysique des mœurs, mais il en avait complètement faussé la signification. La métaphysique, depuis Aristote. était la science de l’être en tant qu’être. Pour Kant, cette science, n’ayant aucun objet accessible, était un pur jeu de concepts. La métaphysique signifiait désormais la science a priori, c’est-à-dire la théorie des conditions a priori des objets d’une expérience possible. La science de la morale devait donc partir d’un fait, comme la philosophie spéculative ne pouvait partir que d’un donné. Ce fait est la loi morale, le « tu dois », le caractère immédiatement obligatoire de l’action bonne. La moralité est première dans son ordre ou elle n’est pas, Quand j’agis moralement, je ne recherche aucune autre fin que cette moralité môme, et je ne dépends de personne dans ma décision. Le dernier pourquoi du « je veux » c’est un « je veux », car si le vouloir était déterminé, par un agent ou par un objet, à vouloir de telle manière, il ne serait plus ni libre ni moral. La moralité n’a donc qu’elle-même pour fondement, et il n’y a rien de plus parfait que « la conformité à la loi », voulue précisément en tant que telle.

Kant, toujours préoccupé de symétrie artificielle, a voulu traduire ces conclusions dans les termes de la raison théorique, et il a déclaré que l’impératif moral se formulait en un jugement synthétique a priori. L’obligation n’est pas incluse formellement dans le concept de volonté libre ; si donc une volonté libre agit moralement, c’est qu’elle-même s’est déterminée à vouloir cette obligation. Elle n’est obligée que pour autant qu’elle s’oblige.

Cette morale, définie tout entière comme une conformité à une loi, n’est donc jamais i suasive.. Bile commande. Les conseils sont intrinsèquement étrangers à la morale. I.a loi étant absolue et uniforme et le. motif de l’action morale étant toujours strictement Indépendant de l’objet concret auquel elle se termine, il n’y a pas de place pour des nuances dans, la moralité d’un acte. Il est parfait, si le motif, Triebfeder, est la loi comme telle, abstraction faite de tout son « contenu » ; il est simplement mauvais, immoral, si n’importe quelle autre considération le détermine. Kant restaure ici les anciens paradoxes stoïciens, sur l’impossibilité du progrès moral et l’équivalence de toutes les actions bonnes. Le péché véniel ne peut pas avoir pour lui plus de sens qu’il n’en avait pour Pelage ou pour les disciples de Zenon.

Le dépouillement de tout motif particulier est donc nécessaire, d’après Kant, pour qu’un vouloir puisse être bon. Il ne s’agit pas seulement d’exclure tout motif d’ordre sensible, toute considération de plaisir physique (sic V. Dclbos dans son Introduction aux fondements de la métaphysique des mœurs, p. 62), mais tout mobile autre que le pur respect de la loi en tant que telle. L’eudémonisme est pour Kant radicalement immoral, même si la fin de l’action est une perfection d’ordre intellectuel. Étudier pour savoir est donc immoral ; agir pour devenir meilleur est une perversité, car, malgré le paradoxe, « le but de l’action morale ne peut pas en être le motif. » C, t. vi, p. 142 ; B., t. iii, p. 4 ; R., t. x, p. 1. Les résultats de l’action morale doivent rester totalement étrangers aux mobiles mêmes de cette action.

Kant a répété sous vingt formes diverses cette proposition. Au-dessus de tous les impératifs hypothétiques (si tu veux la santé, prends le remède ; si tu veux qu’on t’estime, sois courageux), il a prétendu formuler le seul principe vraiment moral, l’impératif catégorique, ne dépendant plus d’aucune condition et voulu comme pur impératif.

Nous n’avons pas à suivre dans le détail cette théorie, au fond assez simple. La doctrine religieuse de Kant est indépendante de la présentation technique de sa doctrine morale et des formes savantes de l’impératif catégorique. L’exposé complet du système a été repris plusieurs lois. Le lecteur français n’a qu’à se reporter au livre excellent de V. Dclbos, La philosophie pratique de Kant, Paris, 1905.

Le système religieux.

1. Point de départ.

Malgré le peu d’estime que Kant, depuis sa sortie du collège, témoignait à la théologie, malgré les sympathies non déguisées qu’il gardait pour des ennemis notoires du christianisme, pour des pamphlétaires violents et absurdes comme Karl Friedr. Bahrdt († 1792), cf. C, t. ix, p. 319 ; B., t. x, p. 476, il a toujours considéré la religion comme une chose sérieuse et les sarcasmes voltairiens n’ont pas déteint sur ses écrits. L’influence de Bousseau est d’ailleurs beaucoup plus puissante sur lui que celle des encyclopédistes et son esprit, peu fait à l’ironie et imperméable aux grâces frivoles, ne pouvait pas accueillir facilement, et. pouvait à peine comprendre les critiques à la lois si légères et si destructives des « libertins ». Son éducation piétiste l’avait d’ailleurs dressé au respect des choses religieuses et le souvenir de S( huitI. — nous l’avons vu — demeurait encore vivace dans l’âme de son élève, plusieurs années après la composition des trois Critiques.

La religion est donc pour Kant quelque chose de sérieux et qui mérite l’examen. Cette affirmation, il ne la prouve nulle part. Elle lui paraît aussi immédiate que celle « expérience », Er/ahnuig, dont il parle dès la première phrase de sa Critique de la raison pure, et qu’il n’a jamais songé à définir.

Malheureusement, au moment où il aborde l’examen de la religion comme telle, Kant est déjà emprisonne dans l’agnoticisme spéculatif et dans le stoïcisme moral. Il croit avoir démontré qn’en dehors des objets d’une expérience possible nous ne pouvons avoir aucune science valable, mais seulement des concepts ingénieusement fabriqués, fl croit aussi qu’en dehors