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    1. KANT ET KANTISME##


KANT ET KANTISME, THÉORIE DE LA RELIGION

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eux le prédicat exprime, comme dans les analytiques, une qualité appartenant au sujet ; sinon ils seraient évidemment absurdes ; mais cette qualité n’appartient pas au concept même du sujet. Elle lui est ajoutée. Dès lors l’analyse du concept du sujet ne suffît pas à révéler la présence du prédicat. Le jugement synthétique, qui doit, comme tout jugement, se conformer au principe de contradiction, doit donc en outre obéir à une loi de synthèse, dont il reste à examiner la nature. Le jugement analytique ne peut être faux qu’en étant contradictoire ; le jugement synthétique contradictoire est évidemment faux, mais puisque le prédicat n’est pas identiquement uni au concept du sujet, ce jugement peut être faux sans être contradictoire. Il suffît, qu’il soit démenti par les faits, par la réalité ; il suffît que l’addition faite par le prédicat au concept du sujet ne soit pas conforme à la vérité objective.

b) Dès qu’on a distingué ces deux espèces de jugements, un problème se pose : comment pourra-t-on vérifier leur légitimité ? en faire la « déduction » ? Le problème est aisé, nous dit Kant, lorsqu’on ne s’occupe que des jugements analytiques. Pourvu qu’ils ne pèchent pas par contradiction interne, ils sont valables. Mais ces jugements sont précisément les moins intéressants. Us n’ont qu’une valeur purement logique : ils ne s’occupent que des « concepts ». Or ce qui importe, ce n’est pas de savoir si un concept reste identique à lui-même, mais s’il correspond à une chose. Sa valeur objective ne lui vient que de ce rapport. Et ce rapport, le jugement analytique ne l’envisage jamais. Les seuls jugements réels, c’est-à-dire portant sur les objets, sont les jugements synthétiques. Pour les légitimer, il est nécessaire de distinguer davantage. En effet ces jugements peuvent être dépendants de l’expérience, de la constatation sensible. Dans ce cas ils trouvent leur justification, la preuve et la raison de leur objectivité dans cette expérience même. Le prédicat est affirmé non parce qu’il appartient au « concept » même du sujet qugement analytique), mais parce que l’expérience constate qu’il est réellement et objectivement lié au sujet. C’est la perception, Wahrnehmung, qui justifie le jugement synthétique, puisque celui-ci, en dérive. Il existe pourtant tout un lot de jugements synthétiques qui ne se laissent pas ramener au type du jugement de perception. Ils portent sur des réalités empiriques ; mais ils ne tirent pas leur certitude de ces réalités. Ce sont tous les jugements synthétiques universels et nécessaires. En effet l’expérience peut bien justifier une affirmation particulière et me montrer ce qui se passe en fait, ici ou là, à tel instant ; mais il est impossible qu’en vertu d’une expérience toujours particulière et limitée, on conclue Jogiquement à l’universel ; qu’au nom d’une perception contingente, on aboutisse au nécessaire. Sur les choses — non sur les concepts — les jugements dérivés de l’expérience ne permettent d’affirmer que cette expérience même. Dès lors, ou bien tout ce qui est universel et nécessaire, c’est-à-dire définitif et scientifique, est purement logique, sa.ns rapport avec le réel qugements analytiques), ou bien nous devons découvrir un moyen de justifier les jugements universels et nécessaires, qui ne viennent pas de l’expérience et qui pourtant l’ont comme objet. Ayant les choses comme objets, ces jugements sont synthétiques ; ne dérivant pas leur certitude de l’expérience, ils ne sont pas a posteriori. Kant les appelle les jugements sunthétiques a priori.

c) Pour les déduire (=-- justifier), on ne peut faire appel ni au seul principe de contradiction (fidélité de la pensée à elle-même), ni à la constatation expérimentale. Il nous faut un a priori objectif ; ce qui, au premier abord, paraît absurde. Comment puis-je dire d’avance que les objets de l’expérience auront tous et nécessairement tel caractère, qu’ils vérifieront tel’prédicat, non identique pourtant à leur concept ? Comment puis-je dogmatiser a priori sur cette expérience future ? Comment puis-je, non pas même deviner infailliblement ce que je ne vois pas, mais conclure par anticipation que l’expérience sera toujours telle ou telle, pour tous les hommes, et nécessairement ? Kant, qui s’est laissé enfermer dans ce problème, prétend y avoir trouvé une solution décisive. C’est à son sujet qu’il a parlé de Copernic et qu’il a comparé son système à la nouvelle astronomie. La solution est d’ailleurs, en principe, assez simple. Seuls les détails dont Kant l’enchevêtre peuvent l’obscurcir. Qu’est-ce que je puis affirmer d’avance de tous les objets expérimentaux ? Kant répond : évidemment rien de tout ce qu’ils sont « en eux-mêmes » ; mais évidemment aussi tout ce qui est nécessaire pour qu’ils soient objets d’expérience. Les conditions de l’expérience devant être réalisées par tous les objets expérimentés ou expérimentables, je puis d’avance assurer que ces conditions seront vérifiées partout où il y aura expérience, comme je puis affirmer d’avance que le gibier abattu à coups de fusil se trouvera nécessairement sur la ligne de tir. Je ne puis pas décider que ce sera du gibier de poil ou de plume ; il reste indéterminé « en lui-même », mais il est déterminé « quant à sa forme générale ». Kant assure que toute expérience suppose des conditions préalables ex parte subjecti ; il se flatte même d’en avoir achevé le dénombrement et donné la description. Les jugements qui affirment la vérification de ces conditions par les objets de l’expérience sont des jugements synthétiques a priori. Ils sont synthétiques, car les conditions subjectives d’une expérience ne lont pas partie du concept même de l’objet expérimenté ; ils sont a priori, car leur certitude est logiquement antérieure à l’expérience elle-même et leur permet d’être universels et nécessaires.

d) Kant s’est évertué — assez maladroitement — à dresser le catalogue des conditions a priori de l’expérience. Tout objet d’expérience doit être situé dans l’espace et le temps. Il n’y a pas de perception interne en dehors de la continuité consciente, de la succession des états d’âme. C’est la forme a priori du temps. Il n’y a pas de perception externe sans un objet localisé, cette loi de la perception c’est la forme a priori de l’espace. Toute perception externe pour être consciente, doit se rapporter à une perception interne. Le temps est donc la condition même de la perception spatiale. Temps et espace, Kant les appelle les /ormes a priori de l’intuition. Mais un objet d’expérience ne peut être uniquement sensible. Pour qu’il soit objet, il faut qu’il soit capable de fonder des jugements. Ce qu’on ne pourrait d’aucune façon juger serait le pur impensable. Dès lors les conditions a priori du jugement comme tel seront vérifiées de tout objet d’expérience. Ces conditions, Kant les appelle les catégories, non au sens de « subdivisions » mais au sens étymologique de « manières d’affirmer ». En examinant la table leibnizienne des jugements et leur répartition sous les quatre rubriques : quantité, qualité, relation et modalité, Kant prétend découvrir sous chacune de ces rubriques trois concepts a priori, qui, appliqués à l’objet d’une expérience possible, donnent trois principes a priori. Nous avons ainsi douze catégories, et douze principes. Cédant à la manie de l’époque, Kant a donné des noms pédants à ces principes : axiomes de l’intuition, anticipations de la perception, analogies de l’expérience, et postulats de la pensée empirique en général. La technique compliquée de ces chapitres ne nous intéresse pas ici. Nous ne retenons que leur conclusion : on peut affirmer d’avance, d’une façon universelle et nécessaire, que les objets d’expérience vérifieront les conditions auxquelles un objet doit se soumettre pour être pensé. Pour être objet