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    1. JONAS (LIVRE DE)##


JONAS (LIVRE DE). INTERPRÉTATION DU LIVRE

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i II. Interprétât ! ox du livre. — 1° Explication historique — Le livre de Jonas contient des faits qui ont toujours paru fort curieux et invraisemblables : miracle physique île la conservation du prophète par un monstre matin qui l’engloutit, miracle historique de la conversion de Xinive. Ie premier surtout a de tout temps excite les railleries des incrédules. Saint Augustin rapporte dans une de ses lettres que les fidèles lui posaient la question suivante : Quid senlire debemus de Jonc, qui dicitw in ventre ceti triduo fuisse, qucx.1… est ineredihilc… Hoc enim genus quH’slionis multo cachinno a pagunis graviter irrisum animudverti. Epist., en, n. 30, P.L., t. xxxiii, col. 382.

Contre ces railleries l’exégèse catholique a pris la défense du livre au point de vue de sa haute portée morale aussi bien que de son historicité.

Jusqu’à nos jours la grande majorité des exégètes s’attache à maintenir le caractère historique de l’écrit. Ils citent comme témoignages extrinsèques : Tob..xi. 1 (texte grec) : l’Apocryphe appelé IIIe livre des Machabées, vi, 8 ; Flavius Josèphe. Antiq. judaic, 1. IX. c. x, 2, et surtout la parole de Jésus rapportée dans Matth. xii, 39-12. « De même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, ainsi le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre. Les Ninivites se lèveront, au jour du jugement, avec cette génération, et la condamneront parce qu’ils ont fait pénitence à la voix de Jonas, et voici, il y a ici plus que Jonas. La reine du Midi se lèvera au jour du jugement, avec cette génération, et la condamnera. » Cf. Luc. xi. 29-32. Cette parole du Christ étant regardée comme décisive, on oppose aux dif’.icultés des adversaires les réponses suivantes :

1. Pour ce qui concerne l’aventure personnelle de Jonas, on dit d’abord a priori avec saint Jérôme, Jn Jon., ii, 2. P. L., t. xxv, col. 1132, que la Bible raconte d’autres faits encore plus merveilleux, comme la conservation des trois enfants dans la fournaise ardente. Dan. m. Contrairement à l’interprétation vulgaire, on fait remarquer ensuite que le poisson de la Bible n’est pas une baleine, qui ne pourrait avaler que de petits objets, mais qu’il s’agit probablement du requin ( Squalus carcharias), qui engloutit facilement un homme tout entier.

Citons, pour mémoire, les bizarres imaginations de l’exégèse rabbinique d’après laquelle le monstre fut créé dès le commencement du monde et destiné uniquement à cet usage.

2. Pour ce qui regarde le poème d’action de grâces, prononcé par Jonas dans les entrailles du poisson, les uns disent que son ton joyeux s’explique par le fait que Jonas, dévoré mais non broyé par le monstre, aurait regardé l’animal comme moyen providentiel de son salut : les autres prétendent que le psaume n’est pas original ou qu’il fut fout au plus composé par Jonas après sa sortie du poisson.

3. Pour grandes que soient les difficultés qui entourent la conservation du prophète au sein du monstre, elles sont encore dépassées par celle que présente le récif de la conversion de Xinive. Celle ville si vaste et si puissante change complètement et subitement ses mœurs perverses, iiiiiqueinent par suite d’une simple proclamai ion qu’un inconnu fait au nom de Jahvé, le Dieu d’un petit peuple, méprisé par les Assyriens !

Et chose plus curieuse, ce l’ait si extraordinaire n’est mentionné ni dans les annales assyriennes, ai surtout dans les autres livres hébreux, pas même dans le livre des Rois qui parle des prophéties de Jonas ! Contre ces objections on l’ail valoir que la conversion lut sans doute de courte durée : ce qui l’ait comprendre le silence des nulles écrits de l’Ancien Tcslainent. Le succès merveilleux d’un prophète étranger s’expliquerait par des événements émouvants, survenus en

Assyrie vers le milieu du viii c siècle, donc du temps de jonas. a savoir : les incursions presque annuelles des habitants de l’Arménie moderne, la peste qui sévit en 765 et 759, une éclipse totale du soleil en 7C3, plusieurs révoltes dans différentes villes du pays.

Ainsi les exégètes de l’école conservatrice croient-ils pouvoir assurer l’historicité entière et littérale du livre de Jonas.

Explication parabolique.

D’autres cependant

se sont demandé si la vérité de ce livre ne serait pas à chercher dans une idée plus haute, cachée sous la lettre, et cette opinion rencontre de nos jours une faveur croissante. Même dans l’antiquité on était loin d’une interprétation unanime. Saint Jérôme, dans la préface de son commentaire de Jonas, déclare : Scio veteres ecelesiaslieos tam græcos quam latinos super hoc libro mutila dixisse, ci tanlis quæstionibus, non tam aperuisse quam obscurassesententias, ut ipsa interpretalio eorum opus Itabeat inlerpretatione et multo incerlior lector recédai, quam fuerat antequam legeret. In Jon., prol., P. 7… t. xxv, col. 1117.

Ces paroles du grand exégète nous renseignent seulement sur l’incertitude qui régnait dans la pensée patristique. Saint Grégoire de Nazianze nous apprend qu’on abandonnait sans scrupule dans certains milieux l’exégèse historique, pour la remplacer par une explication symbolique. Après avoir relevé qu’il est incroyable qu’un prophète eût voulu échapper à Dieu par la fuite, il rapporte qu’un homme « versé en ces matières… en vue de remédier d’une façon non absurde à l’absurdité de l’histoire, » a donné l’interprétation suivante : « Jonas ne songe pas du tout à fuir l’Esprit divin ; mais parce qu’il prévoit le désastre d’Israël et qu’il sent le don prophétique passer chez les nations, il se dérobe à la prédication et il hésite à exécuter le commandement de Dieu ; quittant l’endroit de la joie — car c’est le sens de Joppé pour les Hébreux — je veux dire son ancienne élévation et son honneur, il se jette dans la mer de la tristesse. Pour ce motif il est saisi par une tempête, il dort, il fait naufrage, il est réveillé et désigné par le sort (comme le coupable) ; il avoue sa fuite, il est submergé, il es englouti par le monstre, mais non dévoré ; là il invoque Dieu et, ô miracle, avec le Christ, après trois jours il est rendu à la lumière. Mais que cet exposé s’arrête ici ; bientôt, si Dieu le permet, il sera développé avec plus de soin. » Oratio ii, 106-109, P. G., t. xxxv, col. 505-507.

C’est avec raison que le P. Condamin, Dictionnaire apologétique, art. Jonas, t. ii, col. 1556, à la suite du P. Lagrange, Revue biblique, 1906, p. 154, fait valoir l’importance de ce texte qui donne au départ de Joppé, au voyage en mer, donc aussi à l’aventure avec le poisson, un sens métaphorique ; non moins justement il ajoute : « Saint Grégoire le Théologien, , célèbre par son orthodoxie, n’aurait pu parler en ces termes, si, de son temps, l’Église avait cru fermement à l’historicité du livre de Jonas. » Loc. cit., col. 1557. Le même auteur, loc. cit., col. 1556, verse au débat pour la première fois un texte de Théophylacte. Après avoir tout d’abord expliqué le livre comme historique, celui-ci continue : « 11 ne faut pas l’ignore] ; plusieurs ont admis que la désobéissance de Jonas, sa fuite et le reste ne sont pas historiques.. » 11 expose ensuite en détail l’interprétation de saint Grégoire de Nazianze, sans en nommer l’auteur : Jonas est agité par la tempête de ses’pénibles pensées. Son engloutissement par la baleine et sa conservation signifient la chute d’Israël et le salut d’un reste élu. En outre la conversion des nations est prédite en figure : « Jonas a arrangé sa prophétie en disant tout cela d’une Façon mystérieuse. » In Jon. proph., 4, P.G., l. cxxvi, coi.98Q964.